NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

ON LES PRENAIT POUR DES CRUCHES / THEY WERE TAKEN FOR JUGS

Comment réinterpréter un passage d’Horace et faire ressurgir le commerce du vin dans l’empire romain en rectifiant une fausse interprétation des amphorettes à fond plat.

How to reinterpret a passage from Horace and revive the wine trade in the Roman Empire by correcting a false interpretation of amphorets with flat bases.

Jean-Pierre Brun
25 Juin, 2012
Tapuscrit...

Jean-Pierre Brun – Notre histoire commence dans le désert oriental de l’Égypte, c’est-à-dire dans ce secteur situé entre la vallée du Nil et la mer Rouge, et donc entre l’empire romain et l’Inde. Ce désert est parcouru de routes caravanières, qui sont gardées par des forteresses de l’armée romaine, qu’une équipe de chercheurs français du CNRS et de l’Institut français du Caire fouille depuis une vingtaine d’années. Dans le fort de Didymoi, nous avons mis au jour de grandes quantités de céramiques, beaucoup d’amphores à vin, que les soldats évidemment buvaient, et parmi cette grande quantité de céramiques, il y avait une discrète quantité d’un petit conteneur à fond plat et à deux anses que je croyais être des cruches fabriquées localement. Ces cruches étaient principalement datées entre la période flavienne, c’est-à-dire entre les années 80 après JC et le début de la période antonine, c’est-à-dire 110-120 après JC.

Lorsque je trouvai ces cruches, donc, je les classai parmi les céramiques égyptiennes jusqu’au jour où nous avons eu l’occasion de visiter le musée de Lipari, organisé par Madeleine Cavalier et Luigi Bernabò Brea et je suis tombé en arrêt devant un le matériel d’une épave où se trouvaient rassemblées à la fois des amphores à vin produites dans la Campanie et une assez notable quantité de mes petites cruches à deux anses, qui ornaient en quelque sorte le premier rang. Je me suis rendu compte que cette épave datait de la période flavienne, et j’ai donc pensé que si ces amphorettes étaient associées à des grandes amphores de Campanie, il y avait quand même de bonnes chances pour qu’elles aient contenu du vin de Campanie elles aussi. Ainsi, puisque nous en avions à la période flavienne, il devait y en avoir à Pompéi. Et je suis donc allé voir dans les réserves de Pompéi s’il y en avait et de fait j’en ai trouvé de grandes quantités mais elles étaient passées inaperçues jusqu’alors car on croyait que c’étaient de cruches, pas tellement dignes d’intérêt.

Mais puisqu’il s’agissait de conteneurs de vin, l’affaire prenait une autre dimension et j’ai été amené à chercher d’où venait ce vin. Il ne pouvait pas venir de la région du Vésuve, car la pâte des ces amphorettes n’était pas vésuvienne, mais plus probablement de l’intérieur de la Campanie et je me suis progressivement rapproché de la zone de Alifae, qui est dans la moyenne vallée du Volturno, où on peut probablement fixer la zone de production à la fois de ces amphorettes et du vin qui allait dedans. Ça nous a amenés à deux conclusions, d’une part on a peut-être le nom de ces conteneurs grâce aux ostraca de la firme Nicanor qui était une firme de chameliers qui sous Néron traversait le désert, et dans ces ostraca nous avons des bordereaux qui nous indiquent que la firme de chameliers transportait des amphores dites italica, et qui sont de grosses amphores, et des amphorettes probablement appelées aminea, qui devaient être donc nos petits conteneurs. Et d’autre part ça nous a permis de réinterpréter un texte des satires d’Horace où deux banqueteurs vident des alifanae, alors on a longtemps pensé que ces alifanae c’étaient des verres, mais en réalité les banqueteurs, qui sont des ivrognes, vident directement ces amphorettes dans leur gosier et donc s’envoient en quelque sorte des bouteilles d’environ six litres, ce qui évidemment dénote d’une certaine capacité.

L’histoire de ces amphorettes nous indique comment la recherche progresse, puisque nous sommes partis de la fausse idée qu’il s’agissait de cruches, banales, fabriquées en Égypte, et que nous arrivons à un conteneur de vin de haute qualité, qui était très largement exporté à partir de la Campanie centrale vers l’Égypte et vers l’Inde d’un côté, et vers l’Allemagne et la Grande-Bretagne de l’autre.

4 min 10 sec

Transcript...

Jean-Pierre Brun – Our story begins in the eastern desert of Egypt, that is to say in the area located between the Nile valley and the Red Sea, and therefore between the Roman Empire and India. This desert is traversed by caravan routes, which are guarded by fortresses of the Roman army, which a team of French researchers from the CNRS and the French Institute in Cairo has been excavating for twenty years. In the fort of Didymoi, we unearthed large quantities of ceramics, many wine amphoras, which the soldiers obviously drank, and among this large quantity of ceramics there was a discreet quantity of small containers with a flat base and two handles which I believe to be locally made jugs. These jugs were mainly dated between the Flavian period, i.e. between the 80s AD and the beginning of the Antonine period, i.e. 110-120 AD.

When I found these jugs, therefore, I classified t hem among the Egyptian ceramics, until the day when we had the opportunity to visit the museum of Lipari, organized by Madeleine Cavalier and Luigi Bernabò Brea and I stopped in front of the material from a wreck containing both wine amphoras produced in Campania and a fairly notable quantity of my little jugs with two handles, which adorned the first row. I realized that this wreck dated from the Flavian period, so I thought that if these amphorets were associated with large amphorae from Campania, there was still a good chance that they contained wine from Campania too. Thus, since we had some in the Flavian period, there must have been some in Pompeii. And so I went to look in the store rooms of Pompeii if there were any, and in fact I found large quantities of them but they had gone unnoticed until then because we believed that they were jugs, not so worthy of interest.

But since this was about containers of wine, the case took on another dimension and I was led to investigate where this wine came from. It could not have come from the region of Vesuvius, because the fabric of these amphorets was not Vesuvian, but more probably from the interior of Campania and I gradually approached the area of Alifae, which is in the middle valley of the Volturno, where we can probably confirm the production area of both these amphorets and the wine that went into them. This led us to two conclusions, on the one hand we may have the name of these containers thanks to the ostraca of the Nicanor firm which was a firm of camel drivers who, under Nero, crossed the desert, and in these ostraca we have slips which indicate to us that the company of camel drivers transported amphorae known as italica, and which are large amphorae, and amphorets probably called aminea, which must therefore have been our small containers. And on the other hand it allowed us to reinterpret a text of Horace’s satires where two banqueters empty alifanae, so we thought for a long time that these alifanae were glasses, but in reality thebanqueters, who are d runkards, empty these amphorets directly into their mouths and therefore down, in a way, bottles of about six litres, which obviously indicates a certain capacity.

The history of these amphorets tells us how research is progressing, since we started from the misconception that they were jugs, mundane, made in Egypt, and we arrive at a container of high quality wine, which was very widely exported from central Campania to Egypt and India on one side, and to Germany and Great Britain on the other.

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Archéologue, professeur au Collège de France et médaille d’argent du CNRS, spécialiste du commerce de l’huile et du vin dans la Méditerranée antique, Jean-Pierre Brun suit d’indice en indice la circulation des amphorettes à vin de Campanie, depuis les forts romains surveillant la route des caravanes vers l’Inde jusqu’à Pompéi, en passant par les îles Lipari, et en conclut que les banqueteurs stigmatisés dans les satires d’Horace ne vidaient pas de simples gobelets mais buvaient directement à d’énormes bouteilles un vin exporté dans tout l’empire romain.

Archaeologist, professor at the Collège de France and silver medalist of the CNRS, specialist in the oil and wine trade in the ancient Mediterranean, Jean-Pierre Brun has been following from clue to clue the circulation of Campania wine amphorets, from the Roman forts overseeing the caravan route to India as far as Pompeii, passing through the Lipari Islands, and concluded that the banqueters stigmatized in Horace’s satires did not empty simple goblets but drank directly from enormous bottles of wine exported throughout the Roman Empire.

Merci à Claude Domergue

Thanks to Claude Domergue and to Victoria Leitch for the translation