MY DARLING SERPENTINE / MY DARLING SERPENTINE
Longtemps négligées, les serpentines sont désormais de sérieux candidats au stockage du Co2 et pourraient avoir favorisé l’apparition de la vie.
Long neglected, serpentines are now seen as serious candiates for Co2 storage and may have helped life to emerge.
Tapuscrit...
Bénédicte Menez – J’ai commencé à m’intéresser à ces roches qu’on appelle des serpentines dans le cadre des projets qu’on mène ici à l’Institut de physique du globe de Paris, autour des problèmes de stockage géologique du Co2 . En fait ce sont des roches qui sont issues de la croûte océanique et qui forment la majeure partie du plancher océanique au niveau des dorsales lentes et ultra-lentes et le jeu de la tectonique extensif fait qu’on a des grandes failles qui vont exhumer une grande partie des roches du manteau terrestre et ces roches elles sont extrêmement réactives en présence d’eau, parce qu’elles sont pas faites pour être des roches de surface et à ce moment-là elles vont réagir directement avec l’eau de mer qui va circuler et va se passer ce processus qu’on appelle la serpentinisation. Et dans les problématiques de stockage géologique du Co2, ça a un intérêt parce que ces roches vont nous libérer des cations comme le magnésium et le calcium et du coup on va pouvoir associer à ces cations du Co2 gazeux et former des carbonates solides et c’est un moyen de stocker de manière pérenne et durable du Co2 atmosphérique qu’on a en excès et qui a les conséquences qu’on sait à l’heure actuelle.
Quand ces roches vont s’hydrater, elles vont fournir énormément d’hydrogène, par l’oxydation des silicates qui la composent. Et donc du coup on peut imaginer que cet hydrogène peut se combiner avec le Co2 qui circule, issu du manteau ou de l’eau de mer, et là on a une formidable réaction chimique qui va nous produire des molécules abiotiques, du méthane, des acides organiques, et donc ça peut être aussi des sources d’énergie durable, à exploiter dans le futur.
Et alors ces roches, elles sont incroyables ! En fait elles ont longtemps constitué la partie peu noble de la lithosphère océanique, les gens s’y intéressaient très peu, et pourtant on a ici un potentiel incroyable pour le développement de la vie : quand ces minéraux sont hydratés, cet hydrogène et ce méthane qui sont produits constituent une source d’énergie pour les micro-organismes et en tant que géomicrobiologiste, c’est-à-dire quelqu’un qui cherche à comprendre comment la vie se développe dans les roches, jusqu’à quelle profondeur elle peut coloniser la croûte, etc., on a ici un super-processus que le vivant peut exploiter et utiliser.
Au fond des océans, ces roches, c’est soit des sous-marins qui vont collecter des morceaux, soit on le fait au cours de ce qu’on appelle des campagnes de dragage, ce sont des énormes paniers métalliques qui pendouillent au bout de câbles de plusieurs kilomètres de profondeur qu’on lâche à l’arrière des bateaux et qu’on va traîner le long d’un affleurement qui nous semble intéressant et qu’on a repéré au préalable par la géophysique.
Une de nos aventures scientifiques de l’année passée, en collaboration avec des collègues italiens, ça a été d’identifier dans les petites pores de ces roches, des endroits où on avait du carbone organique d’origine biologique qui était là et qui témoignait de la présence de ces écosystèmes profonds qui étaient nourris par les produits issus de la serpentinisation. Et alors, effectivement déjà on a des preuves que la vie a colonisé la lithosphère océanique jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur. Et puis du coup se posait la question de se dire, si on a une vie qui peut se développer en profondeur, loin de toute source d’énergie photosynthétique, que c’est pas du carbone organique qui provient de la surface, qui a été enfoui par la circulation de l’eau de mer en profondeur, on se dit, on a un moyen de créer la vie à partir de rien, à partir de juste un processus chimique, et c’est pour ça qu’en ce moment les gens commencent à se retourner vers ces fameuses serpentines. Est-ce que le vivant n’aurait pas juste exploité quelque chose qui existait déjà dès le début de la tectonique des plaques, et donc se serait greffé sur un processus géochimique existant sans avoir rien inventé mais juste profité de quelque chose qui existait à l’état naturel ? Donc du coup, ce qui est assez incroyable en ce moment, c’est d’explorer toutes ces surfaces réactives des minéraux de ces roches de la lithosphère océanique et de voir dans quelle mesure elles ont la capacité de faire des premières molécules, des premiers acides organiques, des premières protéines, qui pourraient amener éventuellement à avoir fait des premières cellules qui auraient pu être consolidées dans les pores de la roche !
3 min 48 sec
Transcript...
Bénédicte Menez – I started looking into those rocks we call serpentinites as part of the work carried out here at the Institut de physique du globe de Paris, on the issue of geological storage of CO2. Serpentinites come from the oceanic crust and make up most of the ocean floor where slow and ultra slow-spreading ridges occur. Here, large faults, caused by the extensive tectonic activity, reveal a significant amount of the rocks from the Earth’s mantle. These rocks are highly reactive to water because they are not designed to be surface rocks. The seawater circulation then produces the process we call serpentinisation. And that’s useful in the geological storage of CO2 because these rocks will release cations such as magnesium or calcium, which means that we can combine those cations with gaseous CO2 and make solid carbonates. That makes it possible to provide permanent storage for excess CO2 in the atmosphere, and limit the problem that it represents.
When those rocks hydrate they produce massive amounts of hydrogen because they are made up of silicates that oxidize. And so we can expect the hydrogen to combine with the CO2 which comes from the mantle or the seawater. At this point we get a tremendous chemical reaction that produces abiotic organic molecules, methane, organic acids. And those are potential sources of sustainable energy, which could be harnessed in the future.
Those rocks are amazing! For a long time, they were seen as the less glamorous part of the oceanic lithosphere, very few people studied them. And yet they hold incredible potential for the development of life: when the minerals are hydrated, the resulting hydrogen and methane represent a source of energy for microorganisms. As a geomicrobiologist – that’s someone who tries to understand how life develops in rocks, to what depth it can colonize the crust – what we have here is a super-process, which living organisms can use.
To get the rocks at the bottom of the ocean, submarines can be used to collect pieces. Or dredging techniques are used, with huge metal baskets dangling at the end of cables that are several kilometres long, dropped from the back of boats and dragged alongside a promising looking outcrop, which has been previously identified with geophysics.
One of last year’s scientific adventures, working with Italian colleagues, was to recognize organic carbon of biological origin in the rocks’ small pores, providing evidence of deep ecosystems which fed on serpentinisation products. This means that we do actually have proof that life has colonised the oceanic lithosphere to a depth of several kilometres. So the thinking then went: if life can develop at great depth, far from any photosynthetic source of energy, if the organic carbon does not come from the surface and was not buried deep by flowing seawater, then there is a way to create life from nothing, using a purely chemical process. Which explains why people are now turning to these particular rocks. Perhaps living organisms have just used something that has been around since plate tectonics? Perhaps they have just added themselves to an already existing geochemical process, without inventing anything, just making use of something which existed in the natural state? So the really exciting thing now is to explore all the reactive surfaces of these rock-forming minerals in the oceanic lithosphere and to see to what extent they are capable of producing the first organic molecules, the first organic acids, the first proteins. And perhaps even of producing the first cells which might have been consolidated in the rocks’ pores!
3 min 48 sec
Géomicrobiologiste, professeur à Paris Diderot et responsable du groupe Géobiosphère actuelle et primitive à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), Prix Irène Joliot-Curie, Bénédicte Ménez a pour les roches serpentines une affection à la mesure de leurs mérites : possibles pièges à gaz carbonique en excès, possibles sources d’énergie par leur production d’hydrogène et de méthane, possibles conditions favorables à l’apparition des premières formes de la vie, dans les profondeurs du temps et du manteau terrestre.
Bénédicte Ménez is a a geomicrobiologist and professor at Université Paris 7 Denis-Diderot, head of the Early and Present Geobiosphere Group at the Institut de physique du globe de Paris and Irène Juliot Curie Prize winner. Her admiration for serpentinites is equal to their virtues: potential traps for excess Co2, potential energy souces, through their hydrogen and methane production, potentially favourable conditions for the emergence of life, in the depths of time and of the Earth’s mantle.