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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

DANS L’OMBRE DE PASTEUR / IN THE SHADOW OF PASTEUR

Fidèles lieutenants de Pasteur ayant dirigé à eux deux l’Institut pendant près de quarante-cinq ans, Émile Duclaux et Émile Roux sont les vrais créateurs de l’esprit pastorien.

Faithful lieutenants of Pasteur who directed successively the Institute for almost forty-five years, Emile Duclaux and Emile Roux were the true creators of the so-called “pasteurian spirit”.

Maxime Schwartz
17 Jan, 2013
Tapuscrit...

Maxime Schwartz – La gloire de Pasteur a occulté beaucoup de ses collaborateurs et j’ai tendance à appeler ses collaborateurs ses lieutenants, parce que, François Jacob a comparé Pasteur à un général, alors qu’aurait pu faire un général sans lieutenants ? Pasteur est devenu célèbre relativement rapidement, disons, entre les âges de vingt et quarante ans, où il a fait déjà des découvertes très importantes, et puis progressivement se sont agglomérées autour de lui des personnalités tout à fait étonnantes, comme Duclaux, Roux, Calmette, Yersin, Metchnikoff, etc.

Duclaux a été le premier et s’il s’est retrouvé auprès de Pasteur, c’est parce qu’il a préparé l’École normale dans une pension, la pension Barbet, où Pasteur avait été auparavant. Et Duclaux était très brillant, et le directeur de cette pension s’est dit, celui-là, il faudrait qu’il travaille avec Pasteur. Duclaux admirait énormément Pasteur et s’est toujours effacé devant Pasteur, alors qu’il a eu une contribution très importante dans des travaux comme ceux sur les maladies des vins ou bien les maladies des vers à soie, mais il est toujours resté en retrait. Et ce qu’a surtout fait Duclaux, c’est qu’il a été d’une part un peu l’apôtre de l’évangile pastorien, il a répandu les idées de Pasteur aussi bien sur le terrain, en convainquant les éleveurs d’utiliser le vaccin contre le charbon, ou bien les vignerons de pasteuriser le vin, que en, par ses écrits ; il a fait des livres, il a fondé les Annales de l’Institut Pasteur, etc., et puis ensuite, c’est vraiment Duclaux qui a en quelque sorte défini l’Institut Pasteur, qui en a fait une sorte de coopérative scientifique où les chercheurs avaient une grande indépendance mais ils étaient unis par beaucoup de cohésion…

Alors Roux, ce qui est important, c’est qu’il était médecin ! Et il est arrivé dans la vie de Pasteur au moment où Pasteur a fait la transition entre l’étude des fermentations et l’étude des maladies infectieuses. Alors Roux, là aussi, a joué d’emblée un rôle extrêmement important, et souvent méconnu, dans les premiers travaux de Pasteur sur les maladies infectieuses, surtout dans la conception des vaccins ! C’est vraiment Roux qui a à chaque fois trouvé la manière d’atténuer les microbes, que ce soit les choléras des poules, que ce soit pour le charbon ou pour la rage, pour en faire des vaccins ! Les très grands travaux de Roux, les travaux personnels qui n’étaient pas auprès de Pasteur, ont concerné la diphtérie. D’une part avec Yersin, il a découvert que le bacille de la diphtérie fabriquait un poison, la toxine diphtérique, c’était la première découverte d’un poison d’origine microbienne. Et la deuxième chose extrêmement importante, c’est qu’il a mis au point ce qu’on appelle la sérothérapie, qui, en fait ça suivait des travaux faits en Allemagne par Behring et Kitasato, ils montraient que si on injectait de la toxine à des animaux, on retrouvait dans le sang des animaux des antitoxines, un antipoison ! Et ce qu’a fait Roux, ça a été d’utiliser cette antitoxine qui était dans le sérum des animaux, pour soigner la diphtérie. Donc ça a été la première fois où on est arrivé, grâce à ces sérums, à soigner une maladie infectieuse.

Duclaux et Roux ont vraiment été les créateurs de ce qu’on peut appeler l’esprit pastorien. Il faut bien voir qu’à eux deux, ils ont de fait dirigé l’Institut Pasteur pendant quarante-cinq ans, ce qui représente pratiquement le tiers de la vie totale de l’Institut Pasteur. Donc ils ont donné un certain esprit, qui a été, disons, la rigueur et l’excellence dans la façon de conduire la recherche, la poursuite d’un lien permanent entre la recherche la plus fondamentale et les applications, ce dont Pasteur lui-même avait donné l’exemple, et puis un certain humanisme, qui porte à s’intéresser aux maladies qui touchent de façon générale les populations les plus défavorisées. Si on voulait définir l’Institut Pasteur, l’esprit pastorien, c’est un peu ça, et on le doit en très grande partie à Roux et à Duclaux, et c’est encore valable aujourd’hui.

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Transcript...

Maxime Schwartz – The fame of Pasteur overshadowed most of his collaborators; collaborators that I like to call his “lieutenants” in reference to François Jacob who compared Pasteur to a general. What could a general have accomplished without lieutenants? Pasteur had become famous quite early, let’s say between the ages of twenty and forty, and he had already made important discoveries when, progressively, a handful of outstanding young men gathered around him, such as Duclaux, Roux, Calmette, Yersin, Metchnikoff, etc.

Duclaux was the first, and if he were to join Pasteur, it was because he prepared the entrance examination for Ecole Normale in an institution, the “pension Barbet”, where Pasteur had been a few years before. Since Duclaux was very bright, the director of this “pension” decided that Duclaux should work with Pasteur and convinced him to do so. Duclaux admired Pasteur deeply but always remained behind him, even though he had very important contributions in works such as the study of the diseases of wine or of the silkworms. Duclaux’s main contribution was first to be the “apostle of the pasteurian gospel”, spreading Pasteur’s ideas both “in the field”, convincing the farmscientificers to use the vaccine against anthrax or the wine makers to pasteurize their wines, and by his writings. He wrote books, established the “Annales de l’Institut Pasteur”, etc. But then, it is really Duclaux who, so to speak, provided the initial spirit to Institut Pasteur, making it a sort of cooperative scientific institution, in which scientists were fully independent but were united by common aims…

As for Roux, an important fact was that he was an MD! And he joined Pasteur’s laboratory when Pasteur was shifting from the study of fermentations to that of infectious diseases. There, Roux immediately played a major although often forgotten role, mainly in the conception of the first vaccines. It is to him that we owe the techniques to attenuate the microbes, be it that of fowl cholera, anthrax or rabies, in order to use them as vaccines! The most important contributions of Roux, fully independent from Pasteur, were those concerning diphtheria. First, with Yersin, he discovered that the diphtheria bacillus secretes a poison, diphtheria toxin. It was the first discovery of poison of microbial origin. Then, once Behring and Kitasato had shown, in Germany, that the inoculation of a toxin to animals induced the appearance of an antitoxin, an antipoison, in their serum, Roux developed serotherapy, the use of antitoxin containing serum to cure children from diphtheria. For the first time in history, serotherapy provided a means to cure an infectious disease.

Duclaux and Roux were really the creators of what is often called “the pasteurian spirit”. The two of them, together or successively directed Institut Pasteur during forty-five years, i.e. practically one third of the total life of the institute up to now. They gave it a spirit that can be defined by rigor and excellence in the way to conduct research, the maintenance of a permanent link between the most basic research and its applications, of which Pasteur’s own career gave an example, and a dose of humanism, leading one to display an interest for diseases that hit the most disadvantaged populations. This is how the “pasteurian spirit” can be summarized, it was created by Duclaux and Roux, and is still alive today.

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Biologiste, spécialiste de biologie moléculaire des bactéries, directeur de recherche émérite au CNRS et ancien directeur de l’Institut Pasteur, membre de l’Académie des sciences, Maxime Schwartz s’attache à en prolonger l’esprit et les valeurs par des conférences ou des livres, ainsi qu’au sein de la Fondation Maison Louis Pasteur.

Biologist, specialized in the molecular biology of bacteria, emeritus research director at the CNRS and Director of Institut Pasteur for twelve years, Maxime Schwartz now promotes the spirit and values of this institute by giving lectures and writing books, and through the Foundation “Maison de Louis Pasteur”.