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Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

DES PARTICULES QUI NOUS PLEUVENT DESSUS / PARTICLES RAINING ON US

Certains rayons cosmiques ne nous atteignent qu’après avoir pris la clef des champs (magnétiques), brouillant les pistes quant à leur lieu d’origine.

Before reaching us, some cosmic rays bounce off onto magnetic fields and cover up completely the tracks to their sources.

Kumiko Kotera
24 Oct, 2012
Tapuscrit...

Kumiko Kotera – J’ai commencé à travailler sur les rayons cosmiques complètement par hasard, en fait… J’étais intéressée par les galaxies, par les grandes échelles, puis je suis allée dans le bureau de mon directeur, qui proposait une thèse et qui me dit, « Ben les rayons cosmiques c’est super, tu as à résoudre des énigmes fondamentales comme qu’est-ce que l’origine des rayons cosmiques. » J’ai dit bon, pourquoi pas, c’est des grandes échelles quand même, c’est des petites particules, ça a l’air rigolo, et puis voilà…

Y a cent ans, donc, un grand physicien, Victor Hess, est monté sur un ballon, avec un électroscope, et il a effectué la première expérience physique spatiale, il a vu que plus on montait dans les airs, plus on était bombardé d’étranges particules. Et il a fini par conclure que ces particules venaient du cosmos, et il découvrait en fait les rayons cosmiques, de cette façon. Alors un rayon cosmique, c’est une particule chargée, comme un proton, ou un noyau, plus lourd, comme du fer, ça nous pleut dessus de façon constante et y en a certaines qui nous arrivent dessus avec une vitesse, mais vraiment incroyable, de plusieurs centaines de joules, c’est-à-dire c’est l’énergie d’une balle de fusil, mais confinée dans une particule subatomique… C’est assez colossal, et vraiment donc le problème, c’est qu’on sait pas d’où ça vient. C’est pas comme des photons qui nous arrivent en ligne droite, c’est quelque chose qui va être dévié par tous les champs magnétiques de l’Univers, et dans l’Univers y a plein de champs magnétiques, y a plein d’aimants ! D’habitude lorsqu’on regarde dans la direction d’une source, on voit une ampoule, le Soleil, la Lune, des étoiles. Lorsqu’on regarde dans la direction d’un rayon cosmique, eh bien on voit rien du tout ! Parce que c’est pas du tout de là d’où ça vient ! Puisqu’il a été dévié, complètement, par tous ces champs magnétiques. Du coup, ben, y faut, pour trouver les sources des rayons cosmiques, va falloir ruser et par exemple, essayer de trouver des modèles de champs magnétiques dans lesquels on va essayer de voir comment les rayons cosmiques peuvent se propager, c’est ce que font les théoriciens, comme moi. Donc on a des pistes, on pense que les explosions d’étoiles anormalement violentes, qu’on appelle les sursauts gamma, ou des galaxies superpuissantes, dotées de grands jets, qu’on appelle des noyaux actifs de galaxies, sont peut-être des sources possibles. Alors mon modèle préféré, c’est un modèle de pulsar ! Les pulsars, qui sont les plus petites étoiles, qui tournent très rapidement sur elles-mêmes, sont de très bons candidats, en fait, parce que comme y tournent très rapidement, et qu’y sont très magnétisés, y vont faire un phénomène d’induction, elles vont donc générer des champs électriques très forts dans lesquels on peut accélérer des particules chargées.

La difficulté de tester des modèles dans le domaine des rayons cosmiques, c’est justement parce que, aux plus hautes énergies, le nombre de rayons cosmiques qu’on reçoit est très faible, c’est de l’ordre d’une particule par km2 par siècle, et du coup on est obligé de construire des observatoires gigantesques, comme l’observatoire Pierre Auger, qui couvre donc 3000 km2 dans la pampa, en Argentine, on a des cuves d’eau, qui font un mètre cinquante, deux mètres de diamètre, et qui sont espacées de un kilomètre cinq… Avec des vaches qui paissent au milieu, les Andes au loin, et, quand un rayon cosmique rentre dans l’atmosphère, y va produire ce qu’on appelle une gerbe de particules, y va interagir avec les molécules de l’atmosphère, et créer une espèce de douche de particules qu’on peut récupérer au sol, avec ces tanks d’eau… Et donc avec ces observatoires, tout ce qu’on peut faire, c’est attendre, c’est-à-dire attendre que les rayons cosmiques nous tombent dessus. Et on en reçoit deux, à l’énergie qui nous intéresse, seulement deux par mois…

Si on trouve l’origine des rayons cosmiques de ultra-haute énergie, ça va être une fenêtre phénoménale sur l’astrophysique, parce que 99,999 % de l’information qu’on a de l’Univers vient de la lumière. Et les rayons cosmiques, c’est de la matière ! C’est des protons, c’est des noyaux, donc c’est une autre forme d’information, qui nous provient de l’Univers, mais de pouvoir faire de l’astronomie avec des rayons cosmiques, de pointer des objets avec des particules, ce serait… quelque chose d’assez fantastique…

4 min 12 sec

Transcript...

Kumiko Kotera – I have started working on cosmic rays utterly by chance, actually… I was interested in galaxies, large scales, and I went to the office of my director, who was proposing a Ph.D. subject, and he said: “Well, cosmic rays are great, you will have to solve fundamental enigmas –like, what is the origin of cosmic rays.” I said okay, why not, I will still deal with large scales, they are tiny particles, it looks fun, and here I am…

So a hundred years ago, a great physicist, Victor Hess, went on a balloon with an electroscope, and he did the very first Physics experiment in space. He saw that the higher we climbed in the air, the more bombarded we were by strange particles. And he ended up concluding that these particles were coming from space, and he had actually discovered cosmic rays, this way. So a cosmic ray is a charged particle, like a proton or a heavier nucleus, like iron. They fall on us constantly and some of them reach us with a speed – an incredible speed, of many hundreds of joules. That’s the energy of a gun bullet, but confined in a subatomic particle… It’s quite colossal, and then the problem is that we don’t know where they are coming from. It’s not like for photons, that come to us in straight lines. They are going to be deflected by all the magnetic fields in the Universe, and in the Universe, there are lots of magnetic fields, it’s full of magnets! Usually, when we look in the direction of a source, we see a light bulb, the sun, the moon, stars. When we look in the direction of a cosmic ray, well, we don’t see anything! Because that’s not at all where it’s coming from! Because it was deflected, completely, by these magnetic fields. Well then, one needs, in order to find the sources of cosmic rays, to use some tricks, for example, try to find models of magnetic fields in which we will try to see how cosmic rays can propagate. That’s the kind of things theorists like me do. So we have some leads, we think that anomalously violent explosions of stars, that we call gamma-ray bursts, or super powerful galaxies with large jets, that we call active galactic nuclei, are possible sources maybe. So my favorite model is a pulsar model! Pulsars, which are the tiniest stars, and that rotate very rapidly, are actually very good candidates. Because they rotate very fast and are very magnetized, they are going to do some induction mechanism, and will generate very strong electric fields in which one can accelerate charged particles.

It is difficult to test cosmic ray models because, at the highest energies, the number of cosmic rays that we receive is very small. It’s of order one particle per km2 per century, and we thus have to build gigantic observatories, such as the Pierre Auger Observatory, that covers 3000 km2 in the pampa, in Argentina. There are water tanks of diameter 1.5-2 meters, spaced by 1.5 kilometers… With cows grazing in the middle, the Andes far in the distance, and, when a cosmic ray enters the atmosphere, it’s going to produce what we call an air-shower, it’s going to interact with the molecules of the atmosphere, and create a sort of shower of particles that we can get on the ground, with these water tanks… And so with these observatories, all we can do is wait, meaning, wait for cosmic rays to fall on us. And we get about two, at the energies we are interested in, only two per month… If we find the origin of ultrahigh energy cosmic rays, it would open a phenomenal window on astrophysics, because 99,999 % of the information we have on the Universe comes from light. And cosmic rays are matter! They are protons, nuclei, and thus another source of information, that comes from the Universe. And to be able to do astronomy with cosmic rays, to point objects with particles, it would be… something quite fantastic…

4 min 12 sec

Chargée de recherches CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP), Kumiko Kotera bâtit des modèles théoriques pour tenter de déterminer l’origine (sursauts gamma, noyaux actifs de galaxies, pulsars) des rayons cosmiques de ultra-haute énergie, qui après avoir multiplié les détours dans l’univers extra-galactique, viennent parfois se prendre dans les filets de l’Observatoire Pierre Auger, un réseau de cuves d’eau réparties sur 3 000 km2 dans la pampa argentine.

Kumiko Kotera is a CNRS researcher at the Institut d’Astrophysique de Paris (IAP). She builds theoretical models in order to determine the origin (gamma-ray bursts, active galactic nuclei, pulsars) of ultra-high energy cosmic rays. These particles wander around the Universe with colossal energy, and every now and then are caught in the nets of the Pierre Auger Observatory, a grid of water tanks covering 3000 km2 in the Pampa, in Argentina.