COCOTTE-MINUTE ET ZÉRO ABSOLU
Comment engourdir les atomes dans des pièges au laser.
Tapuscrit...
Christophe Salomon – Une chose qui est particulièrement fascinante, c’est qu’avec des faisceaux laser, on peut refroidir des atomes à des températures très, très basses, toutes proches du zéro absolu, et c’est surprenant parce que les lasers sont utilisés pour couper, découper de la tôle, percer des trous, mesurer la distance entre la Terre et la Lune, mais cette application des lasers est assez fascinante, parce que on arrive à retirer de l’énergie aux atomes… Alors une expérience toute simple, vous illuminez une assemblée d’atomes avec des faisceaux laser qui viennent dans toutes les directions de l’espace, et vous constatez progressivement que ces atomes sont collectés dans une petite zone, dans une enceinte, qui est un peu comme une cocotte-minute, une petite zone, une enceinte à vide, comme on dit, et ces atomes ont leur vie propre, les faisceaux fluctuent, le nombre d’atomes qui sont capturés fluctuent, et on ne se lasse pas d’observer, en fait, cette assemblée d’atomes qui mène sa danse illuminée par les faisceaux laser que l’on a réglés très soigneusement pour produire l’effet de refroidissement cherché. Et ce qui est fascinant, c’est de voir que cette température, pour ces atomes, est simplement de, juste au-dessus du zéro absolu, les atomes bougent maintenant à un mètre par seconde, ou un demi-mètre par seconde, alors qu’ils ont des vitesses de un kilomètre par seconde, à la température ambiante, dans les molécules d’air qui nous entourent…
Ces particules sont toutes petites et évidemment on ne les voit pas directement, on les voit par la lumière de fluorescence qu’elles émettent, et la lumière de fluorescence, vous excitez les atomes avec un faisceau laser et ces atomes sont portés dans un niveau excité et puis ils émettent un photon, un grain de lumière, un petit grain de lumière, que vous détectez sur votre œil, et on le voit facilement sur des images qui sont là ! Et ce piège à atomes a été inventé par Jean Dalibard, en 1987, 88, quelque chose comme ça, et c’est devenu le cheval de bataille de toutes les expériences à atomes froids, la première étape pour refroidir les gaz, mais le millikelvin c’est encore très, très chaud, on va plutôt maintenant au nano degré Kelvin, donc neuf zéros et un un, au-dessus du zéro absolu, vous mettez neuf zéros et un un ! Ce qui veut dire que nos atomes se déplacent à des vitesses de quelques microns par seconde, donc c’est bien plus lent que l’escargot, évidemment, et c’est dans, dans ces situations que la matière présente des propriétés tout à fait étranges. Et ce genre d’expérience est la première étape, en fait, dans toutes les expériences de refroidissement où on veut produire des états quantiques de la matière beaucoup plus ordonnés, où les effets quantiques qui régissent le comportement de la matière à basse température, ou les interactions entre atomes, conduisent à des phases nouvelles, comme des phases superfluides ou superconductrices, transport d’électricité sans dissipation, ou le transport de fluides sans viscosité, et ça c’est l’objet de nos recherches actuellement et de beaucoup de groupes dans le monde…
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Physicien, directeur de recherche au CNRS, directeur du groupe Gaz de Fermi ultra-froids du laboratoire Kastler-Brossel de l’École normale supérieure, Christophe Salomon rêve à l’avenir d’une matière assagie par la maîtrise de ses effets quantiques.