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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

UNE BACTÉRIE MODÈLE / A MODEL BACTERIUM

L’élégance de la bactérie Listeria monocytogenes n’a d’égale que sa perfidie et son efficacité.

Bacteria Listeria monoctogenes’s elegance is only matched by its treacherousness and efficiency.

Pascale Cossart
11 Fév, 2014
Tapuscrit...

Pascale Cossart – J’aimerais vous parler du retour des maladies infectieuses… Vous dire que nous n’avons plus les armes que nous avions il y a trente ans pour les combattre et qu’il faut en créer d’autres et que pour ce faire il est important de comprendre comment les microbes génèrent des maladies, afin d’identifier les points faibles dans leurs stratégies et donc des cibles pour de nouveaux médicaments. C’est ce que nous faisons à l’Institut Pasteur en nous focalisant sur une bactérie, qui nous sert de modèle et qui nous a montré que les bactéries sont incroyables : elles déploient un arsenal insoupçonné d’armes et de mécanismes pour échapper aux défenses de l’homme et parfois le tuer.

Malheureusement la résistance aux antibiotiques a augmenté de façon alarmante et nous courons le risque de revenir à une ère pré-antibiotique. Les défis actuels sont donc une surveillance constante des microbes et des infections, diagnostics rapides et efficaces, et la recherche de nouveaux vaccins et de nouveaux médicaments, tant contre les maladies existantes que contre les maladies qui apparaissent. C’est dans ce cadre que j’ai commencé dans les années 80 à étudier la biologie des infections bactériennes, en choisissant la bactérie Listeria monocytogenes comme système modèle. Cette bactérie vit dans l’environnement, elle peut contaminer des aliments comme les produits laitiers. Cette bactérie, contrairement à d’autres, d’abord résiste à la forte acidité de l’estomac, et une fois dans l’intestin peut franchir la barrière intestinale, passer dans le sang et se disséminer dans l’organisme réussissant parfois à atteindre le cerveau ou chez les femmes enceintes le placenta. Avec élégance mais efficacité !

Une chose aussi qui est amusante avec Listeria c’est qu’elle est capable de se promener d’une cellule à une autre… Et pour ce faire, elle recrute l’actine de la cellule, c’est-à-dire un composé qui sert à la mobilité ou à la plasticité des cellules, donc elle recrute l’actine, elle la polymérise et elle devient capable de se promener dans la cellule et ensuite d’aller d’une cellule à une autre, à l’abri, bien évidemment, de toutes les défenses du système immunitaire que sont les anticorps circulants, le complément, etc… C’est aussi une bactérie qui, contrairement à d’autres, peut se multiplier à basse température, c’est pour ça qu’on la qualifie de bactérie des frigidaires, parce que en général quand vous mettez un aliment au frigidaire vous pensez que tout s’arrête, eh bien Listeria se multiplie comme si elle était au chaud…

Alors pendant très longtemps on pensait que les bactéries étaient très simples, mais de plus en plus on s’aperçoit que ce sont des organismes très organisés ! Elles peuvent agir en communautés ! Elles agissent en groupes ! On parle maintenant de la vie sociale des bactéries, c’est un terme que j’aime beaucoup, parce qu’en plus elles communiquent entre elles, elles ont un langage, elles ont un langage chimique, elles se parlent, elles s’envoient des signaux… Elles se reconnaissent entre elles, les bactéries ! Elles sont capable de dire, toi tu es ma sœur, toi tu es ma cousine… Toi t’es un peu plus éloignée… Et quelquefois elles agissent avec leurs sœurs pour, ensemble, produire une certaine toxine et attaquer… Elles sont capables de tester la présence des autres par le fait que chacune envoie dans le milieu un composé, donc la concentration de ce composé augmente et fait que, arrivées à un certain seuil, elles vont toutes se mettre à produire, justement, une toxine ou un poison… Méfions-nous des microbes, ils sont terribles ! Mais n’oublions pas, certains sont indispensables, mais cela, c’est une autre histoire !

3 min 50 sec

Transcript...

Pascale Cossart – There is a real come back of infectious diseases… We no longer have the weapons that we had 30 years ago to fight them. We need to create new ones and thus it is important to understand how microbes generate diseases, in order to identify the weak points in their strategies and consequently targets for new therapeutics. We do it in the Pasteur Institute by studying a bacterium used as a model, which has revealed that bacteria are amazing: they deploy an unexpected arsenal of weapons and mechanisms to escape human defenses and sometimes kill their human host.

Unfortunately antibiotic resistance has dramatically increased and there is a risk that we come back to a pre-antibiotic era. The present challenges are thus a constant survey of microbes and infections, rapid and efficient diagnostics and the search for new vaccines and new therapeutics, not only against present diseases but also against emerging diseases. It was in this context that in the late 80’s I started to study the biology of bacterial infections, and chose the bacterium Listeria monocytogenes as a model system. This bacterium lives in the environment and can contaminate food, such as dairy products. This bacterium, contrary to other, first resists the stomach acidity and once in the intestine can cross the intestinal barrier, reach the blood and disseminate in the organism, sometimes succeeding to reach the brain and in pregnant women the placenta. With elegance and efficiency!

A fascinating property of Listeria is that it is able to move from one cell to the next… For that it recruits actin from the cell –actin is a compound used for cell mobility and also cell plasticity–. So Listeria recruit actin, polymerize it and become able to move inside cells and from cell to cell, protected from defenses of the immune system like circulating antibodies, complement etc. Listeria is also different from other bacteria: it can grow at low temperatures, this is why it is called the “fridge bacterium”. In general when you put food in the fridge you think that growth of microbes stops. Listeria still grows as if it were kept warm…

Up to recently, one thought that bacteria were very simple. This is no longer true they are very complex! Moreover, they often live in communities and can act in groups! One talks now of the social life of bacteria. I like this term because they can communicate. They talk to each other, they have a language, a chemical language. They send signals to each other… Bacteria do recognize each other! They can say: you are my sister or you are my cousin… You are more distant … Sometimes bacteria act with their sisters so that together they produce a toxin and proceed to the attack… They can detect the presence of other bacteria by the fact that each one sends in the medium a compound. The concentration of the compound increases and once a threshold is reached, all bacteria start to produce toxin or poison…

Be very careful, bacteria are terrible! However, don’t forget, many are very useful but this is another story!

3 min 50 sec

Microbiologiste, directrice de l’unité Interactions Bactéries-Cellules à l’Institut Pasteur, membre de l’Académie des sciences, de la National Academy of Science, de la Royal Society et de la Leopoldina, lauréate des prix Robert Koch, Louis Jeantet et Balzan, Pascale Cossart est l’auteur d’un grand nombre de découvertes concernant la bactérie Listeria monocytogenes passée grâce à ses efforts et à ceux de ses collaborateurs, du statut d’agent pathogène à celui, plus gratifiant, de modèle pour la compréhension de l’univers étonnamment complexe des bactéries et des infections.

Microbiologist Pascal Cossart, who runs the Bacteria-Cell Interactions unit at the Institut Pasteur, is a member of the Académie des sciences, of the National Academy of Science, of the Royal Society and of the Academy of Sciences Leopoldina. She has won the Robert Koch, Louis Jeantet and Balzan prizes. She has made a number of groundbreaking discoveries on Listeria monocytogenes, and, with the help of her team, has reshaped our view of the bacteria, upgrading its status from pathogen to new model for the understanding of the extraordinarily complex world of bacterias and infections.