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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

C’EST L’HISTOIRE D’UN PHOTON… / IT IS THE STORY OF A PHOTON…

Les étranges rapports d’un photon avec une vitre sous la loupe quantique.

The strange relationship between a photon and a window – under the quantum magnifying glass.

Alain Aspect
15 Déc, 2011
Tapuscrit...

Alain Aspect – C’est l’histoire d’un photon, un photon unique, un photon qui n’a ni frère, ni sœur, qui arrive sur une lame semi-réfléchissante, une lame semi-réfléchissante, on en connaît tous un exemple, c’est la vitre sur laquelle tombe un rayon de soleil, et tout le monde a vu qu’une partie du rayon est réfléchie et l’autre partie du rayon est transmise à travers la vitre. Oui mais, le photon, quand il arrive sur la vitre, y peut pas se couper en deux ! Alors qu’est-ce qu’il fait ? Eh bien, soit il va être transmis, soit il va être réfléchi. Mais la lumière, nous savons depuis le début du 19e siècle qu’en fait c’est une onde ! Comment le savons-nous, parce que des savants qui s’appellent Thomas Young en Angleterre ou Augustin Fresnel en France ont fait de nombreuses expériences, ont montré des propriétés d’interférence et de diffraction qu’on ne sait expliquer qu’en admettant que la lumière se comporte comme une onde. J’ai un photon unique que j’envoie sur une lame semi-réfléchissante, il décide d’aller soit d’un côté, soit de l’autre, et ça je peux le vérifier en mettant un détecteur de chaque côté et en vérifiant qu’il est détecté soit d’un côté, soit de l’autre. Et ensuite je fais une deuxième expérience, dans laquelle je recombine les deux côtés de la lame, et là j’observe des interférences, et les interférences, je connais un seul moyen de les interpréter, c’est qu’il y a une onde qui s’est coupée en deux et qui s’est recombinée.

Donc dans la première expérience, le photon se comporte comme une particule, qui ne peut qu’aller soit d’un côté, soit de l’autre, alors que dans la deuxième expérience il s’est comporté comme une onde qui se coupe en deux ! Bizarre, n’est-ce pas ? Oui, la mécanique quantique est bizarre, en l’occurrence c’est la fameuse propriété de dualité onde-particule ! Finalement, c’est peut-être moins bizarre qu’il n’y paraît. Comme nous l’a enseigné Niels Bohr, les propriétés des objets microscopiques dépendent du type de mesure. Donc si je fais une mesure cherchant à mettre en évidence le caractère d’onde, le photon réagit comme une onde. Si je change d’appareil de mesure, que je prends un appareil de mesure cherchant à mettre en évidence le caractère particule, le photon se comporte comme une particule ! Eh bien, un monsieur très malicieux, John Archibald Wheeler, a imaginé l’expérience suivante : on va choisir le dispositif qui mettra en évidence le caractère d’onde ou le caractère de particule après que le photon se soit présenté sur la première lame semi-réfléchissante. Ce qui veut dire que au moment où il arrive sur la lame semi-réfléchissante, le photon, l’objet soumis à la mesure, n’est absolument pas informé du type de mesure qui sera fait sur lui plus tard. Alors là, on continue à trouver bizarre que néanmoins, lorsque tout est achevé, eh bien on observera soit le comportement onde, soit le comportement particule, suivant la mesure qui a été faite à la fin.

Que peut-on dire, eh bien, que ça fait partie de ce qu’on appelle la non-localité quantique, à savoir que c’est au dernier moment, au moment où on va faire la dernière mesure, au moment où le photon va être détecté par son détecteur, que en quelque sorte l’ensemble de l’histoire va être figé, et y compris l’ensemble de l’histoire passée ! Alors ceci ne permet bien entendu pas de remonter le temps, mais cela nous conduit, dans notre description du monde, à accepter que de temps en temps il y a des choses bizarres qui semblent affecter le passé par les observations que nous sommes en train de faire maintenant.

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Transcript...

Alain Aspect – It is the story of a photon, a single photon, a photon that has neither brothers nor sisters, and that arrives at a beam splitter. We all know an example of a beam splitter: the window on which a ray of sunlight arrives, and as everyone has seen, a part of the ray is reflected and a part of the ray is transmitted through the glass. Yes but…when the photon arrives on the glass, it cannot cut itself in two. So, what does it do? Either it will be transmitted, or it will be reflected. But light, as we have known since the beginning of the nineteenth century, is actually a wave! How do we know? Because Thomas Young in England and Augustin Fresnel in France have done many experiments showing diffraction and interference, properties that can only be explained by admitting that light behaves as a wave.To sum up: a single photon decides to go either on one side or on the other, which I can verify by putting a detector on each side, and observing that it is detected either on one side or on the other. And then I do a second experiment, in which I recombine the two sides of the beam splitter. There I observe interferences, that I only know one way of interpreting, that there was a wave, which was separated in two parts, and is recombined. Thus in the first experiment the photon behaves like a particle that can only go either on one side or another; and in the second experiment the photon behaves like a wave that is split. Weird, right? Yes, quantum mechanics is weird.

As it happens, this is the famous property of « wave-particle duality ». It is perhaps less weird than it seems at first. As Niels Bohr taught us, the properties of microscopic objects depend on the type of measurement we do. So if I do a measurement to reveal wave properties, the photon responds like a wave. If I change the measurement apparatus, and take a measurement apparatus to reveal particle characteristics, the photon behaves like a particle. Well, a mischievous man, John Archibald Wheeler, imagined the following experiment. We will choose the measurement apparatus, which shows either wave or particle character, after the photon hits the first beam splitter.
This means that at the very moment it arrives at the beam splitter, the photon — the object we are measuring — is not informed about the type of measurement that will be done on it later. Well, we continue to find (strangely!) that nevertheless, after everything is done, we continue to observe either wave behavior or particle behavior, depending on which measurement was done.

What can we conclude? This is one aspect of « quantum non-locality », in which it is only at the last moment, the moment we do the final measurement, when the photon is detected, that in some way the complete story will be frozen, including the past. Of course, this does not allow us to go backwards in time, but that does lead us, in our description of the world, to accept that from time to time there are strange things: it seems that the past is affected by the measurement we are doing in the present.

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Physicien, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Institut d’Optique et à l’École polytechnique, académicien, médaille d’or du CNRS, lauréat du Prix Wolf, Alain Aspect remonte les chemins de la fameuse dualité onde-particule et, mettant ses pas dans les pas de Niels Bohr et de John Archibald Wheeler, interroge la profonde énigme du comportement d’un photon sur une lame semi-réfléchissante ou dans un interféromètre construit autour de cette lame.

CNRS Senior Scientist, Professor at the Institut d’Optique and at the Ecole Polytechnique, member of the French National Academy, winner of the CNRS Gold Medal and the Wolf Prize, Alain Aspect traces the path of the famous particle-wave dualit. Following the footsteps of Neils Bohr and John Archibald Wheeler, he discusses the profound puzzle of how a photon behaves when faced with a beam splitter and (sometimes) an interferometer.