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photo André Kertész

LE RETOUR DE MAÏMONIDE

La définition d’une médecine prédictive moderne peut s’inspirer des premières universités d’Europe, elles-mêmes issues de l’enseignement de Maïmonide et d’Averroès.

 

Jacques Demongeot
10 Août, 2012
Tapuscrit...

Jacques Demongeot – Mon histoire courte commence au Moyen Âge, à Fez, entre 1160 et 1165, le personnage central s’appelle Maïmonide. Maïmonide, l’élève d’Averroès, est connu pour avoir allié donc la tradition juive, arabe et hellène dans quelque chose de très, très efficace, à la fois sur le plan philosophique, sur le plan mathématique et sur le plan médical. Donc sur le plan philosophique il a écrit un livre qui s’appelle le Livre des Égarés, qui, pour les personnes un peu perdues, sert un peu de boussole et de phare, il a en mathématiques proposé une alternative à la théorie des sphères de Ptolémée, et en médecine il a proposé de nombreux traitements aux maladies de l’époque, en particulier fondés sur les plantes, c’était un très fin connaisseur de la phytothérapie. Alors, ce personnage, comment il a pu laisser une influence jusqu’à aujourd’hui ? Donc il est mort en1204, il est mort au Caire, et si on regarde ce qui s’est passé à partir du début du XIIIe, il y a eu une pléiade d’universités occidentales qui sont nées, sur le modèle des universités arabes, de Fez et du Caire en particulier, et ces universités, ben c’est Bologne, c’est Paris, c’est Oxford, Cambridge, Montpellier, la dix-neuvième après Florence est Grenoble, dans cette tradition il y avait comme toujours de la philosophie, de la médecine et des mathématiques. Et je me suis amusé à regarder ma généalogie cette généalogie se fait par maître-élève, directeur de thèse et thésard. Alors derrière mes maîtres Maisonneuve, donc, Meyer, on trouve Huygens, on trouve Chasles, on trouve Euler, on trouve des médecins mathématiciens comme les Bernoulli, en particulier Daniel, qui a fait la première théorie des épidémies, on trouve Fallope, les trompes de Fallope, c’était un fin géomètre anatomiste, on trouve Vésale, un grand géomètre anatomiste, et donc cette tradition existe.

Alors pourquoi moi j’essaie de, avec un certain nombre de collègues, de la réincarner sur Grenoble, c’est parce que, au-delà de la technologie, j’ai fait beaucoup de robotique, beaucoup de bases données hospitalières, je pense que la médecine sort de l’hôpital, elle devient une médecine qu’un médecin, donc, qui est né à côté d’Oujdah, il s’appelle Elias Zerhouni, il a été directeur du NIH pendant dix ans, a qualifiée donc de prédictive, de préventive et de pluri-experte, et de translationnelle, c’est-à-dire rapprochant la recherche fondamentale en mathématiques et en physique de la pratique clinique, cette médecine donc elle est l’héritière pour moi totalement de Maïmonide. Et finalement quand on sort la médecine de l’hôpital, quand on la met à domicile, on a besoin de connaître toute la sociologie qui entoure le patient, puisqu’il vit dans un réseau social dans lequel y a l’agapé, le réseau de ses amis, y a le réseau professionnel, y a le réseau éducatif qui l’entoure, et on profite de ces réseaux non seulement pour le surveiller, mais pour l’éduquer, pour lui faire comprendre que son patrimoine santé est aussi important que son patrimoine immobilier ou que son patrimoine financier, qu’il suit sur Internet, et je pense que la médecine de demain, je vais prendre un seul exemple, l’obésité, avec ses conséquences sur le diabète de type 2,qui est vraiment la maladie qui explose en France, l’OMS a déclaré que c’était une maladie contagieuse, c’est très, très bizarre, l’obésité maladie contagieuse, mais par mimétisme social, les gens ont un comportement alimentaire et ont un comportement d’activité physique en général non adapté, qui fait que, ben voilà, y vont se lancer dans le surpoids, dans l’obésité, et dans le diabète.

Donc ces maladies-là, pour les guérir, il faut qu’on comprenne par exemple, mais vraiment de manière très fine, la modélisation mathématique des réseaux sociaux. Et les règles de transmission. Et là, les maths sont encore en grande partie à faire. Et c’est plutôt la modélisation qui, alliée avec une connaissance fine de la sociologie, et on n’est pas loin de la philosophie ici, et évidemment de la médecine, vont résoudre le problème. Ben, qu’est-ce que faisaient Averroès et Maïmonide, c’était ça. Un brin de philo, un brin de médecine, un brin de mathématiques et l’aventure était partie et on avait des résultats formidables.

3 min 54 sec

Directeur du pôle Santé publique du CHU de Grenoble, le professeur Jacques Demongeot, médecin et biomathématicien, fait sienne la démarche adoptée dès le XIIe siècle à Fez par Maïmonide. L’alliance de la philosophie, des mathématiques et de  la médecine, selon la triple tradition juive, hellène et arabe, s’est épanouie dans les premières  universités européennes, de Bologne à Montpellier en passant par Oxford et permettra de jeter les bases d’une médecine prédictive apte à relever les défis des nouvelles maladies du monde moderne.