CHORALS ET LASER
Déchiffrer la musique, déchiffrer la nature.
Tapuscrit...
Antoine Browaeys – Moi y a des pièces que j’aime bien, c’est des petits chorals… Alors c’est des petites pièces, Bach en a écrit, en a écrit à peu près cent cinquante, et c’est des pièces d’une page, seulement… Et alors c’est vraiment extrêmement ciselé… Et alors je sais pas pourquoi j’ai pensé à ça, mais il y a quelques mois on avait, on a écrit un article, sous la pression, et alors, bon, en général ce qui se passe, on écrit un premier jet et puis après on en discute et puis avec un collègue on s’est dit, « Non, on l’envoie pas, c’est pas ciselé, c’est pas présentable comme ça… » Donc c’est un peu, c’était du niveau du déchiffrage, pour moi c’est exactement ça, c’est-à-dire qu’après, y a tout le travail où y faut trouver l’articulation, comment ça joue, la finesse, alors donc dans un article, ça veut dire l’enchaînement des arguments, la rigueur des idées, est-ce que tel détail est absolument nécessaire, ou pas, donc vraiment arriver à épurer la pièce, et ça, travailler ces pièces-là, ces chorals, c’est exactement ça, en fait, c’est arriver à… à ciseler la pièce, à ciseler les détails, qu’on entende chaque fois, qu’on arrive à vraiment entendre ce qu’on veut dire…
Alors nous, c’est un peu l’idée de la simulation quantique, bon évidemment c’est à très petite échelle, pour l’instant, ce qu’on essaie de faire, c’est de maîtriser un système modèle en contrôlant le nombre d’atomes qu’on y met, et en contrôlant les interactions entre ces atomes. Parce que ce qui fait la richesse de la physique, c’est, y faut aller au-delà de comprendre juste une particule. Y faut en prendre deux et les faire interagir, c’est ça qui en général est intéressant… Voilà, donc nous, on essaie de maîtriser l’interaction entre des atomes, qui sont à relativement grande distance, donc typiquement, quand on a des atomes qui sont situés à quelques micromètres de distance, ils interagissent pas, parce que les atomes, c’est neutre, donc y a pas d’interaction électrostatique directe, c’est une interaction extrêmement faible, et donc avec des lasers on essaie de créer des dipôles, de façon à ce que ces dipôles deviennent des dipôles géants et que les particules puissent interagir par l’interaction dipôle-dipôle, donc de cette façon-là, avec des lasers, on a une sorte de bouton qui permet de dire, allez, on allume l’interaction, ou on l’éteint. Tout ça se faisant à des échelles de temps très courtes, donc… Donc voilà, la problématique, c’est donc essayer d’isoler des atomes, uniques, individuels, apprendre à les piéger, apprendre à les manipuler individuellement, mais ce qui fait vraiment la richesse du domaine, c’est d’en prendre un deuxième, éventuellement bien sûr d’en prendre plus, c’est ça le but, et puis d’essayer de contrôler l’interaction entre ces deux atomes. De façon à pouvoir un peu fabriquer la matière atome par atome, en contrôlant les interactions.
Enfin pour moi, c’est d’autant plus fascinant, d’ailleurs, que quand j’étais au lycée, ce qui était quand même y a pas si longtemps que ça, mais dans les années 80, la fin, début des années 90, on me disait, on ne peut pas observer les atomes individuellement, on peut pas les voir ! Et effectivement ça faisait pas très longtemps qu’on arrivait à faire ça au laboratoire, donc c’était pas encore passé dans l’enseignement, maintenant si vous passez dans un laboratoire qui fait des ions uniques, l’ion unique que vous éclairez avec un faisceau laser, vous voyez sa fluorescence à l’œil nu, y a même pas besoin d’une caméra ! Et donc on le voit dans le sens le plus propre de ce que veut dire voir, c’est pas voir avec un microscope, qui est un instrument très compliqué, y faut récupérer la lumière, ou des microscopes électroniques, là vous avez juste votre œil, vous voyez la lumière de fluorescence, hein, en général ça fluoresce dans le bleu, donc c’est assez spectaculaire, donc…
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Physicien, chargé de recherche au CNRS, membre du groupe d’optique quantique au laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique de Palaiseau, Antoine Browaeys tente de construire la matière atome par atome, comme il déchiffre la musique note par note, ces atomes qui n’étaient il y a trente ans encore qu’une espèce de brouillard et que l’on peut désormais voir un par un à l’œil nu.