L’EMBRYON D’UNE SOLUTION
Pour comprendre les mécanismes de colonisation des cellules souches.
Tapuscrit...
Vincent Fleury – Alors c’est très, très chaud, là, vous arrivez en plein milieu d’une expérience où y a trois personnes qui sont à leur poste sur trois ordinateurs différents, en train de piloter trois caméras et un appareil qui s’appelle un tonomètre, qui va nous permettre de mesurer assez finement les propriétés visco-élastiques, c’est-à-dire si vous voulez l’élasticité, est-ce que c’est dur, est-ce que c’est mou, d’un intestin de souris, d’un petit embryon de souris qui a une dizaine de jours de développement… Sylvie a sacrifié une souris, elle a récupéré des embryons, elle a sacrifié l’embryon, disséqué l’embryon, sorti l’intestin et là on a quelques minutes, une fois que l’intestin est sorti, pour faire des mesures physiques des propriétés mécaniques des intestins… Chacun a en gros une caméra et on filme suivant trois axes l’intestin et on vient le chatouiller avec une toute petite pointe qui fait 20 microns, enfin, à peine un cheveu de diamètre, et on mesure la déformation de l’intestin… Et à partir de là, on sait si l’intestin est dur, mou, à quel endroit il est dur, à quel endroit il est mou.
Alors ce sont des études, disons, un peu fondamentales, mais qui sont reliées à une maladie qui s’appelle le syndrome de Hirschsprung, alors c’est une maladie qui touche quand même pas mal de gens, et c’est un dysfonctionnement d’une partie de l’intestin, enfin la partie finale de l’intestin n’est pas innervée, tout simplement, donc les gens qui souffrent de ce syndrome, imaginez le problème, n’ont pas de nerfs sur le dernier mètre d’intestin… Donc les gens qui ont fait des études de cette pathologie se sont rendu compte qu’au moment où les nerfs décorent l’intestin, eh bien les nerfs s’arrêtent, dans le dernier bout, et ne colonisent pas le dernier bout ! Et des études qui ont été faites in vivo, dans lesquelles on filme les cellules souches, ont montré que les cellules souches nerveuses, les cellules qui vont faire les nerfs, elles s’arrêtent pile à un certain endroit et elles ne veulent pas aller plus loin ! Et l’impression que ça donne, mais là vous m’obligez à révéler un secret expérimental, c’est que en fait l’intestin plie, quand il pousse, et à l’endroit où il plie, ça forge une espèce de petite induration, et cette induration qui suit exactement la frontière du pli, ça crée un obstacle et les cellules peuvent pas passer à cet endroit-là, chez une personne sur cinq mille ou sur dix mille, donc ça touche quand même pas mal de gens, et si la cause de l’arrêt c’est ça, ça ouvre des perspectives pour essayer de réparer ces intestins en les re-colonisant, alors c’est un projet de plusieurs années, qu’on a, avec Sylvie, enfin c’est surtout elle qui dirige le projet, mais nous on fait la partie mécanique, ici, donc on est un laboratoire de physique, mais Sylvie est dans un laboratoire de biologie, donc elle vient avec les souris et nous on fait la physique de l’intestin de souris, et le but ultime, c’est d’essayer de réparer les cellules nerveuses, ou alors de réparer l’intestin, enfin lequel des deux y faut arranger pour que la colonisation des cellules souches sur les intestins soit possible, est-ce qu’il faut rendre les intestins plus mous ou est-ce qu’il faut rendre les cellules plus solides, ou est-ce qu’il faut faire les deux, voilà, si on pouvait faire ça, ça éviterait à des gens des opérations extrêmement mutilantes et dont le résultat est pas garanti…
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Spécialiste de morphogenèse, le biophysicien Vincent Fleury (laboratoire Matières et systèmes complexe de l’université Paris Diderot – CNRS) tente de comprendre, avec la biologiste Sylvie Dufour (Institut Curie) les raisons mécaniques pour lesquelles, dans le syndrome de Hirschsprung, les cellules nerveuses cessent de coloniser le dernier mètre de l’intestin humain. Pendant un temps très bref, des mesures sont effectuées sur un échantillon d’intestin d’embryon de souris.