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de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

DÉNOUEMENTS / UNRAVELING

La voile d’un kitesurf tient à quelques fils. La vie aussi.

Like a kitesurfer with his lines, a cell must untie to survive.

Vaughan Jones
10 Juil, 2013
Tapuscrit...

Vaughan Jones – Pour mon Histoire à moi, ce qui me passionne, c’est quand deux intérêts se croisent, encore mieux quand c’est un intérêt scientifique et un intérêt de loisir ! Mais c’est quand je me suis mis finalement au kite surf, il y a à peu près dix ans, que j’ai rencontré les tresses ! Non seulement les tresses, mais le lien entre les tresses et les nœuds… Et je vous explique : donc je commence un nœud… Mathématiquement, on a un brin ou peut-être deux, les brins n’ont pas de bouts ! Ça s’appelle entrelacs, avec deux brins, les brins sont infiniment petits, infiniment flexibles et on étudie les nœuds et les entrelacs à des déformations qu’on dit topologiques près, c’est-à-dire qu’on peut tout bouger sans couper les brins en deux !

Alors les tresses, ça arrive quand on a deux barres et on relie les deux barres par justement des brins. Mais la propriété qui définit une tresse, c’est que, une fois qu’on est parti de la barre d’en haut, on continue son chemin directement à la barre en bas sans se retourner ! Donc à cause de ça, les tresses forment ce qu’on appelle un objet mathématique, un groupe, une structure où on a une loi de composition … Donc voilà l’aile, ou le cerf-volant, celui qui fait du kite il tient une barre, et la barre est reliée par quatre lignes qui vont de la barre jusqu’au kite… Ce qui est important, c’est que ces quatre lignes ne se croisent pas ! Et il faut qu’elles soient bien attachées au bon point sur le kite. Et on va sûrement, de temps en temps, les rencontrer sous forme d’un enchevêtrement hyper-compliqué… Donc, si ça arrive, le sportif il doit faire de cet enchevêtrement une tresse très simple, c’est-à-dire la tresse identité. Une identité dans un groupe, c’est un élément que, quand on fait la composition avec n’importe quoi, ça ne change rien. Et maintenant il y a le grand avantage des tresses et de la structure, justement, du groupe des tresses, que les groupes ont non seulement une loi de composition et d’identité, mais il y a aussi des inverses ! C’est-à-dire que à chaque tresse ? il y a une autre tresse ?-1, qui a la propriété que quand on compose ? et ?-1, on obtient la tresse identité ! Alors notre sportif, il n’a qu’à appliquer l’inverse ! Il prend la tresse qu’il a faite, en appliquant l’algorithme d’Alexander, et il prend son inverse et il trouve la tresse identité, il est content, son aile est bien gréée, il peut aller jouer sur l’eau…

Alors maintenant, les nœuds, les entrelacs, pourquoi on s’y intéresse en sciences ? Exemple, dans la biologie moléculaire, où on a les molécules d’ADN et par une loi de la Nature que tout le monde connaît, dès qu’ils peuvent, les brins se mêlent et forment un enchevêtrement assez compliqué, hein… Donc les molécules d’ADN se nouent, c’est un très grand problème pour la vie et j’imagine que l’évolution a été bloquée pendant des millions et des millions d’années avant de résoudre ce problème et au moment de la réplication, il y a la double hélice qui part en deux et on a deux copies de la même molécule, très, très entrelacées. Ces deux molécules doivent se séparer physiquement, parce que, une doit aller dans cette cellule et l’autre dans celle-là ! Et sans résoudre ce problème, ben la vie ne continue pas ! À mon avis on ne comprend pas comment la Nature arrive à surmonter ce problème…

3 min 54 sec

Transcript...

Vaughan Jones – What gets me excited is when two apparently different interests of mine come together – even better when one interest is scientific and the other is recreational! When I got into kitesurfing about ten years ago this happened in a big way with braids. And not just braids, but the mathematical connection between braids and knots. Let me explain. A knot consists of an infinitely thin, infinitely flexible string, with no endpoints. A link is the same thing except that there may be more than one string. Knots and links are considered up to smooth topological deformation – one may twist, bend and stretch the strings as much as one likes provided one does not cut the strings.

Braids are like links – take two horizontal bars and join them with strings. The defining property of a braid is that, once a string has left the top bar, it keeps on going down, never turning back up. Because of this, braids form what mathematicians call a group, a structure that has a composition law. There is the kite. The person doing the kitesurfing holds a bar and the bar is connected by four lines going to the kite. It’s very important that these four lines do not cross! And they have to be connected to the right points on the kite. But for sure they will get themselves into a big mess. When that happens the kitesurfer must turn this tangle into a very simple braid – the identity braid. The identity in a group is the element such that, whenever you compose it with anything else, it doesn’t change that other element. We now come to the huge advantage of the group structure of braids – not only is there an identity, but each element ? has an INVERSE – that is to say another element ?-1 so that when one composes ? and ?-1 one obtains the identity. Thus to undo his tangle our kitesurfer has only to apply the inverse braid! Altogether he has made a braid from the tangle he was faced with using an algorithm due to mathematician Alexander, taken the inverse and obtained the identity element. He’s now happy and sure his kite is correctly rigged. He can go and play on the water…

But why is one interested in knots and links in science? One example is the DNA molecules in molecular biology. A law of nature known to everyone says that long thin strings will, at the slightest chance, get themselves tied up in a complicated tangle… Thus it is for DNA molecules and it poses a great problem for life. Evolution must have been stuck for millions of years before solving this problem – at the termination of replication the double helix has made two copies of itself but they will be highly linked together. These two daughter molecules have to separate physically from each other since one has to go in this cell and the other in that one! If this problem is not solved, life does not go on. I don’t think we fully understand yet how nature has overcome this problem…

3 min 54 sec

Qu’il grée son kitesurf sur les plages venteuses de Bodega Bay en Californie ou qu’il se penche sur la réplication de l’ADN, Vaughan Jones, mathématicien, médaille Fields, professeur à Berkeley puis à Vanderbilt, noue et dénoue patiemment les nœuds et les tresses enchevêtrées, grâce auxquels tout se tient.

Whether rigging his kite on the windy beaches of Bodega Bay in California, or thinking about replication of DNA, Vaughan Jones, mathematician, Fields medallist, professor at Berkeley, now at Vanderbilt, patiently ties and unties the tangled knots and braids on which all depends.