D’APPRÉCIABLES SERVICES / APPRECIABLE SERVICES
Le passé rattrapé par le web.
The past caught up by the Internet.
Tapuscrit...
Julia Wambach – Je suis historienne et je travaille sur l’occupation française en Allemagne après 1945. Ce qui m’intéresse le plus, c’est la longue durée des occupations mutuelles entre la France et l’Allemagne tout au long du XXe siècle. Le lien le plus évident entre les différentes occupations sont les hommes qui ont vécu ces occupations. Donc je me suis plongée dans les archives pour établir une liste des noms des membres de l’occupation française en 45 et j’ai essayé de trouver le plus d’informations possibles sur leur passé. Parmi ces noms, il y en a un qui a particulièrement attiré mon attention : celui de Francis Thiallet, à cause de son implication très longue dans l’histoire des occupations franco-allemandes. Le dossier qui porte son nom aux Archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve, en banlieue parisienne, contient aussi sa photo. Mettre un visage sur un nom change pour moi la manière de percevoir son histoire. Un simple document d’archive prend soudainement vie et je me trouve alors face à un véritable être humain.
Être historien, c’est un petit peu comme être un détective et je brûlais d’envie de trouver plus de traces de ce Francis Thiallet. J’ai commencé par le plus simple, j’ai cherché son nom sur Google et alors que je ne m’y attendais pas du tout, je suis tombée sur un petit livre, un mémoire, disponible sur E-bay, et justement intitulé Au soir d’une longue vie… Thiallet l’avait écrit pour sa famille et ses amis et l’avait publié en auto-édition en 1989. Ce livre était le seul exemplaire en vente et il n’était déposé dans aucune bibliothèque ou centre d’archives. Un véritable trésor pour l’historien. Dans ce petit livre, d’un peu plus de cent pages, Thiallet raconte sa vie, qui a comme fil conducteur les différentes occupations franco-allemandes. Né en1898, il entre pour la première fois dans sa vie en contact avec les Allemands en tant que soldat, en 1917, dans son uniforme bleu horizon. À la fin de la guerre, Thiallet apprend que sa compagnie est affectée à l’occupation de l’Allemagne et il écrit : « C’est avec une joie bien compréhensible que j’entrai en vainqueur dans un pays où je devais passer par la suite quatorze ans de mon existence ».
Pendant la Deuxième guerre mondiale, Jean Rivalland, un ami de Thiallet depuis l’occupation en Rhénanie, est devenu sous Vichy secrétaire général de police. Il recrute Thiallet, en 1942, en tant qu’intendant de police de Rennes, en Bretagne. Dans son mémoire, Thiallet déclare que leur projet était de remodeler la police afin de préparer une armée puissante pour l’après-guerre, sur l’exemple allemand de l’entre-deux-guerres. Mais Thiallet reçoit aussi la médaille de Vichy, la francisque, et il a demandé à ce qu’un portrait de Pétain soit accroché dans toutes les stations de police en Bretagne. J’ai trouvé ces informations non pas dans le mémoire de Thiallet mais dans des archives.
À la fin de la guerre, Thiallet est démis de ses fonctions. Il vit cela difficilement et il parle dans son mémoire d’une « injuste décision administrative ». Mais il se souvient alors de son agréable séjour en Rhénanie occupée et il se considère apte à rendre « dans des conditions analogues […] d’appréciables services ». Et en effet l’armée française le choisit, fraîchement blanchi, pour former lors de stages les futurs occupants de l’Allemagne. Ainsi, finalement, vingt ans après son départ de la Rhénanie occupée, Thiallet retourne en Allemagne occupée. Il devient alors le premier administrateur de la ville de Spire, en Palatinat. Thiallet ne rentre en France qu’en 1952. Je ne pouvais espérer trouver mieux comme histoire. Merci E-bay !
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Transcript...
Julia Wambach – I am a historian working on the French occupation of Germany after 1945. What interests me the most is the long history of mutual French and German occupations throughout the 20th century. The most evident link between these different occupations are the people who lived through them. So I dived into the archives, made a list of the members of the French occupation in 1945, and tried to find out as much information as possible about their past. Among those names, one particularly captured my attention, the name of Francis Thiallet, because of his very long implication in the history of French and German occupations. The file that bears his name at the archives of the Ministry of Foreign Affairs in La Courneuve, on the outskirts of Paris, included also his picture. Putting a face to his name did change the way I perceived his story. A simple document in the archives suddenly came to life and I found myself in front of an actual human being.
Being a historian is a little bit like being a detective and I was burning to find more traces of this Francis Thiallet. I started by the simplest thing to do: I typed his name into Google. And although I did not expect it at all, I came across a little book, a memoir, available on eBay, and entitled “Au soir d’une longue vie” [In the evening of a long life]. Thiallet had written it for his family and friends and had published it at his own expense in 1989. This book was the only copy on sale and nobody had ever taken it to a library or an archive. A real treasure for a historian! In this tiny book of a little more than a hundred pages, Thiallet narrates his life, in which the various French and German occupations are the main thread. Born in 1898, Thiallet first came into contact with the Germans as a soldier in 1917 in his “bleu horizon” colored uniform. At the end of the war, Thiallet learned that his company would take part in the occupation of Germany and he wrote: “It is with a very understandable joy that I entered as victor a country in which I would thereafter spend fourteen years of my existence.”
During World War II, one of Thiallet’s friends from the Rhineland occupation, Jean Rivalland, became secretary general of the police under Vichy. In 1942, he recruited Thiallet as police intendant of Rennes in Brittany. In his memoir, Thiallet claimed that their plan was to remodel the police to prepare a powerful national army for the postwar era, drawing on the German example of the interwar period. But Thiallet also received the Vichy medal, the francisque, and required that a picture of Pétain was put up in every police station in Brittany. I found this information not in his memoir, but in the archives.
At the end of the war, Thiallet was dismissed. The rejection was bitter for him and he spoke in his memoir of an “unjust administrative decision.” But Thiallet remembered his agreeable time in occupied Rhineland and considered himself qualified for “rendering appreciable services in analogue circumstances.” And indeed the French army chose the freshly purged Francis Thiallet to form future occupiers of Germany in training courses. So, finally, twenty years after his departure from occupied Rhineland, Thiallet returned to occupied Germany. He became one of the first administrators of the city of Speyer, in the Palatinate. Thiallet stayed in Germany until 1952. This was exactly the kind of story I was hoping to find – thank you, eBay!
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Doctorante (PhD) en histoire à l’université de Berkeley, Julia Wambach étudie l’histoire de l’occupation française en Allemagne après 1945, à la lumière des phases d’occupation successives et réciproques entre les deux pays depuis la Première guerre mondiale. Le fil ténu d’une fiche nominative des archives du ministère français des Affaires étrangères la mène à prolonger sa quête sur le web, où il suffit parfois de taper un nom pour voir apparaître une kyrielle de tenants et aboutissants, comme ici un petit livre de justification autobiographique. Une démarche qui n’aurait pas été possible seulement vingt ans auparavant.
Julia Wambach is a graduate student in History at University of California, Berkeley. She studies the history of the French occupation of Germany after 1945 by the light of the successive and mutual occupations between the two countries since World War I. A nominative file stored at the French Ministry of Foreign Affairs led her to continue her research on the internet where it is sometimes sufficient to type in a name to discover a multitude of ramifications, like in this case, a little book, an autobiographical justification. This is an approach that would not have been possible only twenty years ago.