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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

LE MIRACLE DES RENCONTRES

Quand le tissage art-science et passé-présent pave l’espace entre Dürer et les quasi-cristaux.

Yves Meyer
16 Juin, 2014
Tapuscrit...

Yves Meyer – Je voudrais parler d’un miracle qui est un miracle de rencontres. Et ce miracle de rencontres s’est produit le 22 avril dernier, à l’École nationale supérieure de chimie de Paris, à 17 heures exactement, il s’agissait d’une journée organisée pour célébrer la famille de Jacques Friedel. C’est une dynastie de physiciens qui commence par Charles Friedel, Georges Friedel, vous avez Jacques Friedel et vous avez son fils Paul Friedel, tous des physiciens extraordinaires, et on a voulu célébrer ça. Par sympathie pour Jacques Friedel, je suis allé. Je suis allé écouter un autre de mes amis, Denis Gratias, qui est beaucoup plus jeune, et qui parlait des quasi-cristaux. Les quasi-cristaux, sur lesquels j’ai travaillé.

Et j’écoute Denis Gratias et c’est là que le miracle est advenu, c’est que Denis Gratias a parlé non pas des quasi-cristaux, mais d’une configuration géométrique assez semblable, qui s’appelle les macles, et qui ont été découverts par Charles Friedel et Georges Friedel et qui ont préfiguré les quasi-cristaux. Et le miracle, c’est que Denis Gratias a montré en utilisant des dessins magnifiques faits par Albrecht Dürer, Albrecht Dürer est un peintre allemand qui a vécu à la fin du 15e siècle et au début du 16e siècle, et qui était passionné par la géométrie. Et en particulier par les problèmes de pavage. Donc Albrecht Dürer, dans le livre qui s’appelle Géométrie, a dessiné la planche que reproduit Denis Gratias dans son exposé. Et ce livre d’Albrecht Dürer, en fait je l’avais chez moi, parce qu’il m’avait été donné quelques jours avant par un ami philosophe, qui s’appelle Serge Boucheron et qui avait dans une sorte d’anticipation de cette journée en l’honneur de Jacques Friedel, il m’avait offert ce livre d’Albrecht Dürer. Albrecht Dürer est quelqu’un de passionnant, parce que c’était en quelque sorte un homme nouveau, de la nouvelle culture de la Renaissance. Ce n’était pas un humaniste au sens classique, il a écrit son livre en allemand, et comme les mots scientifiques n’existaient pas en allemand pour parler de la géométrie, il a utilisé le langage des artisans. Donc son livre La Géométrie, dans lequel on trouve ces premiers dessins de macles, c’est-à-dire préfigurant les quasi-cristaux, ce livre a été en quelque sorte une sorte d’irruption de la démocratie, c’était écrit en langue vulgaire.

Et c’est cette magnifique rencontre entre Dürer, entre l’œuvre de la famille de Jacques Friedel et l’exposé de Denis Gratias qui m’a complètement fait battre le cœur et qui m’a montré que entre culture scientifique, culture artistique et entre le présent et le passé, il y a des liens extrêmement profonds et en fait la science regarde vers le passé autant que vers l’avenir et les différentes disciplines communiquent d’une façon que pratiquement on ne soupçonne pas. Voilà ce que je voulais vous dire.

3 min 41 sec

Yves Meyer s’émerveille de l’improbable rencontre entre un peintre de la renaissance (Albrecht Dürer), un philosophe (Serge Boucheron) et un physicien (Denis Gratias) qui se trouvèrent  réunis lors d’un congrès en l’honneur de la famille de Jacques Friedel. Rencontre autour des quasi-cristaux, en fait autour des macles qui les ont précédés en géométrie et en cristallographie.