PRESQU’À L’ŒIL NU
Ce sont des puces qui permettront de voir et toucher les atomes.
Tapuscrit...
Jakob Reichel – Pour moi, un phénomène, pour m’intéresser, ça doit devenir tangible, et c’est ça que j’essaie d’obtenir dans la recherche, de rendre un phénomène non seulement compréhensible avec beaucoup de réflexions, mais vraiment de le voir si c’est possible, de s’approcher, j’aimerais le toucher, hein, j’aimerais toucher mon onde de matière… Alors ça, on n’y arrive pas tout à fait, mais on peut se rapprocher de ça, et ça, ça se voit dans nos expériences, je peux vous montrer notre petite puce à atomes, c’est un microcircuit, très simple, donc des pistes gravées dans une surface, des pistes microscopiques parcourues par des courants, qui piègent les atomes et permettent de les manipuler, ce qui permet de miniaturiser toute cette cocotte-minute qu’on utilisait dans les première manips pour obtenir des atomes froids et des condensats de Bose-Einstein. Un condensat de Bose-Einstein, c’est beaucoup d’atomes qui sont tous au même endroit et dans exactement le même état quantique… Ça veut dire qu’ils sont superposés : je mets d’autres atomes là où il y en a déjà ! Donc déjà rien que ça, c’est quelque chose que j’arrive pas à faire avec mes boules de billard, hein ! Avec les atomes, c’est possible… Dans un piège, je peux superposer les atomes, je peux les mettre tous au même endroit, et ainsi je rends leur caractère quantique, ondulatoire, par exemple, je le rends plus visible, plus facilement accessible… Ma puce permet de faire ça, de manière beaucoup plus élégante qu’avant ! Et donc plus simple, et donc maintenant je peux faire le prochain pas et je peux dire, voilà, je prends, allez, un condensat, un condensat par seconde, hop, hop, hop ! Et avec chaque condensat je peux faire une manip ! Et toute l’idée de ça, c’est de rapprocher le phénomène quantique de notre monde quotidien ! Vous savez, un condensat de Bose-Einstein, ça pourrait très bien devenir quelque chose qui envahit nos salles de séjour ! Hein… Pourquoi pas une interférence d’ondes de matière, comme un objet décoratif qui se produit dans votre salle de séjour…
L’interférence des ondes de matière, ça c’est un phénomène vraiment spectaculaire, qui montre que la matière, ces objets donc que nous percevons comme durs et impénétrables, peuvent interférer comme des ondes, donc je peux mettre un atome là où il y en a déjà un autre et puis à cet endroit, hop, il n’y a plus rien en fait, et la matière est passée ailleurs ! Et ça ondule, vraiment comme des ondes qui nous paraissent tout à fait normales pour de l’eau, mais pas pour les atomes, par exemple, ou pour une balle de golf ou un objet dur ! Et pourtant, ça, ça n’a rien d’inobservable, c’est juste, pour l’instant, c’est un peu dur à produire, mais déjà il y a du progrès, maintenant on arrive à voir ça sur une caméra et peut-être dans quelques années on pourra le voir à l’œil nu, ça serait très beau… Et c’est pas défendu par les lois de la mécanique quantique ! C’est juste difficile à faire ! Dans les expériences qu’on fait actuellement, ce qu’on fait, c’est de produire un condensat de Bose-Einstein, grâce à nos puces, les mettre dans une cavité optique miniaturisée, qu’on a développée nous aussi, et grâce à ça maintenant on peut produire des états intriqués, d’une pureté qu’on savait pas faire avant, parce que avant, un condensat de Bose-Einstein, produire ça, c’était une manip compliquée, avoir une cavité optique avec des photons uniques dedans, c’était une autre expérience compliquée, et mettre les deux ensemble, alors là c’était trop compliqué !
L’idée sous-jacente à ces recherches, c’est que pour vraiment comprendre, il faut rendre les choses tangibles, vraiment aussi proches que possible de notre expérience quotidienne… L’idéal, ce serait de pouvoir voir à l’œil nu ces phénomènes quantiques. Et si on pouvait faire ça, ce qui n’est peut-être pas impossible, je crois que ça cesserait d’être étrange… Parce que finalement, ce qui nous paraît normal ou étrange, c’est une question de ce dont on a l’habitude… Et ces habitudes peuvent changer grâce à la recherche… Et je sais pas si après, ça peut peut-être aussi produire des nouvelles applications, mais à coup sûr ça va rendre la vie plus intéressante !
4 min 02 sec
Professeur à l’université Pierre et Marie Curie, membre de l’Institut universitaire de France et chercheur au laboratoire Kastler-Brossel de l’École normale supérieure, Jakob Reichel est à l’origine de puissantes « puces à atomes » qu’il développe au sein de l’équipe Microcircuits à Atomes du LKB. Elles lui permettent de piéger et manipuler des gaz quantiques bien plus aisément qu’avec les méthodes traditionnelles, produisant à la demande, presque instantanément, les fameux condensats de Bose-Einstein. Un pas de plus vers les phénomènes quantiques à portée de main.