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Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

Les Forges de Vulcain

26 minutes – 1992

Dars / Papillault
8 Mar, 2011
Tapuscrit...

Philippe Andrieux – Et voilà la fibre ! Bon foin, bonne paille, tout frais coupé, mélangé au mélange sable argile, juste avant de mouiller.

Commentaire – Au temps de Jules César, dans les forêts de la Montagne Noire, aux Martys, entre Carcassonne et Mazamet, les métallurgistes gaulois et romains s’activaient déjà dans d’énormes ateliers où ils produisaient du fer en quantités industrielles sur un domaine qui s’appelle encore à présent Les Forges. Vingt siècles plus tard, poussant ici la brouette inventée entre-temps par Pascal, Claude Domergue, professeur d’archéologie à l’université du Mirail à Toulouse, a retrouvé intactes les bases, en gros blocs de granit, d’une batterie de trois fours où le minerai de fer était transformé en métal pur. Bien que les archéologues n’aient pas l’habitude de mettre le feu à leurs découvertes, une fois remis en état les fours vont être rallumés.

Claude Domergue – L’enjeu c’est de fabriquer du fer dans les conditions où le faisaient les Romains. Exactement de la même manière, et l’enjeu c’est d’arriver à sortir une loupe de fer, un noyau, si vous voulez, de fer, de sept, huit kilos, compact. Voilà, c’est l’enjeu. Est-ce qu’on y arrivera, je n’en sais rien. On travaille sans filet.

Anne Papillault – Les techniques n’étaient pas les mêmes que maintenant ?

Claude Domergue – Ah non, maintenant pour obtenir du fer on passe par le stade de la fonte, hein, avec des hauts-fourneaux, les convertisseurs électriques, etc. Tandis que là, dans l’Anti­quité, pour des raisons de température, de hautes températures qu’ils ne pouvaient pas obtenir, on passe par le stade fer-fer, du véritable fer.

Commentaire – Aussi étrange que cela paraisse au siècle des aciers spéciaux, on ne sait toujours pas comment l’Empire romain produisait son fer doux. À partir des vestiges retrouvés dans les fours ou alen­tours, blocs de scories, loupes de métal, débris de bois, on va tenter de percer le mystère. Il faudra donc, en plus des fours eux-mêmes, et par ordre d’apparition, un main-d’œuvre abon­dante, comme des étudiants en archéologie et en histoire ainsi que leurs professeurs, acceptant de s’enfumer à brûler de la fougère pendant des heures pour en recueillir la cendre ; pour enduire de réfractaire l’intérieur du four, Casimir, un homme de l’art ; des briques de torchis en abondance pour reconstituer toute la partie supérieure fragile parce que faite de plaques de schiste simplement maçonnées ; deux soufflets, taillés chacun dans le cuir de deux vaches qu’on actionnera pendant une quinzaine d’heure sans interruption à un rythme alternatif et soutenu. Pour couronner le tout, un archéologue spécialisé en métallurgie antique, Philippe Andrieux. Depuis des années, un peu partout en Europe, il reconstitue, rebâtit, rallume, éventre des fours de réduction dans l’espoir de produire enfin du fer à l’antique. Et bien entendu, pour alimenter la gueule du futur Moloch, avec le charbon de bois il faut du minerai de fer.

AP – D’où il vient ce minerai-là ?

Catherine Jarrier – Alors, le minerai, on ne sait pas trop, il vient peut-être des environs parce qu’il y a des formations géologiques qu’on appelle chapeaux de fer, et ils devaient certaine­ment le prélever là-bas, maintenant, dans les chapeaux de fer qu’on a trouvés, qu’on a trouvés dans le coin, le minerai de fer il y en a plus beaucoup. Donc tout a été exploité. On suppose qu’il vient de là.

AP – Et il a été oublié ici ?

Catherine Jarrier – Ils l’ont laissé sur place, ici, visiblement oui.

AP – Et pourquoi il faut le casser ?

Catherine Jarrier – Il faut le casser… Il faut que la taille des morceaux de minerai soit suffi­sam­ment petite pour qu’il y ait un meilleur échange avec le charbon de bois et donc avec l’oxyde de carbone qui s’échappe du charbon pour que la réduction se fasse bien.

Commentaire – Au XVIe siècle, un métallurgiste allemand, George Bauer, ce qui veut dire « pay­san », et qui en bon humaniste signait donc Agricola, publie enfin un traité, le premier du genre, abondant en descriptions des fours et soufflets de son époque, la Renaissance. En espé­rant que la technique et les instruments n’avaient pas trop changé depuis les Romains, on s’en inspire pour rebâtir les fours des Martys. Malgré la pluie, tandis que le premier est mis à sécher douce­­ment, la construction du deuxième commence. Grâce à la pluie, la bande d’étu­diants instal­lés jusque là sans grand souci des austères rigueurs de la production industrielle, recrée d’instinct, en se réfugiant sous l’abri d’une bâche, la configuration idéale d’un atelier de métallurgistes gallo-romains. La pluie est un grand expérimentateur.

Jean-François Dars – Qu’est-ce que c’est comme matériau ?

Philippe Andrieux – Ça c’est de l’argile très sableuse et dans laquelle je suis en train de creuser la tuyère.

JFD – La tuyère c’est ce qui va aller du soufflet au four ?

Philippe Andrieux – C’est ce qui va engager l’air dedans et amener l’air dans le four.

Francis Tollon – On va donc prendre du gaz dans le four et puis on va analyser la teneur en Co, Co2 et oxygène pour connaître la proportion de Co pour la réduc­tion du fer. Donc c’est toujours cette proportion : volume d’air initial rentré dans le four, quantité de charbon donc, brûlé, charbon de bois, et à ce moment-là, teneur en Co au niveau le plus chaud, c’est-à-dire douze cent, douze cent-cinquante, à la lisière des charbons de bois où on a justement réduction du fer métal contre les charbons de bois. Et normalement le fer-métal il va se retrouver au fond du four.

Philippe Andrieux – La trois est à 900 ° ! La quatre est à 260 °, la cinq est à 160 °. Je rajoute cent litres de charbon. Il est trois heures trois. Messieurs, au vent !

Casimir – La deux, elle est à 840.

Philippe Andrieux – On sait que la sonde du haut nous indique 440 ° à peu près, et c’est donc pour nous le signal qu’on a toute une colonne qui est complètement chargée thermiquement, qu’on a donc une répartition des gaz correcte. Et donc, à ce moment-là, ça nous autorise à mettre le minerai. Minerai ! 2 kilos !

Philippe Andrieux – Scorie ! … Je mouche la tuyère !

Commentaire – Bien entendu, tout est scrupuleusement noté : les mouchages de la tuyère par où l’air des soufflets rentre dans le four, et que les scories ont tendance à encrasser, mais aussi les tempé­ratures fournies par les sondes, l’heure et la quantité des charges de charbon de bois ou de minerai, et même, en fin de parcours, de cendre de fougère.

Casimir – Pour l’instant on a passé à peu près cinquante litres de charbon de bois pur, après avoir passé avec minerai, et maintenant on commence à faire avec l’additif fougère.

Philippe Andrieux – On va tenter de liquéfier la scorie avec cette fougère de manière à ce qu’on puisse ensuite l’écouler par un trou qui est sous la tuyère… J’ai donc décidé, puisque c’était complètement bouché en bas et que j’ai un air qui est puissant, et que je suis bien scorifié autour de la tuyère, j’ai décidé de percer juste au-dessus, de manière à faire rentrer de l’air et à garder la température dans la même zone. … C’est l’enfer là-dedans ! … Bon, ça descend bien…

Commentaire – Au bout de treize heures de pompage, en pleine nuit, il est temps d’extraire le massiot. On dégage les soufflets pour pouvoir défoncer la porte. C’est d’ailleurs, à dessein, la seule partie fragile du four.

Comme la scorie n’a pas vraiment coulé, le métal est dispersé dans le massiot, difficile à travailler pour un forgeron. Dès le lendemain matin débute la deuxième des trois tentatives : il faut retrouver comment et à quel moment les sidérurgistes gallo-romains arri­vaient à faire couler la scorie. Car une chose est certaine, et spécialement aux Martys, ils y arrivaient !

Claude Domergue – Ce site a été exploité… C’était un monceau de scories primitivement, qui avait 250 mètres de diamètre et jusqu’à 25 mètres de hauteur. Il y avait entre deux et trois millions de tonnes, quelque chose d’énorme. Il a été détruit pour les besoins de l’industrie moderne depuis 1930. On l’a exploité, alors il a diminué, il a diminué, il a diminué, et puis maintenant il n’existe plus. Et alors à la base du tas on a trouvé les niveaux les plus anciens, ce qui est normal, qui datent alors, eux, de 50 av. JC. Là, on est au niveau 50 av. JC et puis on a eu la chance de trouver des fours.

Une dame – Moi j’ai travaillé à ce chantier, moi.

Claude Domergue – Il y a longtemps, alors, hein ?

La dame – Oh, ça a fini en 39. Et puis on n’était que des jeunes, on rigolait… On s’amusait.

Claude Domergue – Et dites, vous avez dû connaître le ferrier, le tas de scories quand il était presque intact, vous ?

Un monsieur – Oh ben, je me rappelle très bien, ici, là, vous aviez une grande grande prairie, là…

Claude Domergue – Nous avons une photo du site : on voit la colline de scories, un truc énorme !

La dame – Il y avait un stock !

Claude Domergue – Alors, comment… Il y avait un tapis roulant ?

La dame – Un tapis roulant…

Claude Domergue – Vous enleviez les pierres ?

La dame – Les mauvais, et on laissait partir le bon. Mais enfin, des fois, il y avait le mauvais qui partait aussi, parce qu’il y en avait… Et là, on trouvait des poteries avec des dessins. On les mettait de côté, moi j’en avais un plein carton, et puis on avait trouvé une grosse poterie, comme ça, une potiche, et alors là le patron l’a prise à Paris. Et il y avait la date, au fond, c’est pour ça que c’était important.

AP – Et vous saviez qu’il y avait des fours romains ?

Jean-Marc Fabre– Il y avait forcément des fours, parce qu’il y avait des scories.

AP – Les scories, c’était romain ?

Jean-Marc Fabre – Ah oui, tout à fait, oui, oui…

AP – Comment ?

Jean-Marc Fabre – Par le contenu, notamment en tessons de poteries de ces fameuses falaises de scories, puisque nous avions des tessons de poteries qui dataient – des pièces de monnaie aussi, mais surtout des tessons de poterie – qui dataient des années 50 av. JC, en gros à l’époque de la conquête de César, jusqu’aux années 250 – 260. Je crois que sans exagérer on peut penser que c’est une des plus importantes, et peut-être la plus importante exploitation de fer de tout l’Empire romain. Et elle est abandonnée en 260 – 270, elle est abandonnée, sans qu’on sache pourquoi. Et ce qui est intéressant et significatif, c’est qu’il n’y a pas une ligne dans un texte latin qui parle de ces productions. La civilisation romaine n’aurait jamais existé si on n’avait pas produit massivement du fer, mais en même temps les gens qui écrivaient ne se préoccupaient absolument pas de tout ce qui était production industrielle : ça n’était pas inté­ressant, ça n’était pas noble. On parlait de la vie politique, on parlait un tas de chose, on parlait éventuellement de l’agriculture, mais ce que nous appelons nous l’industrie était totale­ment ignoré des auteurs anciens.

Casimir – On  charge !

Philippe Andrieux – Je mouche la tuyère ! …

Casimir – J’ai mis une charge normale : charbon de bois, cendre de fougères et minerai…

Philippe Andrieux – Comment obtenir une scorie très liquide ? Eh bien il n’y a qu’une seule solution, c’est, dans un milieu siliceux, à un moment donné ajouter un alcalin pour créer une eutectique et une scorie très liquide. C’est-à-dire : en ajoutant un alcalin, dans une scorie acide, descendre son point de fusion. Et il y a un matériau dont on connaît bien l’usage comme alcalin dans les textes, c’est la cendre de fougères.

Un spectateur – Dans les scories il y a beaucoup de silice, aussi et il faut bien qu’elle vienne de quelque part.

Philippe Andrieux – Alors la silice… S’ils ajoutent de la silice dans un milieu déjà acide ils sont pas prêts de liquéfier quelque chose. Il faut donc, en fait, aller chercher un produit qui liquéfie tout de qui est siliceux. Et moi j’en connais qu’un. C’est soit de la soude ou de la potasse.

Le spectateur – Oui, bon, je suis d’accord… Il faut qu’il y ait du potassium, un peu de sodium, des choses comme ça.

Philippe Andrieux – J’ai l’impression que je suis moins réducteur que les autres fois, au goût en tout cas.

JFD – C’est un rituel masochiste, ça ?

Philippe Andrieux – Non, c’est pas un rituel masochiste, je prends du gaz que j’inhale de manière à avoir une réaction par l’oxyde de carbone. Et normalement, s’il y a une très grosse teneur, j’ai une petite douleur sur l’arrière de la tête. Ça c’est la méthode qu’emploient les Japonais et certains Africains. Ils me l’ont montrée et c’est relativement efficace, et là j’ai l’impression qu’on n’est pas…. Ouais, tu fais une analyse de gaz, s’il te plaît…

Philippe Andrieux – Oh nom de Dieu, on y est… Que c’est beau ! Regarde comme ça coule, regarde, viens voir, viens voir ! Ben, ça veut dire que ça y est, on arrive à faire s’écouler la scorie, donc le métal va pouvoir se dégager de toute la scorie qui l’empâte, donc on devrait sortir le massiot beaucoup mieux, le métal étant libéré du bain de scories devrait arriver à se grapper beaucoup plus fort et on devrait arriver vers une masse métallique beaucoup plus concentrée. Alors ce que j’ai changé, c’est que dans la première manipulation on avait tenté de liquéfier, a posteriori, on avait liquéfié le dessus mais ça n’avait pas réussi à agresser suffisamment pour liquéfier toute la masse. Donc là on a mis la cendre de fougères avec le minerai et on a laissé ouvert le trou à scories, ce qui fait que les gaz les chauffent et donc laissent la scorie suffisamment liquide pour qu’elle puisse extruder petit à petit.

Claude Domergue – Tout l’art du métallurgiste va consister à maintenir à l’intérieur du four, et sans le voir, les Anciens ne le voyaient pas, nous on sait par tous les fils qui sortent du four et par les appareils de mesure, les ordinateurs qui sont là-bas sur le plastique, nous connais­sons la température intérieure du four. Eux ne savaient pas mais ils avaient le nez et ils savaient, ils sentaient les choses. Donc l’art du métallurgiste c’était de maintenir au fond de la cuve un bain liquide à très haute température d’un matériau qui ne servait à rien, qu’il fau­drait évacuer, mais on ne pouvait pas l’évacuer tant que ne s’était pas formé au-dessous la masse spongieuse de fer qui, elle, était intéressante. Alors ça durait un certain temps. À un certain moment le métallurgiste disait « Ça y est ! ». Alors il perçait le devant du four et s’échappait un flot de scories liquides.

Philippe Andrieux – La scorie coule ! … Je mouche la tuyère ! …

Commentaire – Pour obtenir un massiot d’une soixantaine de kilos, dont une quinzaine de kilos de métal, après avoir laissé s’écouler aux alentours de 1200 ° une bonne vingtaine de kilos de scories, il faudra à chaque fois plus de cent kilos de minerai, entre soixante et cent-quarante litres de cendre de fougères, selon les essais, environ quatorze cents litres de charbon de bois, tandis que les soufflets maintiennent pendant quatorze heures un feu d’enfer donnant au four un faux air d’incendie dans la Tour de Babel.

Philippe Andrieux – Le mantelet !

Casimir – Vous avez les même pour homme ?

Philippe Andrieux – C’est bon !

Casimir – Oui, je l’sais. Un point d’appui…

La foule – Bravo !

Commentaire – Les métallurgistes antiques utilisaient probablement leurs fours selon une formule idéale, par batteries de trois. Pendant que l’un travaillait, le deuxième se remettait de ses émotions, et l’on réparait le troisième. C’est le premier four dûment refroidi qui va resservir pour le troisième massiot, histoire de vérifier si un bon four n’est pas un four qui a subi l’épreuve du feu.

JFD – Casi, qu’est-ce que tu fais, là ?

Casimir – Bon, ben, je vais refaire un tout petit peu l’intérieur du four, mais il a très bien tenu, étonnamment, donc j’ai presque rien à refaire, je vais simplement reprendre la… refaire la porte et refaire quelques parties un peu fragiles, c’est une sécurité, c’est peut-être pas forcé­ment complètement essentiel mais ça me tranquillise. Et là c’est l’équivalent de l’entretien, je fais mon niveau d’huile, quoi, sans plus.

Laure Lacoste – La superstructure que vous voyez à gauche, c’est-à-dire la cheminée qui est faite de plaques de schiste et de réfractaire, un mélange, une sorte de torchis si vous voulez, un mélange d’argile et de paille, a été rebâtie pour l’expérimentation. On s’est basé pour le rebâtir sur ce qu’on avait trouvé à l’intérieur des fours…

Christian Rico – Environ 50 ans avant notre ère, au moment où César vient avec ses légionnaires pour envahir la Gaule, ici c’était déjà plus ou moins romain. Ici on avait des Romains qui tra­vail­laient le fer, qui transformaient le minerai en fer.

Catherine Jarrier – Alors c’est ça qu’il s’agit de fondre et comment obtient-on du fer à partir de ça ? Par une réaction chimique qui est assez simple puisque dans le minerai, outre la gan­gue, outre les déchets, on a du fer, mais à l’état oxydé. Il s’agit par la fusion d’extraire le fer, c’est-à-dire de lui ôter les atomes d’oxygène.

Philippe Andrieux – Casimir et moi, nous avons rechapé très soigneusement l’intérieur du fourneau, donc nous avons rajouté, sur des fissures qui nous paraissaient dangereuses, de l’argile pour bien les obturer. Et depuis le début cette argile n’arrête pas d’entrer en fusion et de tomber devant ce trou et de me créer des choses plus gluantes qui bloquent les écoule­ments, qui les freinent, donc les écoulements figent, donc je n’arrête pas d’avoir un trou de coulée de scories obturé, donc systématiquement faut que je désobture… Ça veut sans doute dire qu’il faut laisser le four se bouffer plutôt que de le réparer. … La scorie coule !

Claude Domergue – C’est beau, hein ?

Philippe Andrieux – À la une, à la deux, et c’est parti !

(Applaudissements)

Commentaire – Avec la disparition de leur civilisation le savoir-faire des métallurgistes gallo-romains était tombé dans l’oubli. Grâce aux précieux conseils laissés par Agricola, grâce aux fours retrou­vés sous la colline de scories des Martys, comme des sentinelles endormies, on a pu faire rejaillir des étincelles sous les dents de la scie, en quelques sortes des étincelles au bois dor­mant. Car elles sont le signe indubitable de la présence d’une énorme loupe de métal, bien compacte, de presque quinze kilos, comme on n’en avait plus fabriqué depuis que le secret s’en était perdu, il y a vingt siècles. Il n’y a pas que la science fiction pour voyager dans le temps.

Bernard Pieraggi – Ça commence à ressembler à du fer doux, ici on retrouve quand-même des zones qui sont des zones perlitiques, donc qui contiennent du carbure de fer. Et ensuite, sur le même échantillon, dès que l’on va pénétrer à l’intérieur de l’échantillon j’arrive à des zones extrêmement, beaucoup plus carburées ici. Plus carburées parce qu’il y a moins d’aiguilles de fer pur.

Commentaire – Post-scriptum : le microscope est formel, les massiots des Martys contiennent bien de l’acier, c’est-à-dire un alliage de fer et d’environ un pour cent de carbone sur lequel les meilleures scies se cassent les dents. De l’acier et non du fer. Mais Pline l’Ancien n’écrivait-il pas déjà : « Il y a plusieurs sortes de fer ». A vingt siècles de distance ce sont les mêmes fours qui ont tout aussi bien résisté, la même scorie qui a coulé, le même minerai qui a produit les mêmes loupes de métal, comme si, le temps d’une expérience, les métallurgistes gallo-romains s’étaient remis au travail.

27 min 53 s

La province de la Narbonnaise fut jusqu’au 3e siècle le second producteur de fer de l’empire romain. À partir de vestiges retrouvés près de Mazamet, l’historien Claude Domergue et l’archéométallurgiste Philippe Andrieux reconstituent plusieurs fours de réduction d’où ils tirent des massiots de fer comparables à ceux de l’Antiquité.