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Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

Poussières du Pôle

30 minutes – 2006

Dars / Papillault
9 Mar, 2011
Tapuscrit...

Commentaire – Janvier 2000. Depuis la Tasmanie, comme tous les ans au début de l’hiver, l’Astrolabe, le bateau de l’IPEV, l’Institut polaire français Paul-Emile Victor, se fraie un chemin, à travers l’océan Antarctique, en direction de la Terre Adélie. À son bord, comme d’habitude, ont pris place plusieurs équipes de scientifiques dont cette fois-ci la nôtre, physiciens du CSNSM, le centre de spectrométrie nucléaire et spectrométrie de masse du CNRS d’Orsay. Nous nous rendons au pôle Sud pour un premier séjour de deux mois, dans le but de recueillir des micrométéorites. Nous y retournerons ensuite deux fois, en 2002 puis encore en 2006.

Le port où aborde l’Astrolabe est la base française de Dumont d’Urville, en Terre-Adélie. Mais pour récolter les micrométéorites, il nous faut aller encore bien plus loin à l’intérieur des terres, cinq heures de vol en avion. Nous comptons installer notre laboratoire sur le plus vaste glacier du monde, presque 4000 mètres d’épaisseur à Dôme C. C’est là que se construit la station franco-italienne Concordia, qui sera bientôt l’une des plus grandes bases scientifiques du continent blanc. Le matériel, pour nous rejoindre, empruntera la voie terrestre.

Pourquoi un tel luxe de moyens pour simplement récupérer des particules infimes, engourdies dans la neige, dont la plus grosse ne dépasse pas 500 µ ? D’abord parce que le pôle Sud, séparé, par l’immensité de l’océan, des autres continents et des poussières d’érosion terrestre transportées par les vents, est un endroit si propre et si blanc que les micrométéorites forment l’essentiel des poussières qu’on y trouve.

Ensuite parce que ces microscopiques échantillons des débuts de notre univers proche sont les témoins irrécusables des premiers moments du système solaire primitif, bien avant que les planètes, y compris la Terre, n’aient été formées. Si l’on veut comprendre à quoi ressemblait ce système solaire des premiers âges, ce sont ces poussières extraterrestres qu’il faut étudier.

Jean Duprat – Y a quelques semaines de ça, j’ai lu un livre sur de la poussière, et une des premières phrases du livre, c’était en anglais, Vast is the kingdom of dust… Et c’est un peu ça, c’est-à-dire la poussière, la poussière elle est partout ! Et elle est là dès le début ! C’est-à-dire, si vous voulez faire des gros corps, il faut bien que vous partiez d’abord par des, il faut que vous commenciez par des petits ! Vous allez pas, vous allez pas faire des gros dès le début. Et donc du coup, ben pourvu qu’il en reste, de ces petits, c’est eux qui vont, qui vont vous renseigner… Parce que les gros corps, eux, ils ont leur histoire à eux. Ils ont, ils ont été modifiés, ils ont fondu, ils ont été éventuellement bombardés, ils ont, ils ont toute leur histoire propre de gros corps. Si jamais vous voulez savoir qu’est-ce qui s’est passé au début, avant, pour les former, ben, c’est les petits. C’est toute cette myriade de poussières qui se, qu’on voit pas souvent, mais qui est là partout, qui se faufile partout.

Michel Maurette – On sait que ces grains, c’est des traceurs de l’histoire très primitive du système solaire… Ces toutes petites micrométéorites… Elles se sont formées très tôt, elles se sont baladées au voisinage du Soleil, et puis elles ont été expulsées par des grands jets de matière solaire qu’on appelle en particulier le vent X et des choses comme ça, elles ont été projetées dans la zone de formation des glaces cométaires, encapsulées, elles ont vécu avec les comètes, et puis, paf, elles ont été accrétées par la Terre, capturées par la Terre, très tôt, et c’est ce cycle de vie, comme ça a été des témoins qui ont un petit peu tout vu, si vous voulez, qui, enfin, qui ont tout vu, ce qu’il y a de plus primitif, vous comprenez, elles ont vu l’eau primitive, elles ont vu l’azote primitif, elles ont vu, elles ont vu tout ce qui était primitif, et ça a été merveilleusement conservé ! Ça a été conservé à très basse température, par congélation à très basse température, dans la zone des comètes, alors après ça a circulé dans l’espace interplanétaire pendant 200 000 ans, après ça a subi un chauffage par friction des molécules avec les molécules d’air lors de la rentrée atmosphérique, alors ça, ça les a fait, ça en a volatilisé la moitié, mais y en a qui ont résisté, et puis ça a retombé dans la glace, mais ça garde essentiellement, si vous voulez, leurs caractéristiques gardent toute une partie de l’histoire complètement obscure, les cent premiers millions d’années de l’histoire du système solaire où on se bat pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, est-ce qu’il y a eu du vent X, comment se sont formées les comètes, bon, et c’est des petits témoins qui ont survécu, elles ont pas été incorporées pour faire une Lune ou pour faire une, une, une planète comme la Terre, si vous voulez, bon, elles ont été laissées toutes seules en tant que petits grains de poussière, parce qu’elles ont été piégées très tôt par de la neige cométaire, qui s’est transformée en glace cométaire, et puis elles ont été relâchées dernièrement. Donc elles ont été préservées pendant tout ce temps-là par congélation à basse température, et ça c’est extraordinaire, vous comprenez, on n’a plus ça, dès qu’un corps fond, eh ben vous perdez tout ça ! Donc vous n’avez plus ce vestige, ce traceur, qui a son cycle de vie, mais attention ! Son cycle de vie, il est constitué de plusieurs bouts d’histoire, bon et on est encore un petit peu aveugles, mais c’est ça qu’on essaie de reconstituer… Donc elles sont traceurs, et elles sont témoins de plusieurs étapes de notre histoire la plus primitive…

Commentaire – C’est Michel Maurette qui vit le premier l’intérêt d’étudier ces micrométéorites et qui eut l’idée d’aller les collecter d’abord au Groënland, puis au Pôle Sud. Il mit au point un procédé qui permettait de les récupérer là où elles s’étaient accumulées, dans les eux de fonte des grands glaciers.

Nous avons ensuite développé l’idée d’aller chercher les micrométéorites dans les régions centrales du pôle Sud, dans la neige, à l’endroit même où elles sont tombées. Double avantage : la neige, comme un cocon, les a protégées de toute érosion et puisqu’elles n’ont pas été déplacées depuis leur chute, on peut même mesurer leur flux, c’est-à-dire combien il en tombe chaque année au mètre carré. Se rendre à Concordia n’est pas toujours simple, l’univers y est hostile, ce n’est que grâce à la logistique mise en place par l’IPEV que l’expérience a été rendue possible.

Gérard Jugie – L’Antarctique, par définition, est un continent difficilement accessible, y aller, pénétrer dans ce plateau antarctique à plus de 1 100 km des côtes, devient une aventure, une expédition, qui a été, qui a été mise au point, professionnalisée, pour les besoins de la construction de la station Concordia… Il faut une douzaine à une quinzaine de jours à l’aide de tracteurs qui tirent eux-mêmes des remorques qui permettent d’alimenter le site non seulement en termes de logistique mais aussi en termes d’approvisionnement des appareillages scientifiques et qui sert de lien entre le bord de côte et le plateau… Nous nous sommes par­tagé les deux types de dessertes, la desserte lourde qui a lieu entre Dumont-d’Urville et Concordia par le biais de ce qu’on appelle les raids terrestres lourds, qui ont permis d’acheminer 4 000 tonnes de matériel sur site, nos collègues italiens ont pris plutôt en charge, depuis leur propre station, les liaisons aériennes légères, sachant qu’un avion, un petit avion, transporte une dizaine de passagers, et est très dépendant du temps. Alors que les raids terrestres lourds passent par, par n’importe quel temps.

Jean Duprat – Donc une fois arrivés à Dôme C, eh bien le but est de monter dans un premier temps un laboratoire de terrain qui soit pour nous le plus propre possible, là on s’est installés dans un bout de tente, en fait, qu’on a isolé des poussières, avec un système de bâches, donc c’est assez rudimentaire, mais ça marche assez bien, et où on a installé notre laboratoire, qui nous permet, une fois qu’on a fait nos prélèvements de neige, de revenir au laboratoire et de fondre cette neige. Ce qu’on a développé pour ça, c’est un système expérimental de double cuve. Donc on met la neige dans cette cuve interne qui est très propre, et ensuite, avec un système d’échangeur thermique, on va chauffer cette cuve, avec un circulateur d’eau, externe, et on va fondre la neige le plus rapidement possible et une fois que la neige est fondue, on va la filtrer, donc on fait passer plusieurs mètres cubes dans des filtres de 30 microns et on le fait le plus doucement possible pour éviter les contraintes mécaniques, pour retrouver les grains les plus fragiles, c’était un des buts de l’expérience. On a commencé au départ par faire des prélèvements de surface de neige, puis on s’est aperçus que c’était pas évident pour deux raisons, la première chose c’est que la manipulation elle-même de la neige de surface n’est pas très simple, parce qu’on, essentiellement ce qui se passe, c’est qu’on est toujours au-dessus de l’échantillon à prélever, donc on a une chance assez grande de le contaminer, et l’autre point c’est que les échantillons de surface, y faut s’éloigner finalement assez loin de la base pour ne pas être pollué par les rejets des engins et donc pour avoir des, être certains d’avoir de la neige qui est extrêmement propre, la solution est assez simple, à Dôme C, ça consiste à creuser une tranchée, donc on fait ça avec un engin, on creuse des tranchées assez imposantes qui peuvent faire une trentaine de mètres de long, 5 mètres de profondeur, à peu près 4-5 mètres de large, et on va en fait travailler dans cette tranchée, ce qu’on va faire c’est que dans un premier temps, on va nettoyer la paroi, puis que la tranchée a été creusée avec un engin, donc on passe pas mal de temps à la main, avec une scie, à nettoyer cette paroi, et ensuite une fois que c’est propre, qu’on a accès à de la neige pro­pre, on va aller prélever des échantillons de neige dans cette tran­chée, qu’on va mettre dans des bidons qui sont préalablement net­toyés à l’alcool et on va, on va prélever notre neige comme ça, dans des couches de neige qui datent à peu près des années 60, 70… Le résultat qu’on obtient, c’est que pour les fontes les plus propres, eh bien pratiquement une particule sur deux est d’origine extra-terrestre. Ça veut dire que l’essentiel de la poussière qui est contenue dans la neige antarctique, pour des particules au-dessus de 30 microns, l’essentiel de ce matériau est un matériau extra-terrestre. Pour retrouver le matériel terrestre, les poussières terrestres, il faut aller dans des fractions en taille beaucoup plus petites. Si on, si on descend à quelques microns, alors là on retrouve la poussière terrestre qui elle a pu arriver jusqu’au centre de l’Antarctique. Ce qu’il faut voir, c’est que le centre de l’Antarctique est caractérisé par un régime, en fait, de vents, qui est en fait comme la glace, c’est-à-dire qu’on part du centre et on va vers l’extérieur du continent. C’est-à-dire qu’en fait au centre on a un régime climatique qui est en fait très peu perturbé, où on a très, finalement peu de vent, heureusement d’ailleurs parce qu’il y fait très froid, donc si jamais y avait beaucoup de vent, ce serait, ce serait particulièrement pénible, et le vent en fait augmente lorsqu’on arrive à la côte, on a un régime de vents catabatiques, qui peut être très violent à la côte, et ça pour nous c’est très intéressant, parce que ce qui se passe, c’est que ça fournit dans la région centrale antarctique, finalement, une salle blanche ! On a une véritable salle blanche naturelle où seules les particules terrestres les plus petites, c’est-à-dire les particules de quelques microns, sont capables d’aller au centre. Et donc nous comme on regarde des particules qui sont plus grosses, au-dessus d’une trentaine de microns, eh ben on a, on a très, très peu de pollution terrestre.

Anne Papillault – Comment on fait la différence ? Comment on sait ?

Jean Duprat – Comment on sait que c’est extra-terrestre ? Alors, à l’entrée atmosphérique, ces poussières en fait donc interagissent avec la haute atmosphère quand elles s’arrêtent et il se forme en fait une coquille qu’on appelle de la magnétite, qui est un oxyde de fer, où le fer de l’objet réagit avec l’oxygène de la haute atmosphère et y forme cet oxyde. Et donc ça, déjà, ça a une couleur noire, c’est-à-dire on reconnaît le grain, il est légèrement noir, l’autre chose, sur les images de microscopie à balayage, on peut analyser la composition du grain et on voit sur, à la surface de ce grain, cette petite couche de magnétite qui est vraiment une signature de l’entrée atmosphérique. Et ça, c’est un signe très clair de matière qui est interplanétaire, extra-terrestre, qui est rentrée dans l’atmosphère.

Cécile Engrand – Ça, c’est une surface extérieure de grain qui est prise au microscope électronique à balayage, et donc on voit que c’est des grains très floconneux, qui sont en fait très fragiles, donc c’est collecté dans les neiges du Dôme C, et c’est une nouvelle, pour nous c’est une nouvelle famille de, une nouvelle population de grains… Parce qu’on les avait pas, ces grains, avant, ils sont trop fragiles, donc là c’est un deuxième exemple… C’est un grain, bon, qui est composé de millions de grains individuels, alors tout ça c’est collé ensemble par une espèce de gangue carbonée, donc ça c’est encore un exemple… Et en fait, quand on fait, alors je dois avoir… Quand on fait une section de ces grains-là, donc ça c’est pas non plus un très bon exemple, mais bon, j’en ai pas d’autres sous la main… Donc quand on fait une section de ces grains pour voir l’intérieur, en fait, on peut, donc ça c’est un grain qui a un peu chauffé, lors de l’entrée atmosphérique, ça se voit parce que y a une coquille de magnétite là autour, qui se forme lors de l’entrée atmosphérique, donc ce qui apparaît en blanc, mais on voit quand même que le grain il est très, très, très poreux, très… Formé de petits grains qui sont très, très nombreux, et donc c’est vraiment un agrégat mécanique qui s’est formé dans la nébuleuse solaire, tout au début, ces grains-là ils sont absolument jamais été refondus, depuis leur formation, donc c’est vraiment des archives de ce qui s’est passé dans le système solaire depuis 4,4 milliards d’années…

Jean-François Dars – C’est-à-dire depuis sa naissance…

Cécile Engrand – Depuis sa naissance, voilà…

Commentaire – Cécile a aussi participé à la deuxième campagne de collecte, en janvier 2002. La manière de voyager est toujours la même et comme d’habitude le comité d’accueil officiel était présent à Dumont d’Urville. Et comme d’habitude, le vaillant Twin Otter et ses merveilleux pilotes nous ont emmenés d’un coup d’aile rejoindre Dôme C. La base scientifique Concordia avait bien poussé entre-temps, elle était désormais presque achevée.

Pour notre part, instruits par les résultats de la première campagne, nous comptions améliorer encore notre méthode. C’est ainsi que sitôt extraite de la tranchée, la neige était fondue, filtrée, les poussières recueillies et immédiatement classées après premier examen au binoculaire.

Jean Duprat – L’énorme avantage de Dôme C, des régions centrales antarctiques, parce que la station a été construite là, pour cette raison-là, on est sur un dôme d’accumulation. Donc on est à un endroit où donc la neige s’accumule de façon régulière, avec une stratigraphie régulière, et il en tombe très peu, c’est-à-dire on a un taux d’accumulation très faible… C’est de l’ordre de 3 cm ½ d’eau, d’équivalent eau, par an. Donc ça fait une dizaine de cm de neige. C’est extrêmement sec. Ça veut dire essentiellement, ce qui se passe, c’est qu’il neige jamais ! Il tombe des petits cristaux, ça fait, au bout d’une année, ça fait 10 cm. Donc c’est une zone, avec une stratigraphie très régulière, un taux de précipitation très régulier, qui est bien connu, qui a été mesuré par les glaciologues, et donc ça veut que c’est un endroit où si on fond un volume de neige donné, eh bien on sait, de façon précise, c’est un des endroits où on va pouvoir le savoir de la façon la plus précise, à quoi correspond ce volume de neige en termes de surface exposée. Un autre avantage, c’est que on va pouvoir, et c’est un des rares en­droits où c’est possible, on va pouvoir aussi dater le temps de chute : si on fait un prélèvement, disons, sur une quarantaine de centimètres, comme ce qu’on fait sur les tranchées, on va pouvoir dater la chute de l’objet à cinq ans près, à peu près. Et c’est des objets, si on travaille à 3-4 mètres de profondeur, c’est des objets qui sont tombés au cours du siècle dernier. Il s’agit, ce qu’on est en train d’échantillonner à Dôme C, c’est le flux contemporain de micrométéorites, c’est le flux actuel de micrométéorites qui tombent sur Terre. Un autre avantage, on est toujours très large­ment en dessous de zéro, donc les poussières ne voient jamais l’eau ! Elles sont prisonnières d’une neige très pure, sans contrain­tes mécaniques et sans altérations aqueuses. La neige les protège, c’est-à-dire que c’est des collectes qui se font dans de la neige, et pas dans de la glace. Et donc du coup, on a des grains qui sont très protégés.

Cécile Engrand – Nous les objets qu’on regarde ils sont petits, ils font entre 20 et 100 millionièmes de mètre… Millièmes de millimètre… Et pour pouvoir analyser ces choses-là, il faut avoir des techniques d’analyse très précises et très ponctuelles… Et cette machine, donc, une microsonde ionique, c’est actuellement le seul instrument qui permette de faire ces analyses à cette échelle-là ! On appelle ça sonde ionique parce que, sonde parce que c’est un petit pinceau très fin, donc qui va aller sonder le matériau, en fait on dit microsonde parce que c’est un pinceau microscopique qui fait de l’ordre de dix millièmes de millimètre, et ensuite ce pinceau, il arrive avec une énergie assez grande, donc il va aller pulvériser la matière, et c’est cette matière pulvérisée qu’on va ensuite trier et peser dans le spectromètre de masse… Donc c’est, cette matière elle est sous forme d’ions, donc c’est pour ça qu’on dit microsonde ionique… Et on la met sous forme d’ions, parce que c’est la manière en fait de pouvoir la diriger comme on veut avec des champs électriques et des champs magnétiques…

Georges Slodzian – Et ce faisceau d’ions, c’est un ion primaire, il arrive sur les atomes et il provoque des collisions en cascade, un peu comme vous envoyez une boule dans un jeu de quilles, vous voyez, toutes les boules s’en vont, et quelques-unes, parmi toutes les quilles, pardon, quelques quilles vont sortir de la piste et on sera obligés de les ramasser à l’extérieur. Ben là, c’est un tout petit peu la même chose, quand on envoie un faisceau d’ions, il va bousculer tous les atomes et certains de ces atomes bousculés vont sortir de l’objet et se retrouver à l’extérieur. Alors, on pourrait analyser ces atomes, c’est pas très commode, et au lieu de, de prendre ces atomes qui en général sortent neutres, on s’intéresse à la petite fraction qui est ionisée. C’est-à-dire que vous avez un atome d’aluminium, bousculé, il va sortir, il va rester à l’état d’aluminium. Mais certains vont avoir la bonne idée de perdre un électron, devenir un ion positif. Alors dès que les particules quittent l’objet, chargées, on peut les manipuler facilement, parce qu’on peut les accélérer, on peut les refocaliser, et on peut les envoyer dans un spectromètre de masse, et par conséquent, un spectromètre de masse c’est comme une balance, ça vous mesure le poids, la masse de l’atome, et par conséquent va reconnaître l’atome par sa masse… On les pèse, on dit, tiens, celui-là il a le poids d’un aluminium, celui-là il a le poids d’un cuivre, celui-là, il a le poids d’un magnésium…

Jean Duprat – Et alors ce qu’on distingue, donc, c’est qu’on a essentiellement du magnésium, du silicium, bon ici un petit peu de calcium, du fer et du nickel. Et donc ça, c’est ce qu’on appelle le pattern chondritique, c’est-à-dire c’est vraiment la composition moyenne du système solaire. Donc ça, c’est un signe très clair de matière extra-terrestre, en particulier c’est une matière qui est, par rapport à la matière terrestre, très riche en fer, et en nickel

AP – Le fer est au centre de la Terre…

Jean Duprat – Le fer, normalement, est au centre de la Terre, donc y en a beaucoup moins, là on a des roches qui sont très riches en fer et en nickel, et le nickel, c’est pareil, c’est très rare sur Terre, l’essentiel est parti… Parti au sens, il est au centre de la Terre… Plus le corps est petit, plus il va, moins il va être modifié à l’entrée atmosphériques parce qu’en fait on va pouvoir l’arrêter assez facilement. Et ça, c’est intéressant, c’est-à-dire en fait, il va perdre son énergie, beaucoup, enfin c’est plus facile d’arrêter une motocyclette qu’un camion… Et donc… C’est un problème d’inertie. Et donc le, trouver un corps, c’est-à-dire les petits corps vont être moins modifiés à l’entrée atmosphérique et donc y vont, l’information va être mieux préservée. Voilà. Les météorites, pour celles dont on a reconstruit l’orbite, elles viennent toutes du même endroit, elles viennent de la ceinture d’astéroïdes, c’est une planète, en fait qui a avorté, qui a pas pu se faire, juste à côté y a Jupiter avec une masse énorme qui a fortement perturbé son environnement. Si on regarde le système solaire, maintenant à plus grande échelle, la ceinture d’astéroïdes, donc située entre Mars et Jupiter, c’est vraiment nos voisins immédiats, c’est juste à côté de nous… Donc une des questions qu’on se pose et c’est une des raisons pour lesquelles trouver de la matière cométaire c’est important, c’est essayer d’avoir des objets qui justement ne viennent pas de là. Et un autre réservoir du système solaire, de matière qui doit tomber sur Terre, c’est les comètes. Et les comètes c’est particulièrement intéressant, puisque on est là, enfin, c’est des corps qui échantillonnent une partie du système solaire, qui cette fois-ci est très éloignée L’espoir c’est que les comètes contiennent de la poussière qui a été très peu modifiée depuis le début du système solaire… C’est-à-dire dans l’idée schématique qu’on s’en fait, les comètes, donc c’est des boules de glace et de poussières, elles se forment à un certain endroit du système solaire, a priori plus proche que l’endroit où elles sont actuellement, et elles auraient emprisonné dès le début, enfin au moment de leur formation, une poussière qui a été très peu modifiée. Et ensuite elles agiraient comme des grands réfrigéra­teurs, où elles stockent cette poussière pendant des milliards d’année, et ces comètes sont actuellement confinées au fin fond du système solaire, elles sont stables sur leurs orbites, et puis comme elles sont situées très loin, elles sont soumises à des pertur­bations de l’environnement proche du système solaire, et certaines d’entre elles sont déséquilibrées par des petites perturbations puis rentrent dans le système solaire, dans le système solaire interne. Et là, quand elles s’approchent du Soleil, on voit bien la traînée de pous­sière qui a derrière elles, la glace se sublime, et elles relâchent leur poussière.

Commentaire – Lors de la troisième expédition, l’amélioration des procédés de collecte permet une récolte encore plus abondante et de meilleure qualité, grâce notamment à un nouveau système de fondoir. Matthieu Gounelle, lui-même spécialiste des météorites de toutes les tailles, est cette fois du voyage. Il est également impliqué dans la mission Stardust, la sonde envoyée par la NASA pour traverser la queue de la comète Wild 2. Il va bientôt être possible de comparer les échantillons rapportés par la sonde spatiale avec ceux prélevés lors des campagnes polaires.

Matthieu Gounelle – Donc la sonde spatiale Stardust est passée dans cette queue cométaire et au moment de son passage a déployé des détecteurs qui ressemblent un petit peu à des raquettes de tennis, remplies de cellules d’aérogel, et les poussières ont impacté avec une vitesse relative assez grande, les ingénieurs ont évidemment cherché à ce que cette vitesse soit la plus faible possible pour limiter les dégâts, l’endommagement des poussières, donc il y a une vitesse relative de quelques km/s, de 6 km/s, je crois, ensuite, le collecteur est rentré dans la sonde spatiale et la sonde est revenue vers la Terre, et donc le 15 janvier 2006, a atterri dans le désert de l’Utah, après que deux parachutes se sont déployés pour la freiner dans l’atmosphère… Et donc c’est des poussières extrêmement petites donc c’est extrêmement difficile à manipuler, les poussières sont extrêmement difficile à extraire, de l’aérogel, pour certaines d’entre elles, elles ont quand même relativement, elles ont été quand même pas mal endommagées par l’impact avec l’aérogel, donc elles sont pas intactes, donc toutes ces choses-là font que les études sont un peu lentes, mais pour le moment la chose la plus importante à mon sens que l’on ait apprise, enfin, c’est que ces échantillons de comète possèdent des phases qui se sont formées à très haute température, qu’on appelle des inclusions réfractaires, réfractaires parce que ça s’est formé à très haute température, et ces phases-là, très peu de gens s’attendaient à les trouver dans les comètes, parce que comme ce sont des objets formés très haute température, ce sont des objets qui sont formés près du Soleil, et en revanche on pense que les comètes sont formées très loin du Soleil. Le grand défaut, entre guillemets, des météorites et des micrométéorites, c’est qu’on ne sait pas de quels corps elles proviennent… à quel endroit du système solaire ça a été formé, si ça a été formé près, si ça a été formé loin, d’où ça provient ! Et donc ça, seules les missions de retour d’échantillons peuvent nous donner ça : elles nous procurent des pierres de touche, avec lesquelles on va pouvoir comparer nos objets !

Cécile Engrand – Là je regarde en fait des images de micrométéorites qu’on a ramenées de Concordia… Et en fait ce grain-là, il est très particulier, parce que on a à l’intérieur donc toute cette partie plus sombre, là, qui est en fait ce qu’on appelle une inclusion réfractaire… Donc c’est un minéral qui s’est formé tout au début dans le système solaire, c’est d’ailleurs grâce à eux qu’on arrive à dater la formation du système solaire… Et c’est des minéraux qui sont formés à très, très haute température, donc tout près du Soleil… Et ce qui est intéressant, donc, dans ces minéraux, c’est qu’ils ont des compositions un peu particulières, qui nous donnent des informations sur le, vraiment, les tous premiers instants du système solaire, et très récemment, dans les analyses de matériau cométaire qui ont été ramenées par la mission Stardust, on trouve ce genre de phases, qui sont très réfractaires… Alors ça, ça a été une grosse surprise, parce qu’on s’attendait, dans des régions de formation de comètes, à avoir des grains formés à basse température, puisqu’il fait très froid… Alors que ces phases-là sont formées à très, très haute température… Donc ça implique que ces grains ont été éjectés par des systèmes probablement de ce qu’on appelle de vents extraordinaires, du système solaire interne, donc tout près du Soleil, vers le système solaire externe, dans la région de formation des comètes… Donc ça, c’est peut-être une micrométéorite cométaire…

Commentaire – Le retour d’échantillons de la mission Stardust est en train d’établir de manière irréfutable la nature du matériau cométaire. Et il est possible que les neiges des régions centrales antarctiques nous en procurent dans les années qui viennent un réservoir inépuisable.

L’analyse isotopique de ces micrométéorites va nous permettre de comprendre comment, enfouis au cœur d’un nuage de gaz et de poussières, notre étoile et son cortège de planètes se sont formés il y a 4,5 milliards d’années.

30 min 23 s

A trois reprises de 2000 à 2006, Jean Duprat, physicien au CSNSM d’Orsay, s’est rendu avec son équipe à Concordia, la base scientifique franco-italienne du Pôle Sud, afin d’y collecter des micrométéorites, en fondant la neige qui les contient.

Le but est de comprendre, grâce à des poussières témoins des premiers moments du système solaire primitif, comment notre étoile et son cortège de planètes se sont formées il y a 4,5 milliards d’années.