NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

UN RÊVE D’ENFANCE / A CHILDHOOD DREAM

De la terre glaise pour poteries aux réactions chimiques à deux dimensions.

From potter’s clay to chemical reactions in 2D

Pierre Laszlo
2 Avr, 2012
Tapuscrit...

Pierre Laszlo –J’avais une dizaine d’années, et avec mon amie d’enfance Denise nous étions à Colombe, qui est un village de ce qu’on appelle les Terres Froides dans l’Isère, et nous avions repéré un chemin creux dans lequel il y avait de la terre glaise. Alors je vous laisse imaginer nos modelages à base de terre glaise et ça, c’est la toute première scène. La seconde, j’ai une toute petite vingtaine d’années et je fais un stage à Ratilly dans l’Yonne, chez des potiers qui s’appellent Norbert et Jeanne Pierlot, des potiers de grès. Norbert Pierlot c’est un pédagogue-né et de façon répétée il me dit, « Pierre, vous qui êtes chimiste, vous devriez vous intéresser aux argiles. » Ça n’a pas fait tilt. J’ai mis vingt ans ou trente ans avant de me rendre compte de la grande sagesse du conseil.

Et puis nous sommes maintenant au milieu des années 70 et je décide de m’intéresser aux argiles, et cela à cause du théorème de l’ivrogne. C’est des mathématiques, qui viennent d’une idée du Polonais Georges Polya, qui est de calculer la probabilité du retour à l’origine d’une particule se déplaçant de manière aléatoire, comme dans le mouvement brownien. Quelle est la probabilité que l’ivrogne, après qu’il ait consommé une douzaine de pastis, puisse retrouver dans la soirée son plumard. Dans l’espace usuel à trois dimensions, la probabilité est de 0,34. C’est-à-dire qu’il y a deux chances sur trois pour que l’ivrogne, même au bout d’un temps infini, ne retrouve pas son point de départ. Par contre, si vous restreignez la dimension du problème à deux, c’est-à-dire si l’ivrogne se balade sur un plan plutôt que dans l’espace à trois dimensions, à ce moment-là la probabilité redevient unité. Quel est le rapport avec la chimie ? C’est que pour qu’il y ait une transformation chimique il faut qu’il y ait rencontre de particules se déplaçant de manière aléatoire, donc si vous contraignez ces particules à se déplacer sur un plan, la fréquence de rencontre des deux particules augmente considérablement. Donc à partir du moment où vous contraignez les réactions chimiques à se faire à deux dimensions plutôt que dans les trois dimensions d’un réacteur, vous pouvez avoir de très grosses accélérations.

C’est ce facteur que nous avons mis à profit, avec des argiles, surtout ce qu’on appelle des smectites. Les smectites, ce sont les argiles habituelles, comme la terre glaise dont je vous parlais tout au début, sont des argiles gonflantes ; c’est-à-dire qu’une argile, lorsqu’elle est desséchée, eh bien c’est une poudre blanche, qui ressemble à du sel ou à de la farine, mais dès que vous mettez un petit peu d’eau, dès que vous l’humectez, à ce moment-là il y a une expansion parce que les molécules d’eau viennent se mettre entre les plaquettes d’argile, et le fait qu’elles soient gonflantes permet d’intercaler les molécules chimiques que vous souhaitez faire réagir, et les plans de ces plaquettes argileuses glissent avec la plus grande facilité les uns par rapport aux autres, de sorte que dans le langage formel de la théorie des fractales, de la théorie de Mandelbrot, vous avez une dimension effective qui est très proche de 2, et qui n’est pas proche de 3, comme c’est le cas pour d’autres poudres, d’autres solides finement divisés, comme par exemple de la silice, du gel d’alumine et ainsi de suite… La toute première argile ainsi modifiée, nous l’avons faite avec du nitrate ferrique, et nous l’avons surnommée clayphen. Ensuite nous sommes passés du nitrate ferrique au nitrate cuivrique, c’est devenu claycop et nous avons terminé avec clayzic, c’est-à-dire avec du chlorure de zinc, qui nous a permis de catalyser en particulier la réaction de Friedel et Kratz.

J’ai vécu grâce à ces argiles et à ces argiles modifiées, un petit peu le rêve de mon enfance et des années exaltantes avec le groupe de chercheurs que j’ai réunis pour la circonstance.

4 min 15 sec

Transcript...

Pierre Laszlo – I was about 10. My friend Denise and I were staying in a village, named Colombe, in the Terres Froides part of the Isère. We had noticed a path in which some clay was apparent. We used it to mold figurines that you can readily imagine. That is Scene number 1. Now to number 2. I am in my early twenties. I am staying in Ratilly, in the Yonne. I am serving an internship with potters named Jeanne and Norbert Pierlot, stoneware potters. Norbert Pierlot was a born teacher. He never stopped telling me, “Pierre, you are a chemist; you ought to interest yourself in clays”. It did not register. It took me 20 or 30 years before I realized the wisdom of his advice.

Now, we have reached the mid-Seventies. At long last, I am interesting myself in clays — because of the Drunkard Theorem. This is from maths, based on an idea of the Pole George Polya. He meant to calculate the probability of return to its origin of a particle undergoing a random walk, as in brownian motion. What is the probability for a drunkard, after he has downed a dozen martinis, to make it back to his bed? In normal three-dimensional space, the probability is 0.34. Thus, there are two out of three chances that the drunkard, even after an infinite time, won’t make it back to his departure point. However, if you restrict to 2 the dimensionality of the problem, the probability becomes unity. The relationship to chemistry? In order for a chemical transformation to occur, there needs to be an encounter between random-walk particles. Hence, if you force these particles to move in a plane, the frequency of their encounters greatly increases. Thus, from constraining a chemical reaction to occur in two rather than in three dimensions, one can reap large accelerations.

This is the factor we took advantage of with clays, primarily with clays known as smectites. Smectites are the usual types of clays, such as the playdough Denise and I were using. They are swelling clays. A clay, when dry, is just a white powder, resembling salt or flour. However, as soon as you add a little water to it, as soon as you humidify it, then it expands. Water molecules come in-between the clay platelets. This swelling allows you to insert molecules of the chemicals you make react. These planar platelets slide with the greatest ease past one another. To use the formal language of Mandelbrot’s fractal theory, the effective dimensionality is closer to 2 than to 3, which would be the case with other finely divided powders, such as alumina, silicagel, and many others. The first such modified clay, we made with ferric nitrate and we named it « clayfen. » Afterwards, we went from ferric nitrate to cupric nitrate, named that « claycop. » And so on, we ended up with « clayzic, » from zinc chloride, which enabled us to catalyze the Friedel-Crafts reaction.

Benefiting from clays and modified clays, I was able to achieve a childhood dream and to experience entrancing years, in leading the group of young scientists I had gathered.

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À l’âge de dix ans, Pierre Laszlo joue avec la terre glaise, comme tous les enfants. À l’âge de vingt ans, il néglige d’écouter un conseil judicieux, comme tous les jeunes gens. À l’âge de trente ans, armé d’un solide bagage mathématique et de vastes connaissances en chimie organique, il recommence à jouer avec la terre glaise et aboutit à une série de catalyses nouvelles, en forçant les réactions chimiques à trois dimensions à s’exprimer en seulement deux dimensions, coincées en sandwich entre deux couches d’argile gonflante.

Aged 10, just like many other kids, Pierre Laszlo played with clay. In his 20s, like other young men, given good advice, he chose to ignore it. However, by age 30, having received in the meanwhile a sound mathematical training and acquired a deep knowledge of organic chemistry, he resumed playing with clays. Which led to a series of original catalyses, from forcing chemical reactions to take place, no longer in three dimensions, but in two dimensions, by setting them in-between layers of swelling clays.