LA RÉAPPARITION DE MAJORANA
Le retour d’un génie de la physique qui pensait au début du XXe siècle les problèmes du XXIe
Tapuscrit...
Etienne Klein – Ettore Majorana, c’est un physicien italien qui est né en 1907 et qui a disparu mystérieusement à l’âge de 31 ans, le 26 mars 1938, physicien de génie, qui a collaboré avec Enrico Fermi à Rome et qui a produit des travaux de physique théorique extraordinaires, qu’on redécouvre aujourd’hui, dont certains étaient prémonitoires, il a par exemple anticipé la physique des années 60, en matière de physique des particules, et beaucoup de discussions portent sur sa disparition, est-ce qu’il s’est suicidé, est-ce qu’il a fui, est-ce qu’il a été enlevé, pourquoi l’a-t-il fait, etc., et toute cette littérature portant sur cette disparition et sur les mystères qui l’entourent ont occulté sa production scientifique, qui a été absolument extraordinaire, on pourrait parler d’un Mozart de la physique, incompris des ses pairs à l’époque, ce qui a d’ailleurs provoqué en lui un sentiment de solitude absolu, il ne pouvait pas communiquer, même pas avec Fermi, et on peut défendre l’idée, sans la prouver, que il a cherché à envoyer des missiles vers le futur, c’est-à-dire il a essayé de faire en sorte que ses travaux, dont il savait qu’ils ne pouvaient pas être compris par ses contemporains, il s’est arrangé pour les, faire en sorte qu’ils soient retrouvés plus tard, soit en les donnant à des étudiants, qui les ont soigneusement rangés et ensuite donnés à des historiens, soit en les cachant de façon telle qu’on allait les découvrir un jour ! On a découvert beaucoup de choses, notamment une malle qui contient beaucoup de documents. Je pense qu’on a un accès relativement exhaustif à ce qu’il a produit intellectuellement, je pense qu’il est le premier, avec des gens comme Weyl, ou Wiegener, à vraiment comprendre l’importance des symétries en physique… Et puis, une espèce de sentiment que la puissance des mathématiques en physique n’a pas de limites. Et qu’en trouvant, un peu comme Dirac, hein, en trouvant les bonnes équations, on allait comprendre toutes sortes de phénomènes.
Et puis en 2007, il y a eu à Catane un grand colloque pour célébrer le centenaire de sa naissance… Peut-être qu’il est encore vivant, Majorana ! Enfin, on peut rêver, mais en tous cas, on sait pas quand il est mort, hein… Et je pense que c’est quelqu’un dont la personnalité, la biographie et le travail, même s’il a été bref, obligent à interroger la physique sous tous ses aspects ! Aspects théoriques, aspects expérimentaux, implications dans la société, implications pour la guerre, la défense… L’armement… Les questions éthiques… La question de la place de la physique par rapport aux autres sciences… Il a écrit par exemple un article sur les sciences sociales : et c’est un papier absolument fascinant, qui pose la question de savoir jusqu’à quel point on peut mathématiser les sciences sociales. En s’inspirant par exemple de la physique quantique… Et ce qui serait un scénario idéal, c’est que Majorana réapparaisse, non pas comme personnage vivant, mais par le biais de découvertes qu’il a anticipées, par exemple, si le LHC du CERN découvrait une particule qui serait sa propre antiparticule, qui serait une particule de matière, une particule supersymétrique, comme on dit, alors Majorana pourrait être considéré comme le théoricien qui a prédit l’existence d’un tel objet et ça serait absolument merveilleux parce que cette particule, si elle existait, pourrait être la solution du problème de la matière noire, c’est-à-dire d’un problème qui à l’époque de Majorana ne se posait pas…
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Physicien, directeur du LARSIM au CEA de Saclay, professeur à l’École centrale, spécialiste des questions du temps en physique et auteur d’une longue liste d’ouvrages où la morale se rappelle souvent au bon souvenir de la science, Étienne Klein remet au premier plan la figure d’Ettore Majorana, génie tourmenté de l’Italie de l’entre-deux-guerres, mystérieusement disparu en 1938 alors qu’il abordait des problèmes de physique des particules impensables à son époque, que les grands instruments du CERN s’apprêtent peut-être à résoudre.