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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

JEUX COMBINATOIRES / COMBINATORIAL GAMES

Des règles des jeux de l’enfance à celles du décryptage des lois de la physique.

Cracking the rules, from child play to cold atoms.

Daniel Suchet
12 Mai, 2014
Tapuscrit...

Daniel Suchet – Je me souviens du premier ordinateur que nous ayons eu. Je devais avoir sept ou huit ans et c’était une assez grosse machine, qui tournait à l’époque sur un Windows 3.11. Dans une pile de disquettes, j’avais trouvé un jeu qui m’avait fasciné. Ça s’appelait Les incroyables machines du professeur Tim. C’était une sorte de puzzle mécanique, logique, où le joueur devait assembler des pièces simples suivant des configurations de plus en plus complexes, pour atteindre un but qui était en général dérisoire : une bille tombait sur une cage à souris, la souris se mettait à courir dans sa roue, la roue entraînait une courroie qui mettait en marche un tapis roulant, qui faisait tomber une balle dans un tuyau et la balle sortait du tuyau à la fin pour activer un toaster ! Et je me rappelle que j’ai passé des heures à chercher comment utiliser une bascule, une poulie ou une fiole de nitroglycérine pour au bout du compte piéger un chat, crever un ballon ou tirer un feu d’artifice. Et c’est peut-être là que j’ai commencé à aimer les énigmes et à comprendre comment assembler des pièces très simples pour obtenir des résultats de plus en plus compliqués, au bout du compte quel que soit le résultat en question.

Je retrouve le même genre de plaisir et le même genre de jeu dans la physique où des équations, parfois très simples, peuvent être combinées pour décrire des phénomènes qui en apparence ont l’air complètement différents… J’ai été particulièrement séduit par les équations de Maxwell, quatre toutes petites équations, qu’on peut écrire au dos d’un timbre-poste, mais qui permettent de décrire aussi bien la propagation de la lumière que le fonctionnement du courant électrique ou la façon dont les aimants collent à la porte du frigo.

Alors c’est peut-être pas complètement par hasard si je retrouve le même genre de plaisir dans l’expérience où je fais actuellement ma thèse. Dans les sous-sols de l’ENS, on refroidit les atomes à grands coups de laser, pour atteindre des températures au plus proche du zéro absolu. Et notre salle de manip ressemble à s’y méprendre à une machine du professeur Tim. Sur la table optique, un laser sort d’une boîte, traverse une cellule de potassium, rentre dans un amplificateur et puis passe au travers d’un véritable labyrinthe avec des lentilles, des miroirs, des cubes, assemblés les uns derrière les autres. Au bout du compte, le laser initial est séparé en une dizaine de faisceaux de fréquences, d’intensités et de polarisations différentes. Chacun de ces faisceaux est utilisé à une étape de l’expérience pour refroidir, pour piéger ou pour photographier les atomes. En mécanique quantique, on décrit les particules par des ondes. À température ambiante, l’extension du paquet d’ondes qui décrit une particule est en général beaucoup plus petite que la distance qui sépare deux particules, et les paquets d’ondes sont bien séparés les uns des autres. Mais plus la température diminue, plus les paquets d’ondes s’étendent et il arrive un moment où ces paquets d’ondes s’étendent tellement, quand la température est suffisamment basse, qu’ils se recouvrent les uns les autres. On ne peut alors plus du tout décrire les atomes comme des petites particules bien séparées. Il faut vraiment tenir compte de leur nature ondulatoire qui fait qu’ils se superposent les uns aux autres. Les atomes froids font comme ça apparaître, au milieu de l’expérience, la nécessité d’introduire la mécanique quantique pour décrire cette nature ondulatoire.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que cette nature quantique fait apparaître l’universalité des lois de la physique. Tous les systèmes suffisamment froids sont décrits par le même genre de règles. Et on peut régler expérimentalement un gaz d’atomes froids pour qu’il reproduise le comportement de n’importe quel autre système quantique. On a donc dans l’expérience, dans la salle de manip, un système qu’on peut régler, qu’on peut ajuster, pour étudier n’importe quel autre système quantique de l’Univers.

3 min 31 sec

Transcript...

Daniel Suchet – I remember the first computer we had. I was about seven or eight, it was quite a big machine, running on Windows 3.11. In a stack of floppy disks, I found a game the fascinated me. It was called: “Prof Tim incredible machines”. It was a kind of logical, mechanical puzzle, where simple devices were assembled in complex pattern to reach laughable objectives: a marble would fall on a cage, causing the mouse to run in her wheel, the wheel would drive a belt, setting conveyor in motion that would bring a ball to fall through a pipe and eventually activate a toaster! I remember spending hours trying to figure out how to use a bascule, a pulley or a Nitroglycerin vial, only to trap a cat, burst a balloon or shoot a firework. And it is maybe there that I started enjoying puzzles and understanding how simple pieces can be brought together to generate complex results, whatever the results are.

There is the same kind of game and thrill in physics, where simple equations can be combined to describe seemingly various situations. I was especially seduced by Maxwell’s equations: four tiny equations that fit on the back of a stamp, but that can describe light propagation as well as electrical current or why magnets stick on the fridge.

So it is perhaps not by chance if I find the same kind of thrill with the experiment on which I currently work for my PhD. In the basements of ENS, we cool down atoms with laser, reaching temperatures close to absolute zero. And our experiment looks very much like an Incredible Machine. On the optical table, a laser comes out of a box, goes through a potassium cell, into an amplifier, and through a real maze of lenses, mirrors and cubes following one another. In the end, the initial light is split in a dozen of beams with various frequencies, intensities and polarizations. Each of them is used at one stage of the experiment to cool down, trap or image the atomic cloud. In quantum mechanics, particles are described by waves. At ambient temperature, the spread of the wave packet describing one particle is much smaller than the average distance between particles, and all wave packets are well separated from one another. But as temperature goes down, the wave packets spread more and more and at some point spread so much they overlap, if the temperature is cold enough. The atoms can then not be described as isolated particles anymore. One must take into account their wave behavior, which allows them overlapping. Cold atoms exhibit that way, in the middle of the experiment, the need to introduce quantum mechanics to describe this wave behavior. And what is most exciting is that this quantum nature brings out the universality of physics. All ultracold systems are following the same set of rules. And we can set experimentally an ultracold atomic cloud to mimic the behavior of any other quantum system. We have this way, down in the lab, a system that can be tuned to study every other quantum system in the Universe.

3 min 31 sec

Polytechnicien, actuellement en thèse dans l’équipe « Gaz de Fermi » du laboratoire Kastler-Brossel de l’École normale supérieure, Daniel Suchet a puisé tout enfant dans un des premiers jeux d’intelligence sur ordinateur le goût de résoudre les apparents mystères du monde. Avec une simplicité comparable des données de base, mais une incomparable complexité dans les développements, il constate désormais comment une poignée d’atomes ultra-froids engourdis en laboratoire dans un bain de laser contient les mêmes principes qui régissent le comportement quantique de l’Univers.

Grad student from École polytechnique, PhD student in the “Fermi Gases” group of the Laboratoire Kastler Brossel (École normale supérieure), Daniel Suchet discovered with one of his first computer games the pleasure of solving logical puzzles by assembling elementary units into a complex pattern. With a comparable scheme, but a much richer complexity, he now observers how a handful of atoms mired by laser light can open a way to understanding the quantum rules that govern our Universe.