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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

L’INTERACTION HOMME-VIRUS

Comment le virus s’adapte à l’homme et l’homme aux infections virales.

Frédéric Tangy
29 Mai, 2011
Tapuscrit...

Frédéric Tangy – Donc là ce qui est très passionnant c’est d’étudier l’évolution au cours de l’histoire de l’humanité, des virus, avec l’évolution de l’homme, et comment le virus s’adapte à l’homme et comment l’homme s’adapte à ces infections virales… Et à partir de ces informations-là, comment est-ce qu’on peut manipuler ça pour se protéger des microbes, quand c’est nécessaire, et donc développer des vaccins. On va prendre l’exemple de la variole, la variole on l’a éradiquée, c’est le seul virus qu’on ait éradiqué, le dernier cas a été éliminé en 1975, au Bangla-Desh, c’est un virus qui a permis entre autres des génocides monstrueux, c’est-à-dire que toute la population amérindienne, par exemple, a été détruite à 80% avec ce virus-là, amené par les Espagnols qui venaient découvrir et exploiter les richesses de ces pays. Et si on a pas de défenses, et ça, ça dit bien l’histoire, parce que si on n’a pas de défenses contre le virus, on en meurt, très vite, très, très rapidement et on peut détruire une population entière. Là je vous ai parlé de la variole, on peut parler aussi de la rougeole, or c’est la même chose, quand il est rentré dans l’espèce humaine, ce virus-là, y a environ, on estime entre moins 10 000, moins 6 000 ans, à l’époque du grand bond, on dit, de l’espèce humaine, qui s’est mise à développer l’agriculture, les outillages, l’élevage, etc., quand on a élevé des bovins, il est passé des bovins à un virus chez l’homme, c’était la première zoonose, elle est rentrée dans l’espèce humaine, elle a fait des ravages, parce que c’est un virus qui tue, qui tue les enfants, et donc à une époque où les populations humaines étaient très loin l’une de l’autre, des petits groupes qui vivaient l’un au fond de la Bretagne, l’autre en Dordogne, un troisième en Espagne, etc. Et naturellement, quand un groupe se faisait infecter par la rougeole et que ça tournait là-dedans, qu’on perdait des enfants, eh ben ce groupe-là disparaissait de la circulation. Ceux qui ont résisté, ils ont développé une façon de se défendre contre la rougeole que n’avaient pas les autres. Et à chaque fois qu’un nouvel agent infectieux arrive, on re-développe une nouvelle technique, ça coûte à l’espèce, ça coûte à l’individu. Ça se traduit comment ? Ça se traduit que y vaut mieux couper un doigt pour garder la main, couper la main pour garder le bras et couper le bras pour garder l’individu… C’est comme ça qu’on réagit pour se défendre des micro-organismes. Et de la même manière, après, on peut perdre une communauté pour garder une autre.

Donc les virus ont développé des outils pour combattre cette immunité. Parce que le virus, on peut pas dire de manière déterministe, qu’il a sa survie à assurer, mais il existe ! Il existe, il a une capacité folle de reproduction, par rapport à la nôtre, bien entendu, nous on fait malheureusement, au cours d’une vie, on fait une génération de descendants, bon, un virus y fait 108,12 générations par 24 heures… On n’a pas les mêmes moyens qu’ont les virus. Alors, ce qui nous passionne au labo, on étudie, c’est ces interactions ! Comment le virus se défend du système immunitaire, pour développer donc des outils qui vont permettre de lutter contre ça. Donc si on fait par exemple un vaccin typiquement à la méthode pasteurienne, identifiez le microbe, atténuez-le et injectez-le, ben aujourd’hui l’atténuer c’est pas le faire cuire un petit peu à 45° pour le rendre boiteux, c’est aller travailler directement dans le génome, sur la génétique, retirer un gène, modifier un gène, en rajouter un autre, des choses comme ça. Alors voilà, on s’intéresse à l’histoire de l’humanité, l’histoire des maladies, et quand on comprend, qu’on a cette vision large, et qu’on comprend comment telle maladie est rentrée dans l’espèce humaine, comment elle en est sortie, comment l’agent pathogène s’est muté, s’est adapté petit à petit, l’espèce humaine a inventé des outils pour se défendre, on peut de l’autre côté arriver à réinventer des nouveaux outils pour se protéger.

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Biologiste, directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire Génomique virale et vaccination à l’Institut Pasteur, Frédéric Tangy détaille les armes inégales mais variables qui ont scandé l’histoire de deux espèces triomphantes, les virus et les hommes.