NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

DANS UNE SEULE NOTE / IN A SINGLE NOTE

Photons d’élevage

Photonic farming

Nadia Belabas
9 Jan, 2024
Tapuscrit...

Nadia Belabas – Mon travail, c’est comment fabriquer et utiliser l’intrication quantique en espace réduit. L’intrication c’est ce qui tisse les liens à l’intérieur d’états collectifs magiques qu’on commence à savoir fabriquer en assemblant des grains de lumière qui se ressemblent tous. Ces états intriqués ont des applications épatantes : ça ressemble aux Gibis, les antagonistes des Shadoks : ils résolvent tous les problèmes dès qu’ils mettent leurs chapeaux, parce qu’alors ils sont tous connectés et pensent tous ensemble.

Comme je suis physicienne, quand je pense à la lumière je pense à toutes ses propriétés que je peux mesurer : son intensité, sa couleur, la façon dont je peux la diriger dans l’espace, et aussi à une chose qui la fait devenir quantique, la façon dont elle se groupe dans ces petits paquets de lumière, les photons. Un ensemble de photons est intriqué quand une propriété d’une partie de ce système (pour un photon, par exemple sa lumière) est connectée à la même propriété d’une autre partie. Mesurer l’une, c’est avoir le résultat de la mesure de l’autre sans avoir besoin de la faire. Attention, si je trouve un gant rouge de main gauche dans mon tiroir, l’autre gant rouge, qui sera automatiquement un gant droit, n’est pas quantiquement intriqué avec le premier. Ma mesure n’a pas eu un effet instantané sur le deuxième gant. Ils étaient comme ça avant que j’y touche !  Pour faire une intrication quantique de gants, il faudrait savoir créer des états qu’on dit « en super­position », à la fois droits et gauches … Ça, on peut le faire avec des objets quantiques, pas avec des gants. L’intrication, j’aime bien la dessiner avec des boucles qui circulent comme ça.

Au laboratoire, on la prévoit, on la fabrique, on la mesure, on la fait grandir et ce n’est pas facile à faire de façon efficace. Les photons ont plein de façons de se mettre en superposition (être à deux endroits à la fois, de deux couleurs en même temps …) et donc de s’intriquer. On appelle ça (c’est assez drôle) leurs « degrés de liberté ». Mais ce sont des individualistes, ils se croisent et n’interagissent pas ensemble, ils partent très loin, tout droit… Pour rendre les photons utiles et les faire fonctionner ensemble, le truc c’est de les rendre absolument identiques. Alors, et ça aussi c’est quantique, quand on ne sait plus qui est qui, il y a des possibilités de comportements de photons qui se compensent et au final un comportement grégaire qui émerge. Bref on transforme les photons en moutons… Et le but c’est d’en rassembler un troupeau, tout bien intriqué de mouton à mouton.

Ces photons, il a fallu leur prévoir une caisse de résonance, une voie de sortie hyper efficace. Et tout cela avec les mêmes matériaux que ceux de l’électronique qui remplit notre vie quotidienne : les semi-conducteurs. À la fin les dispositifs produits ici en salle blanche ou chez Quandela, se comportent comme nous le voulons, c’est-à-dire comme un seul atome à deux niveaux d’énergie contrôlés ou comme un cristal non-linéaire en cavité, de bonnes sources de moutons. Avec cela et des petits circuits de lumière ou puces photoniques, nous produisons du quantique portatif, de l’intrication de poche… Pour arriver à obtenir sur l’écran les pics qui disent que tout le monde, photons comme chercheuses et chercheurs, est bien connecté, il faut que les photons soient tous pareils et, je crois, que les chercheuses et chercheurs soient tous différents, avec des expertises mais aussi des imaginaires différents (et beaucoup de liberté).

On espère beaucoup, beaucoup de photons car plus il y en aura, plus on fera de belles choses en les réunissant dans une belle intrication, à coup de science, de technologie et de questions. Ça les rapproche de la musique : pour moi, faire de la musique, c’est mettre dans la note qu’on chante ou qu’on joue toute la musique entendue auparavant et même celle qu’on a imaginée : une note est de la musique et non juste un son parce qu’elle est riche de cette expérience et de ce rêve-là.

3 min 44 s

Transcript...

 

Nadia Belabas – My job consists in creating and manipulating quantum entanglement in small systems. Entanglement means weaving links among some magic many-body states, such as those we are learning to assemble by grouping identical specks of light. These entangled states have wonderful applications: they’re like the Gibis, the enemies of the Shadoks; they’ll solve any problem by putting on their hats, because that puts them in a state where they all think as one.

Since I’m a physicist, thinking of light brings up all the properties that I can measure: its intensity and color; how to guide its direction, and also a feature that makes it become quantal – the way it assembles in little bunches called photons. An assembly of photons is entangled when a specific property of part of the system – its light for a photon, say – is connected to the same property in another part. Measuring one, you get the result for the other without having to measure it. But of course, if I find a red left-hand glove in my drawer, the other red glove (necessarily right-hand) won’t be quantum-entangled with its twin. The measuring process doesn’t have an immediate effect on the second glove. They were in the same state before I ever touched them! To build a quantum-entangled glove state, you would have to first know how to create so-called “superimposed states”, both left- and right-handed. That can only be done with quantum objects, not with gloves. I like to draw entanglement as loops that move around like this.

In the lab, we design them, we build them, we measure them, we make them grow – not an easy thing to do efficiently. Photons have many ways to superimpose their states – being in two places at once, say, or displaying two colors at the same time… – hence being entangled. This behavior is (rather strangely) described in terms of their “degrees of freedom”. But in fact, they’re definitely individualists, they cross paths but don’t interact, they keep going straight on, far away. To make photons useful, to make them play together, the trick is to make them perfectly identical. Once that is done – and it’s also a quantum feat -, once you can’t know which is which, then you open a realm of possibilities, including photon compensation behaviors and ultimately the emergence of a collective behavior. Yes, photons are turned into sheep… And the aim is to assemble a herd of such entangled sheep.

Now these photons require a resonance cavity, a very efficient exit path. This is done with the very same materials that make up our everyday electronics: good old semiconductors. Ultimately, the devices made right here in our clean-room or at Quandela behave as we wish, meaning like a single atom with just two energy levels under control, or like a nonlinear crystal in a cavity – good providers of sheep. Combining such set-ups with tiny light circuits or photonic microchips, we produce portable quantum logic:  pocket entanglement, so to speak… To reach the stage where peaks displayed on a screen prove that everyone – photons and researchers – is well-connected, it’s crucial to have identical photons and presumably different researchers, with differing expertise, differing imaginations (and lots of freedom).

We hope to get many, many photons in this way: the more we get, the more we’ll be able to work wonders by blending them in a pretty entanglement with our science, our technology and our questions. They’re somewhat like music. For me, making music is nourishing the line you sing or play with all the music you’ve heard before, even the music you’ve imagined: a note is music, not just a sound, when it’s filled with that experience and that dream.

 3 min 44 s

Physicienne, chargée de recherche au CNRS, Nadia Belabas est membre du groupe Goss du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies CNRS-Université Paris Saclay (C2N). Elle travaille notamment en photonique quantique intégrée utilisant des sources semi-conductrices.

Nous remercions pour leur accueil les équipes du C2N ; et merci à Harry Bernas pour la traduction.

Dr. Nadia Belabas is a physicist, Research Fellow at CNRS, and a member of the Goss group at C2N-CNRS-Université Paris Saclay, she is an expert in integrated quantum photonics harnessing semiconductor device.

We thank the teams at the C2N for their welcome; our thanks to Harry Bernas for the translation.