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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

UNE MÈRE, C’EST UNE MÈRE / A MOTHER IS A MOTHER

De l’influence des secrets de famille sur l’obligation alimentaire et la réforme de la dépendance.

Family secrets, obligatory maintenance and reforming French dependency law.

Florence Weber
26 Sep, 2011
Tapuscrit...

Florence Weber – Tout commence en 1998, à l’enterrement de ma mère. Marie-Thérèse est là, Marie-Thérèse est la femme de ménage de ma mère. Elle est aussi une enquêtée et une amie. Et elle me dit : « Une mère, c’est une mère ». Quelques jours plus tard elle vient me voir et elle m’explique que son mari, Bernard, est très inquiet, parce que la maison de retraite de sa propre mère lui a demandé de payer une partie de la facture. Je ne savais pas que ça existait, à ce moment-là, ça s’appelle l’obligation alimentaire. Et elle me raconte l’histoire et Bernard me dit : « Je n’irai pas à l’enterrement de ma mère. » Et je découvre que, dans les années 50, ses parents avaient divorcé, et que deux de ses frères étaient partis avec la mère, et que lui-même était parti avec le père. On savait que la mère avait un amant et on soupçonnait que cet amant était le père d’un des fils. D’un point de vue social, le père de Bernard est ouvrier, sa mère était issue d’une petite bourgeoisie provinciale, et l’amant était conservateur de musée. Bernard lui-même est devenu ouvrier et une partie des ses frères et sœurs sont devenus de hauts cadres… Donc c’est important, je pense, d’avoir cet arrière-plan social à l’intérieur de la famille…

Donc l’amant de sa mère avait donné un pavillon à son, à sa maîtresse. Et le, au moment de la crise avec la maison de retraite, il est décidé finalement que c’est ce fils qui a reçu le pavillon qui va payer l’intégralité de la maison de retraite. J’analyse cette histoire comme la preuve que la filiation n’est pas inconditionnelle, et qu’il y a à la fois du calcul économique, du sentiment et de la norme. Et je raconte l’histoire dans un livre, je fais des conférences à l’étranger et en 2008 j’apprends que Bernard a tenu parole et qu’il n’est pas allé à l’enterrement de sa mère. En 2011 le débat commence sur la réforme de la dépendance et la question de l’obligation alimentaire revient, comme une question politique, et je découvre à cette occasion que mon travail sur la mère de Bernard a circulé et circule dans les milieux qui vont décider l’avenir de l’obligation alimentaire. Cette histoire, je la dédie à Bernard et à Marie-Thérèse, qui sont morts aujourd’hui, et Marie-Thérèse a lu mes livres, a lu mes analyses, et elle s’est reconnue dans ce que je disais d’elle et dans cette articulation difficile entre le calcul économique, le sentiment, les comptes et l’amitié, les comptes et la famille. Et c’est cela le métier d’ethnographe, c’est une traduction entre la langue des enquêtés et la langue scientifique, puis une traduction entre la langue scientifique et le débat politique. L’ethnographe doit maîtriser ces trois langues. Et doit pouvoir aussi rêver dans ces trois langues.

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Transcript...

Florence Weber – It all started in 1998, at my mother’s funeral. Marie-Thérèse was there, she was my mother’s cleaner. She is also a case study of mine and a friend. She said to me: « A mother is a mother ». A few days later she came to see me and explained that her husband, Bernard, was very worried because his mother’s retirement home had asked him to foot part of the bill. I didn’t know at the time that what is called obligatory maintenance existed. She told me the story and Bernard said to me: « I won’t be going to my mother’s funeral. » I found out that his parents had divorced in the 50s, and that two of his brothers left with their mother, and he stayed with his father. They knew his mother had a lover, and suspected him of being the father of one of the sons. From a social point of view, Bernard’s father was a worker, his mother came from the provincial petty bourgeoisie, and her lover was a museum curator. Bernard became a worker and some of his brothers and sisters, senior executives… I feel it’s important to know the social background within the family…

The mother’s lover gave his mistress a house. At the time of the problem with the retirement home, it was decided that the son who’d inherited the house had to pay the entire bill for the home. I interpret this story as proof that filiation isn’t unconditional, that there are financial considerations, feelings as well as the norm. I told this story in a book, spoke at conferences abroad and, in 2008, learnt that Bernard had kept his word and hadn’t gone to his mother’s funeral. In 2011 the debate began on reforming French dependency laws and the question of obligatory maintenance was raised again, as a political issue. I then found out that my work on Bernard’s mother had circulated and was being circulated amongst the people who were to decide the future of this obligatory maintenance. I dedicate this story to Bernard and Marie-Thérèse, who are now both dead. Marie-Thérèse read my books, read my analyses, and recognized herself in what I was saying about her and the tough balance between financial calculations, feelings, accounts and friendship, accounts and family. That is the role of an ethnographer, to translate between the language of case study subjects and the language of science, then between the language of science and political debate. The ethnographer has to master these three languages. And be able to dream in all three.

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Sociologue et anthropologue, professeur des universités, directrice du département des sciences sociales de l’École normale supérieure, Florence Weber revient sur un cas d’enquête qui la touche au plus près. À Montbard, en milieu ouvrier, une situation classique d’adultère mène le mari de la femme de ménage de sa mère à tenter d’éviter de se plier à l’obligation alimentaire envers sa propre mère puis à refuser d’aller à son enterrement. Après publication, ce cas ira nourrir la réflexion sur la réforme de la dépendance, passant par trois langages successifs : celui de l’enquête, celui de la mise en forme scientifique et celui de l’intervention politique.

Professor, head of the Social Sciences department at École normale supérieure (Paris), Florence Weber goes back to a case study that touches her closely. In a French working class neighborhood, because of an old affair concerning his parents, the husband of her mother’s cleaner questioned his obligatory maintenance towards his own mother and refused to go to his mother’s funeral. When published, this case study provided input for the debate on reforming French dependency laws, going through three successive languages: the field language, the scientific one and the political one.