LE RETOURNEMENT

Vincent Fleury – On s’est aperçu, depuis quelques années, qu’il y a énormément de physique et notamment de mouvements et de déformations, au cours du développement des plantes, des animaux, enfin de toutes formes de matière vivante, qui se développent en obéissant aux lois de la physique et en fait en jouant avec ces lois de la physique. Alors une partie de mon activité consiste à étudier ces mouvements au cours du développement d’embryons qui ressemblent aux humains !

Donc ici, on étudie essentiellement les quatre premiers jours de développement d’un poussin, et on s’est aperçu qu’il y a des énormes mouvements, ça gonfle, ça s’étire, ça se plie, et c’est la logique de ces plis et de ces gonflements, de ces mouvements qui nous intéresse. Quand on regarde un ovule, il est complètement sphérique et puis au bout de quelques heures, ça ressemble à une tête, avec des yeux, une bouche, des débuts de pattes. Ça se passe très, très vite. Alors ce qu’on va voir là, c’est que la formation de l’œil par exemple, c’est quelque chose de très rapide, en ce moment ça nous intéresse pas mal, parce que l’œil, au début c’est une plaque ronde, un peu comme une assiette ou comme une galette, et puis en quelques heures, ça devient une petite bille qui flotte dans une coque ! Donc pour filmer ces évènements, il faut sortir les embryons de façon extrêmement minutieuse, au moment exact où le phénomène se produit, c’est une opération très délicate, les gens étudient beaucoup le poisson ou la grenouille, parce que en quelque sorte ce sont des animaux qui sont déjà à l’extérieur de l’œuf, ils sont dans l’eau, il suffit de les filmer, mais ce sont des animaux qui sont assez éloignés des humains donc nous, nous regardons le poulet, mais y a un petit problème, il faut le sortir de l’œuf. Et je voudrais assister au dernier moment où l’œil enrobe le cristallin, c’est un mouvement assez spectaculaire, qui dure une heure ou deux, et qui a lieu vers à peu près soixante-douze heures de développement.

Ici y a une espèce de tuyau, qui est écrasé contre la peau. Alors c’est pas encore un œil, c’est juste une rondelle molle qui est collée contre la peau ! Alors comment cette rondelle molle devient un œil ? Comment cette assiette, là, cette plaque, devient une bille avec une coque autour ? Quand on fait ces films, on découvre un phénomène géométrique qui a une très grande importance. La formation de l’œil c’est un retournement, et c’est un retournement qui a lieu un peu comme on écrase une balle de ping-pong avec le pied, hein, quand on marche sur une balle de ping-pong ça fait une espèce de creux, eh ben c’est ça qui se produit dans l’œil, c’est-à-dire que y a un morceau de cerveau qui vient appuyer contre la surface de la peau, et il appuie, il appuie, il appuie, il appuie, y s’écrase, y s’écrase, y s’écrase, y s’écrase, tant et si bien qu’à la fin y se retourne… Comme une balle de ping-pong, et c’est ce retournement qui crée la coque avec l’œil à l’intérieur. Mais les embryons, c’est beaucoup plus mou, et quand ça se retourne, le mou est assez flaccide, comme ça, et y se propage, et c’est ce pli mou qui en se propageant entoure le petit bout de tissu contre lequel l’œil appuyait, et le petit bout devient le cristallin, et l’autre côté du pli devient la coque autour. C’est un phénomène dynamique ! Disons que, la biologie joue un grand rôle, mais la formation d’un œil, c’est ce phénomène physique-là ! On ne peut pas comprendre la formation d’un œil si on n’a pas filmé in vivo l’intégralité des mouvements de ces petites peaux qui se plient, qui se tordent et qui rentrent les unes dans les autres… Et donc c’est ça qui façonne l’œil en tant qu’objet qui voit !

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