NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

LE BOSON EN PARTAGE

La découverte du boson de Higgs, tout à la fois pierre de touche et clef de voûte de la physique, confond son histoire avec celle du CERN et redessine aussi bien l’information que l’économie du futur.

 

Michel Spiro
3 Déc, 2012
Tapuscrit...

Michel Spiro – Le 4 juillet de cette année, c’était le jour de l’annonce au CERN de la découverte d’une nouvelle particule que j’appellerai le boson de Brout, Englert et Higgs, qu’on a tendance à appeler le boson de Higgs, à mon avis à tort, parce qu’ils étaient trois à avoir imaginé cette particule. Donc on attendait cet évènement depuis vingt ans, depuis trente ans et le matin quand je suis arrivé, quelle a été ma surprise de voir une queue qui avait presque un kilomètre de long de jeunes de tous les pays qui ont participé à cette découverte et qui voulaient absolument être dans l’amphithéâtre pour assister à la présentation.

Et l’annonce a été faite, elle a été retransmise en même temps dans presque tous les pays du monde. Alors pourquoi, je pense, cet impact ? Il y a à mon avis deux, deux raisons, d’une part une raison géopolitique ou sociologique, le fait que le LHC, donc cette machine où s’est faite cette découverte, est une aventure scientifique hors normes, donc de long terme, qui s’oppose, c’est là une antidote, à la mondialisation compétitive à court terme dans laquelle on vit, et peut-être de voir ces gens de tous les pays embarqués dans un effort collaboratif mondial sur la base du rationalisme, ça interpelle certainement les gens par cette réussite sociale et politique, si on peut dire. Et puis c’est un évènement hors normes du point de vue scientifique, parce que ça nous fait rentrer dans une nouvelle ère, donc par la découverte d’une particule qui a toutes les propriétés de ce boson de Higgs, et dont on pense qu’il explique d’où vient la matière, d’où vient la masse de la matière. Donc on comprend bien comment il donne de la masse aux autres particules, mais sa masse à lui est une véritable énigme et on se demande si pour le comprendre vraiment, on n’a pas besoin de nouvelles théories, notamment ce qu’on appelle la super-symétrie, qui permettrait de mieux comprendre encore le monde dans lequel on vit, à travers une profonde unité entre ce qu’on appelle les forces, c’est-à-dire le domaine des lois, et ce qu’on appelle la matière, donc le domaine de la réalité, des particules, avec une unification plus grande du monde des lois et du monde des particules, un peu le rêve de Spinoza, l’immanence plutôt que la transcendance, qui était plutôt le monde de Platon, avec le monde des idées d’un côté et le monde de la matière de l’autre. Je pense qu’avec la super-symétrie, on ne pourrait même plus parler d’espace-temps ou de matière, on aurait vraiment une unité profonde entre la matière, l’espace et le temps.

Les grandes questions que l’humanité se pose depuis des siècles et des siècles, qui sont aussi un héritage des Lumières, imprègnent la culture des dirigeants qui souhaitent que ces recherches fondamentales, guidées par la curiosité, soient faites, et avec l’idée que, il y a toujours des formes d’innovation inattendues, qu’on n’arriverait pas à faire par des recherches finalisées, et que ces innovations inattendues sont souvent à l’origine de ruptures de technologies qui permettent le développement de manière accélérée. L’emblème de cette innovation, c’est le web, qui a été rendu gratuit immédiatement dès qu’il a été découvert au CERN, et le fait d’avoir mis le web à la disposition du monde entier a contribué à faire avancer l’économie mondiale de manière spectaculaire. Et toujours aujourd’hui, le CERN avance beaucoup dans les technologies, puisqu’on a un supercalculateur qui est la somme de tous les calculateurs du monde entier mis en réseau. C’est ce qu’on appelle la grille de calcul, qui maintenant a donné naissance au cloud computing et cette forme d’innovation ouverte, gratuite, est analysée par l’OCDE en ce moment, pour montrer que c’est un autre modèle qui peut favoriser la croissance dans le monde, peut-être plus efficace que d’avoir des recherches et développements privatisés et fermés, débouchant sur des brevets qui sont diffusés très, très, très lentement. Je trouve que si le CERN peut y contribuer et si moi, à la tête du CERN, je peux avoir contribué à le faire connaître, c’est quelque chose qui me fait beaucoup plaisir, et de pouvoir rassembler à travers le CERN par exemple des étudiants d’été palestiniens et israéliens qui viennent ensemble organiser une partie au CERN ça contribue, aussi d’ailleurs par le rapprochement entre le Pakistan et l’Inde, à la paix dans le monde. Je serais heureux si le CERN un jour pouvait avoir le prix Nobel de la paix, à travers ces exemples-là, et puis des exemples dans le passé où Israéliens et Allemands se sont rencontrés pour la première fois après la guerre au CERN, par la science… Certains disent que, au CERN la devise, donc c’est de tout mettre en commun, à chacun selon ses besoins ; et donner à profusion pour que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, ça ressemble à un idéal dont on ne parle plus beaucoup aujourd’hui ! C’est peut-être le dernier îlot où cet idéal persiste…

04 min 36 sec

Physicien, tour à tour professeur à l’École polytechnique, responsable des expériences GALLEX et EROS, directeur de l’IN2P3 du CNRS, président du conseil du CERN, Michel Spiro voit réunis, dans le processus qui a conduit à la mise en évidence du boson de Brout, Englert et Higgs, les principes d’une politique de recherche ouverte, via le web et le cloud computing, antidote possible aux dérèglements de l’économie et partant de la paix mondiale.