NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

PARIS-KERTÉSZ

10 minutes – 1982 – avec la participation de Robert Doisneau et Christian Caujolle

Dars / Papillault
6 Mar, 2011
Tapuscrit...

André Kertész – Alors nous allons dans la cour…

Commentaire – André Kertész avait photographié la terre entière. Depuis 1925, il revenait sans cesse à Paris. Les rues, comme de grosses aiguilles, lui indiquaient s’il était midi ou minuit dans le siècle.

André Kertész – Restez, restez… Le lens n’est pas assez long…

Commentaire – En échange d’un bloc de lentilles, Kertész avait acquis des pouvoirs inattendus : devenir à volonté l’ombre de soi-même, ou plier les fleurs sous son regard, ou encore rendre l’année 1914 célèbre pour de bon, comme année de la toute première photo de nuit, ou se faire accepter comme un maître par Cartier-Bresson en personne, ou enfin garder à jamais dans les sels d’argent le souvenir du visage de sa femme, Elisabeth.
Kertész avait inventé un art paradoxal : l’instantané à retardement. Une photo, il la repérait, la méditait, la rêvait aussi longtemps que nécessaire jusqu’à ce qu’enfin la réalité veuille bien rejoindre l’imagination, en projetant la bonne lumière sur la bonne silhouette au bon moment. Il fallait en outre être là, prêt à appuyer sur le bouton fatidique. Il était venu ainsi plusieurs fois de New York au square de Cluny, un peu comme un pêcheur relève ses filets, et prêt à y revenir autant de fois qu’il le faudrait.

Christian Caujolle – Pourquoi c’est mieux quand il y a de la lumière ?

André Kertész – Parce qu’il y a du shadow !

Christian Caujolle – À cause des ombres !

André Kertész – Des ombres ! Y a des ombres… Comme ça, ça perd, vous avez du material très homogen, c’est un gris… Avec du soleil, vous avez des modulations ! … C’est tout !

Christian Caujolle – C’est tout…

André Kertész – C’est tout ici…

André Kertész – C’est absolument fantastique, tu vois ? Absolument formidable… Excellent ! Excellent… … … C’est, j’ai fait première fois dans ma vie en 25 les chaises, de Luxembourg…

Christian Caujolle – Ici !

André Kertész – Oui, c’est ça, ça j’ai fait des chaises de Tuileries, des chaises de Champs-Elysées, j’ai fait tout, tout…

Christian Caujolle – Tu as fait toutes les chaises de Paris ?

André Kertész – Oui, celles de 25, 26, 27… Une après l’autre…

Commentaire – Quand Kertész était là, les maisons prenaient le train, les fourchettes mordaient leur ombre à belles dents, les passants projetaient leurs échos sur les murs, les autobus transportaient des regards. Bien entendu, il appelait cela « photographier de petits riens »…

Christian Caujolle – Mais c’est Robert Doisneau !

Robert Doisneau – Salut André ! … Tu vas bien ?

André Kertész – Enchanté, tu vois…

Robert Doisneau – Ils t’ont fait prisonnier à Paris ?

André Kertész – Ces derniers quelques jours…

Robert Doisneau – Eh ben c’est bien…

André Kertész – Je pars dimanche…

Robert Doisneau – Quelle veine de te voir, c’est marrant, ça !

André Kertész – Qu’est-ce qu’avec toi ?

Robert Doisneau – Hein ?

André Kertész – Qu’est-ce que tu fais à Paris ?

Robert Doisneau – J’attends quelqu’un qui est en retard !

André Kertész – C’est moi qui…

Commentaire – Robert Doisneau, qui est aussi un grand photographe, partage avec Kertész le même amour nostalgique de Paris. Le hasard remettait en présence deux voyageurs éternels dans un café du Luxembourg, un matin d’automne. Robert Doisneau, comme à son habitude, s’émerveillait.

Robert Doisneau – Et vous avez vu le rythme différent qu’il a… Enfin, c’est grâce à ça qu’il fait des images extraordinaires, il prend vraiment beaucoup de temps pour aimer les choses, c’est pas du tout… C’est pas du tout le… le vibrion pressé, hein, il a vraiment… un sens du temps…

André Kertész – Je ne regarde pas, je vois… C’est deux différentes choses… Ça arrive, ça arrive… Je ne cherche pas. Then, vous voyez, dans tous les cas, y a toujours quelque chose qui creating dans vous, quelque chose… Mais c’est pas la peine faire toutes les choses pour image… C’est impossible. Pour moi-même trop, et pour qui ? Vous comprenez ? C’est pour qui, c’est, y a pas de raison…

André Kertész – À l’âge à peu près six ans, a commencé des photos dans la family, vous savez, des caméras dans l family. Alors dans les family réunions, nous avons une caméra, alors j’ai aussi fait push the button etc., et j’ai décidé, plus tard, quand je fais mon l’argent, après baccalauréat, etc., j’achetai the camera… Et effectivement ça c’est ce qui est arrivé… Et pendant les sept ans, pas comme une détermination, but, j’ai vu des différentes choses, oh, ça c’est charmant, oh, ça c’est charmant… Si j’ai the camera plus tard, je ferai ça, je ferai ça, je ferai ça, et sans le savoir, j’ai développement instinctivement a composition feeling, pas seulement, but the timing too… Ça c’est the bon moment, ça c’est the bon moment… Et vraiment quand à la fin j’ai commencé, 1912, photographier mes compositions exactes… C’est vraiment surprenant, c’était exact, c’était bien comme ça, c’était comme ça, comme ça… Tu as vu comment j’ai fait ? Juste came out !

Commentaire – Dans les profondeurs des poches de son imperméable, Kertész dissimulait un nombre insoupçonné d’objectifs, de boîtiers, de filtres. C’est ainsi qu’il avait fixé les images de déluge de la Première Guerre Mondiale et qu’il s’apprêtait à faire face au déluge d’images du XXe siècle finissant, tandis que le temps coulait pour lui sous les ponts de la Seine.

10 min 40 s

Les premières images d’André Kertész datent d’avant le déluge de feu de la Première Guerre mondiale. Il n’a cessé depuis de photographier, y compris au temps des déluges d’images qui nous ont désormais proprement anesthésiés.

Celui qui a appris à Brassaï à faire des photos de nuit et à Capa à faire des photos tout court disait, dans un mélange franco-américain à structure hongroise : « Il y a toujours quelque chose en moi qui creating quelque part… Mais c’est pas la peine faire toutes les choses pour l’image… Pour moi-même trop, et pour qui ? »