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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

GRAINS DE MÉMOIRE

À la chasse aux micro-témoins du temps d’avant les planètes.

Jean Duprat
25 Jan, 2012
Tapuscrit...

Jean Duprat – Donc ici, nous étudions des objets minuscules, des micrométéorites. La Terre est constamment bombardée par ces poussières extra-terrestres, elles font un dixième de millimètre, la taille d’un cheveu. Il en tombe en permanence sur terre, en fait, pour les plus grosses d’entre elles, on peut considérer que c’est des résidus d’étoiles filantes. Ce qu’il y a d’intéressant pour nous, c’est que ces objets se souviennent en fait de la formation du système solaire, il y a 4,5 milliards d’années. Pour comprendre ce qui s’est passé à ce moment-là, ce qu’il faut pouvoir faire c’est étudier la composition isotopique de ces grains, c’est-à-dire étudier les noyaux qui les constituent. Et c’est ce que nous faisons ici, là en ce moment, au Muséum d’Histoire Naturelle, avec cet instrument qui s’appelle un Nanosims, une sonde ionique. Nous pulvérisons la matière de ces poussières pour identifier les noyaux à l’intérieur, les compter et faire des rapports, ce qu’on appelle, nous, des rapports isotopiques.

Alors les grandes questions qu’on se pose avec ces poussières, c’est surtout sur la formation du système solaire. C’est-à-dire au début, dans une zone froide de la galaxie, un nuage dense de gaz et de poussière s’est isolé. Et au cœur de ce nuage la matière s’est effondrée pour former le jeune Soleil, là ce qu’on appelle nous la protoétoile. On sait finalement peu de choses de cette période assez agitée du système solaire, sa naissance. On observe bien de telles étoiles en formation, mais l’objet lui-même au centre du nuage, la protoétoile, ça reste quelque chose d’assez mystérieux, elles sont enfouies dans un cocon de gaz et de poussière. Ce n’est qu’au bout de plusieurs millions d’années que les brumes de ce nuage, de ce cocon, se dissipent, pour former un gaz d’accrétion autour de l’étoile, un disque d’accrétion, et c’est au sein de ce disque que se formeront cette fois-ci plusieurs dizaines de millions d’années plus tard, les planètes telles que nous les connaissons. Les grains de poussière que nous étudions ont été capturés puis conservés dans des comètes, ils datent de ce moment-là, ils ont été conservés dans des comètes très loin, au-delà de l’orbite de Neptune, avant de retomber sur Terre… Ce sont pratiquement les seuls objets à notre disposition actuellement qui aient gardé la mémoire de ce moment-là, de ce disque d’accrétion.

Alors, comment fait-on pour trouver ces grains ? Eh bien ils tombent partout sur terre, mais la plupart d’entre eux sont assez fragiles, et surtout ils se perdent dans la masse des poussières terrestres. Donc pour les trouver, il faut aller dans des endroits extrêmement propres et de ce point de vue-là, l’un des endroits imbattables sur terre, c’est le Pôle Sud. Parce qu’il est entouré d’océans, ce qui l’isole des poussières terrestres. Grâce à l’Institut polaire français, l’Institut Paul-Emile Victor, nous pouvons aller au centre de l’Antarctique, à Dôme C, et c’est là qu’on a ait les manips pour trouver ces grains. C’est le site de la station Concordia, il y fait en fait assez frais, il fait entre -30 et -60, durant l’été austral, et là-bas la neige ne fond jamais, donc les grains ne risquent pas d’être altérés par l’eau liquide. Donc ce qu’on fait, c’est qu’on creuse une tranchée, on en extrait des cubes de neige et ensuite on la fond, on la filtre, et dans les filtres on trouve essentiellement des poussières extra-terrestres. C’est un des seuls endroits sur Terre où y a ça.

Alors, que faisons-nous à Soleil ? Donc à Soleil, c’est un accélérateur de particules qui produit un rayonnement synchrotron, et avec ce rayonnement infrarouge, on bombarde notre échantillon et à la sortie ça nous donne des informations sur ce que le grain contient, les phases minérales, la structure de sa matière carbonée ; les grains que nous étudions là aujourd’hui sont exceptionnels parce que pratiquement la moitié de leur masse est de la matière organique, de la matière carbonée. Et cette matière organique, qui est l’une des plus primitives que nous connaissions, c’est cette matière organique qui était dans le disque qui entourait le jeune Soleil, lors de sa formation. C’est la première fois qu’on peut l’étudier directement, comme ça. Et là, nous allons enfin pouvoir recouper la carte infrarouge faite avec les signatures isotopiques au Muséum, avec ces analyses-là. Ces analyses nous renseignent sur les zones les plus froides, les plus reculées du disque qui entourait le jeune Soleil lors de sa formation. En fait, ce sont des zones qui restent assez mystérieuses, c’est au-delà des zones de formation des planètes géantes, Jupiter et Saturne. À de telles distances, le disque était un monde de gaz et de glace silencieux, extrêmement lointain. C’était il y a 4,5 milliards d’années.

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Astrophysicien (CNRS-CSNSM / Université Paris-Sud), Jean Duprat collecte au Pôle Sud les micrométéorites tombées du ciel, rescapées du système solaire primitif d’il y a 4,5 milliards d’années puis les fait parler, tant en pulvérisant leurs noyaux à la sonde ionique du Muséum ainsi qu’en les éclairant en infrarouge au synchrotron SOLEIL :  leur richesse en matière organique carbonée atteint des proportions inédites dans la matière extraterrestre.