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Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

Le miroir sous la cloche

8 minutes – 2003

Dars / Papillault
4 Mar, 2011
Tapuscrit...

Au fond d’un télescope, admirable merveille,
On trouvera toujours un miroir qui sommeille.
Mais tout miroir, hélas, finit par se ternir.
Pour qu’il reste brillant, il faut l’entretenir :
Poussières et pollens, voire gouttes de pluie
Altèrent son éclat, l’oxydation aussi.

Et voilà donc pourquoi, chaque dix-huit mois,
Du Cent-Quatre-Vingt-Treize on soigne le minois.
C’est un miroir primaire, premier en importance,
De tout l’Observatoire de la Haute-Provence.

L’ensemble de l’affaire dure trois jours entiers.
Car pour le nettoyer, il faut tout désosser.
On amarre l’engin à l’aide de haubans.
Il faut être prudent avec cet instrument :
Quand on ôte un miroir d’une tonne deux cents
On peut voir basculer le reste brusquement.
On démonte Élodie, le spectrographe qui
Avec ce télescope, observant l’infini,
En mil neuf cent quatre-vingt quinze découvrit
Un objet qui fit date dans l’astronomie.
Cinquante-Et-Un Pégase ! C’était une planète !
Mieux ! C’était la première des exoplanètes !
Enfin on connaissait grâce à cet appareil
Un objet dont l’étoile n’était pas le Soleil !

Élodie démonté, on pourra pour de bon,
Après avoir défait une armée de boulons,
Séparer le miroir d’avec le télescope.
Contrairement à ceux qu’on vend dans les échoppes,
Et qu’on installe ensuite dans nos salles de bains,
Un miroir astronomique n’a pas de tain.
Sa couche métallique est posée en surface,
Non derrière le verre. Il faut donc que l’on fasse
Régulièrement raluminer le tout,
Sans quoi le télescope serait plutôt mou.
Et cela n’est pas rien : deux mètres de diamètre
Avec une épaisseur de vingt bons centimètres,
Le tout en verre pur, coulé par Saint-Gobain.

Il est temps à présent de le mener au bain,
Et après l’avoir fait passer sous les liquides,
De l’installer enfin dessous la cloche à vide.
On le lave à grande eau, avec du détergent.

L’on fait partir l’aluminium réfléchissant
Par l’emploi généreux de la soude caustique.
On rince et l’on dégraisse à l’acide nitrique.
On rince sans compter et l’on re-rince encore
Et à l’eau distillée on conclut son effort.
Il faut enfin sécher et surtout essuyer.

Dans la cuve sous vide une fois installé,
Le miroir est traité en deux heures de temps.
C’est de l’aluminium fixé sur filaments
Qui est vaporisé par métallisation
Sur toute la surface et l’opération,
En six fois, chaque fois de quarante-cinq secondes,
Le rend brillant comme un diamant de Golconde.
Propre comme un sou neuf, c’est deux heures plus tard,
Qu’il nous revient enfin, aveuglant les regards.

Il ne faut plus que le rehisser à l’étage
Où l’attend la coupole. Après quelques réglages,
Et dans le sens inverse, et si l’on a veillé
A bien reboulonner et à bien revisser,
Il n’y a plus qu’à remonter le spectrographe
Ou tout autre instrument se terminant en « graphe ».

Et lorsqu’on a enfin détaché les haubans,
On amène l’engin horizontalement :
Le miroir remonté, il serait trop dommage
Qu’un défaut oublié altérât son image.

Tout est réinstallé, tout est bien rebranché,
Le Cent Quatre-Vingt-Treize est prêt à observer.
Fugace exoplanète ou galaxies en fuite
N’ont qu’à bien se tenir, car pour encore dix-huit
Mois, le télescope est en opération.
Ça lui laisse le temps de la réflexion.

7 min 3 s

Tous les dix-huit mois, on démonte, nettoie, réalumine sous une cloche à vide puis remonte le miroir du grand télescope de 192 cm de l’Observatoire de Saint-Michel de Haute-Provence, une opération qui requiert l’énergie et le sang-froid des manipulateurs de meules de gruyère alliée à la délicatesse des polisseurs de lentilles.