MÉMOIRE DE MARS
C’est peut-être Mars qui dira quand la vie est apparue sur Terre.
Tapuscrit...
Jean-Pierre Bibring – Des questions comme sommes-nous seuls dans l’Univers, comment la vie a-t-elle émergé, a-t-elle émergé ailleurs que sur Terre, pourquoi, comment, quand ? Voilà des questions qui pendant très longtemps sont restées hors du champ de l’horizon scientifique. Et dès que l’homme s’est donné les moyens d’aller explorer l’Univers, essentiellement par le spatial, qui a démarré il y a quelques décennies, eh bien ce qu’il a essayé de faire, c’est se donner les moyens d’aller voir si c’est bien vrai qu’ailleurs il y a aussi de la vie, et les premières explorations sont parties avec cette idée que on va pas chercher s’il y a de la vie mais on va vérifier qu’il y a de la vie, tant on est convaincu que la vie existe partout, avec cette idée que bien sûr le plus abordable des mondes, c’est certainement Mars ! Et quand on regarde l’exploration spatiale, à partir des années 60, on s’aperçoit que, objet après objet, maintenant qu’on s’est donné les moyens d’aller voir sur place ce qu’ils sont, on a découvert des objets qui en rien ressemblaient à l’idée qu’on pouvait se faire avant.
Eh bien, ce qui est tout à fait remarquable, c’est que au même moment où aujourd’hui on arrive à se dire que il a pu y avoir éventuellement de l’émergence ailleurs dans le système solaire, mais que la Terre est incroyablement spécifique, on s’aperçoit que les autres mondes planétaires, dans l’Univers, les exoplanètes comme on dit, sont également des mondes extraordinairement différents du nôtre ! C’est-à-dire non seulement la Terre est spécifique dans notre système, mais notre système est spécifique dans les autres systèmes, puisqu’en particulier on voit des planètes géantes très proches des étoiles, avec bien sûr cette nouvelle question, qu’est-ce qui fait que notre propre système a pu avoir ce cheminement qui a conduit en particulier à ce que la Terre puisse survivre au cours du temps, y héberger la vie, puisqu’on sait très bien que si une planète géante avait commencé à dériver, à spiraler vers le Soleil, elle aurait tout bouffé sur son chemin, on serait pas là pour en parler. Pendant très longtemps les gens, et encore aujourd’hui pour beaucoup d’entre eux, je dirais, pensent que la vie sur Terre est née il y a 3,7 ou 3,8 milliards d’années. Pourquoi, ben essentiellement c’est parce qu’on ne sait pas ce qui s’est passé sur Terre avant, et qu’avant on est à peu près convaincus qu’il y avait énormément de bombardement, et que ce bombardement était essentiellement stérilisateur et donc que tout a démarré après. On vient de s’apercevoir que c’était certainement pas le cas, qu’effectivement il y a une très forte période de bombardement sur Terre, comme sur la Lune, sur Mars, que l’on voit encore partout ailleurs, on n’en a plus la trace sur Terre, mais avant cette période-là, il y a 4,1, 4,2, 4,3 milliards d’années, la Terre probablement hébergeait aussi un océan, et un océan en contact avec une croûte pas encore totalement refroidie, probablement très chaude, au sein duquel très vraisemblablement la vie a pu et dû émerger… Parce que au moment de ces grandes phases de bombardement qui a suivi l’apparition de l’océan, 80 % des océans ont persisté. Donc cette phase de bombardement n’a pas du tout anéanti la vie possible qui aurait pu naître avant.
Et donc maintenant qu’on sait que vraisemblablement ça a démarré il y a 4,2, 4,3 milliards d’années, nouvelle question : est-ce qu’on aura une chance quelconque de savoir comment ça s’est passé et si ça s’est passé ? Et la réponse à cette question, et c’est ça que je trouve remarquable, c’est que peut-être Mars va nous l’apporter… Parce que Mars est l’objet unique dans le système solaire qui a préservé des terrains, dans toutes ses propriétés, telles qu’elles se sont formées il y a 4,2, 4,3, 4,4 milliards d’années, très peu de temps après que la planète se soit formée. Partout ailleurs le bombardement géant qui a eu lieu aux alentours de 4 milliards d’années a effacé cette mémoire-là. Mars non. Mars a conservé un certain nombre de ces sols avec les conditions de l’époque, on sait où ils sont maintenant, on les a identifiés, en particulier par des minéraux très particuliers qu’on a mis en évidence, grâce à un instrument, à une sonde spatiale qui tourne toujours, et grâce à cela on sait que les missions qui sont en train de partir et vont arriver sur Mars vont pouvoir explorer des terrains qui datent de cette époque-là, et qui vont nous dire si oui on non la vie a pu émerger ailleurs que sur Terre. Et si on le trouve, et si on trouvait que sur Mars et sur la Terre la vie à un moment donné prenait les mêmes formes, on pourra même expliquer pourquoi, sur Mars, nécessairement, cette évolution a dû cesser, parce que Mars n’a pas eu les conditions, essentiellement parce que son réservoir énergétique est un réservoir radiogénique, radioactif, n’était pas suffisant pour entretenir une activité très longtemps, sur Terre ça l’a été, on pourra donc comprendre pourquoi ce processus d’émergence du vivant aurait pu démarrer en même temps sur Mars et sur la Terre, mais rapidement s’éteindre sur Mars et se prolonger jusqu’à aujourd’hui sur Terre.
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Astrophysicien à l’IAS d’Orsay et professeur de physique à l’université Paris-Sud 11, responsable de l’instrument OMEGA de la sonde Mars Express qui continue sagement à orbiter depuis 2004, Jean-Pierre Bibring apporte tous ses soins à la préparation et au suivi des missions, tant de la NASA que de l’ESA, qui s’en vont chercher, entre autres, une réponse martienne à la question du processus de l’apparition de la vie sur Terre, Mars ayant gardé une mémoire de son développement que la Terre a pour sa part effacée.