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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

QUAND LA MUSIQUE FAIT LE GRAND HUIT

Une illusion ou un paradoxe perceptif : la hauteur sonore ne suit pas toujours la fréquence.

Jean-Claude Risset
13 Déc, 2011
Tapuscrit...

Jean-Claude Risset – La musique joue sur la hauteur des sons (un peu de Debussy au piano). Messiaen disait : « Toute musique monte… (encore piano) … et descend (encore deux-trois notes). Alors la hauteur des sons est dans l’oreille de celui qui écoute. Et l’oreille peut repérer les variations de hauteur, do, ré, mi, fa, sol. Mais les physiciens préfèrent mesurer des grandeurs physiques. Au 19e siècle, Seebeck utilisait des sirènes et il assimilait la hauteur à la fréquence, le son monte ou descend quand la fréquence augmente ou diminue. Alors on va entendre des sirènes avec les percussions dans l’œuvre « Ionisation » de Varèse…
(Son de sirène)
En 1958, Max Mathews a mis en œuvre la synthèse sonore par ordinateur, le son y est calculé point par point, sans recourir à un système vibrant comme une sirène ou un instrument de musique. J’ai tiré parti de la synthèse pour mes recherches sur le son et aussi pour ma musique. L’ordinateur permet d’imaginer d’étranges sirènes…
(son d’une étrange sirène)
Le son glisse vers le bas et pourtant il est déjà revenu au point de départ, il pourrait donc continuer sans fin ! Cependant le son baisse, ce n’est pas une illusion, même si c’est paradoxal… La fréquence ne descend pas indéfiniment, sinon le son sortirait bien vite du champ audible ! Ce qui est une illusion, c’est d’assimiler la hauteur, une expérience subjective, l’écoute, à la fréquence, paramètre objectif et mesurable. La descente de hauteur est circulaire, do, si, la,sol, fa, mi, ré, do, si, la, sol, fa, mi, ré, do, à l’image de ces courbes de Frazer qui donnent l’illusion d’être des spirales, alors que ce sont des cercles !
(fin de l’étrange sirène)
Alors j’ai été inspiré par Roger Shepard, qui avait synthétisé douze sons paraissant descendre sans fin lorsqu’ils sont répétés, comme les marches de cet escalier de Penrose qu’on peut descendre indéfiniment…

Alors la hauteur a aussi une dimension grave-aigu, comme on voit sur cette hélice, représentation de la hauteur sonore ; et en jouant sur cette dualité, j’ai réalisé un son paradoxal, à l’image de cette gravure d’Escher, où l’eau paraît descendre, mais pour arriver à un point plus haut, d’où elle retombe en cascade sur elle-même. Le son descend la gamme, le son qu’on va entendre, et il est pourtant plus aigu à la fin qu’au début.
(son made in Risset)
La hauteur ne peut donc être assimilée à la fréquence, en voici encore une preuve radicale : lequel vous semble le plus haut des deux sons qui suivent, et de combien ?
(deux sons qui s’enchaînent)
La plupart des auditeurs trouvent le deuxième son un peu plus bas, d’environ un demi-ton, pourtant ce deuxième son est déduit du premier en doublant toutes ses fréquences, il est donc physiquement une octave plus haut ! Ici fréquence et hauteur varient en sens inverse.

J’ai démontré des paradoxes semblables pour le rythme ; de tels effets nous éclairent sur les singularités de notre audition et ces singularités peuvent s’interpréter à la lumière de l’évolution darwinienne. Mais ceci est une autre histoire…

3 min 47 sec

Compositeur et directeur de recherche au CNRS / LMA, médaille d’or du CNRS et Grand Prix national de la musique, Jean-Claude Risset, pionnier avec Max Mathews de la synthèse des sons, a participé à la création de l’IRCAM. Il joue avec la fréquence et la hauteur des sons pour en tirer des effets acoustiques analogues aux illusions d’optique d’Escher : les sons semblent descendre à l’infini alors qu’ils reviennent régulièrement à leur point de départ.