POIL AU MENTON / BY THE HAIR OF HIS CHINNY-CHIN-CHIN
« Du côté de la barbe est la toute-puissance. » (Molière, L’École des Femmes).
« The side of the beard is the omnipotence ». (Molière, The School for Wives)
Tapuscrit...
Claude Pouzadoux – C’est l’histoire d’un succès, qui est celui du jeune roi de Macédoine Alexandre le Grand, qui est devenu roi à vingt ans, et qui est devenu le représentant du monde grec. C’est la victoire d’Alexandre le Grand contre Darius Codoman, le dernier des grands rois de Perse. Le succès de cette victoire en Italie du Sud est immédiat, inattendu, surprenant, c’est pourquoi c’est aussi l’histoire d’une connexion entre l’Italie du Sud, la Grande Grèce, en fait, qui est en partie grecque, en partie italique, mais qui se sent partie de la Grèce, la partie occidentale de la Grèce… Donc c’est une connexion entre la Grande Grèce et l’Asie, ou plutôt l’extension du royaume d’Alexandre le Grand en Asie, et donc une connexion entre des peintres, des acteurs de ces victoires, de ce nouveau monde qui est en train de se créer… C’est donc aussi l’histoire d’une aura, l’aura de la culture grecque. Elle est incarnée par la figure d’un cavalier, ce cavalier, avec la barbe, dont la victoire est annoncée par un schéma de poursuite. Le Grand Roi, son adversaire, est insaisissable. Et Alexandre le Grand ne peut jamais s’en emparer. C’est donc plutôt l’histoire d’une occasion manquée, ou de plusieurs occasions manquées, parce que pas plus à Issos, en 333 av. JC, qu’à Gaugamèles en 331, Alexandre n’a réussi à affronter son adversaire, qui refuse de combattre. Cette poursuite infernale dure trois ans et elle s’achève sur les bords de la mer Caspienne, lamentablement, par la mort du Grand Roi, tué par le satrape de Bactriane, Bessos.
Donc les images qu’on a sous les yeux à travers ces vases et ces fragments ne montrent pas encore cette fin-là. Elles montrent plutôt la promesse d’une victoire, la chronique d’une victoire annoncée. C’est donc enfin l’histoire d’un tournant historique qui est annoncé, parce que c’est un transfert de souveraineté… Celle du dernier roi de l’empire achéménide au nouveau roi d’Asie, Alexandre le Grand. C’est cette promesse que des peintres d’Italie du Sud, peut-être de Tarente, ont représentée, sur des vases de prestige, cratères à volutes, amphores, qui sont destinés aux aristocraties italiques, de Daunie, du nord des Pouilles, de Peucécie, la partie centrale, et que nous trouvons dans leurs tombes, mais qui ont peut-être été offerts de leur vivant, et qui représentent ce moment historique.
Évidemment, une énigme se pose, pourquoi ce cavalier a une barbe, alors qu’Alexandre a toujours été représenté sans barbe ? Eh bien, c’est le voyage des images, la question de la réception des images par les destinataires, et en Italie du Sud c’est à un autre public qu’elles s’adressent… Et c’est un public qui, lui, vit une autre réalité ! Qui a peut-être entendu parler d’Alexandre le Grand, mais qui vit la présence d’un autre Alexandre, Alexandre le Molosse, l’oncle d’Alexandre, qui a pu utiliser la propagande de son neveu, pour se comparer et comparer sa victoire sur les populations locales à celle d’Alexandre le Grand contre les Perses et le dernier roi achéménide… C’est une des explications que l’on peut donner à la présence des poils sur le menton de ce cavalier qui est représentée.
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Transcript...
Claude Pouzadoux – This is the story of a success, that of the young king Alexander the Great of Macedonia, who became king at twenty and who became the representative of the Greek world. It’s about the victory of Alexander the Great against Darius Codoman, the last of the great kings of Persia. The impact of this victory in South Italy is immediate, unexpected, surprising even. That’s why this is also the story of a connection between southern Italy and Magna Graecia that is in fact part Greek part Italian but which considers itself part of Greece, that is to say the western part of Greece…So, this is a connection between Magna Graecia and Asia, or rather the extension of the kingdom of Alexander the Great into Asia and thus a connection between painters, key players of these victories, of this new world that is forming… That means that this is also the story of an aura, the aura of Greek culture. This is embodied by the figure of a horseman and the victory of this bearded horseman is declared in the guise of a pursuit. The Great King, his adversary, is uncatchable. And Alexander the Great can never quite get hold of him. It is therefore a story of lost opportunity, or rather of several lost opportunities, because in Issos in 333 BC, just as in Gaugameles in 331, Alexander doesn’t manage to confront his adversary who refuses to give combat. This infernal pursuit lasts three years and on the shores of the Caspian Sea culminates lamentably in the death of the Great King, killed by the satrap of Bactriani, Bessos.
Now the images presented to us by these vases and fragments don’t tell of this end. They depict instead the promise of victory, the chronicle of a victory foreseen. What they really recount is the story of a historic turning point, because it is a transfer of sovereignty… that of the last king of the Achemenidean Empire to the new king of Asia, Alexander the Great. It is this promise that painters of southern Italy, maybe of Tarente, have depicted on prestige vases, volute scroll craters. And amphora that are intended for the Italian aristocracy of Daunie, north of the Pouilles, of Peucecie, the central region, and that we find in their tombs but that may have been given to them when alive and that represent this historic moment.
There is an obvious enigma: why this bearded horseman when Alexander has always been depicted without a beard? Well, that’s what happens when images travel, it’s a matter of how images are received by their target audience and in southern Italy, it’s a particular public that is being addressed …. And it’s a public who live in a different reality! Who have maybe heard talk of Alexander the Great but who live with another Alexander, Alexander the Molosse, Alexander’s uncle, who has managed to appropriate the propaganda of his nephew by comparing himself and his own victory over the local populations to that of Alexander the Great against the Persians and their last achemenide king…It’s one of the explanations that can be given for the presence of hair on the chin of this horseman, which is represented.
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Helléniste, chargée de recherche au CNRS et directrice du Centre Jean Bérard à Naples, Claude Pouzadoux scrute, déchiffre et narre la présence et la diffusion de la culture grecque parmi les populations d’Italie du Sud à l’époque des condottieri à travers les représentations de scènes tirées des mythes et de l’Histoire sur les vases à figures rouges italiotes.
A hellenist, Research Fellow at CNRS and head of the Centre Jean Bérard in Naples, Claude Pouzadoux scrutinizes and unravels and recounts the presence and the spread of Greek culture within the South Italian populations at the time of the condottieri, through the representation of scenes of myths and History displayed on the Italiot red-figure vases.