L’OS EN DIT LONG / THE BONES SPEAK VOLUMES
La voix de l’os dans le concert du passé.
The voice of bones in the hubbub of antiquity.
Tapuscrit...
Henri Duday – C’est d’une fragilité… effrayante… Tous ces os proviennent de l’intérieur d’une petite urne en verre… Ça c’est le crâne, ça c’est la colonne vertébrale, là on a les côtes, la scapula, ça c’est probablement l’humérus, ça c’est, en tous cas, c’est l’ulna, l’os qu’on appelait cubitus, le métacarpe, là on a les os du bassin, ça c’est du fémur, ça c’est du tibia, ça c’est la fibula, ce qu’on appelait péroné, et puis y a le talus, donc l’astragale, calcanéus, les métatarsiens…
L’intérêt de Pompéi évidemment dans les recherches à la fois historiques, archéologiques, mais aussi méthodologiques, c’est que nous avons la possibilité d’explorer les niveaux de fonctionnement du cimetière, c’est-à-dire le sol du cimetière. En archéologie funéraire, la plupart du temps, nous avons l’opportunité d’étudier la partie profonde des tombes, mais pas les niveaux où s’inscrivent, ben, les gestes du souvenir, tous les cultes commémoratifs, toutes les visites faites aux tombes. À Pompéi nous avons cela et nous avons aussi les restes de certains bûchers, ce que nous appelons les aires de crémation, sur lesquelles les morts ont été brûlés. Et ce que nous avons pu développer, c’est une recherche sur les corrélations entre les fragments osseux, brûlés, donc, trouvés à l’intérieur d’une urne, ou trouvés dans des unités stratigraphiques différentes. Alors, corrélation positive : affirmer que tel fragment osseux et tel autre fragment osseux appartiennent au même individu, ou au contraire, corrélation négative, c’est-à-dire incompatibilité. Ben, évidemment, si vous avez deux condyles mandibulaires droits, par la force des choses c’est qu’il y a au moins deux individus.
Et à partir de ce moment-là, on va essayer de comprendre les gestes, ou la signification des gestes. Et par exemple, nous avons trouvé, dans une tombe d’enfant, un enfant de six, sept ans, nous avons trouvé un fragment de tibia d’adulte. Et ce fragment de tibia d’adulte, il a fallu ensuite chercher à le raccorder avec, ben, tous les fragments de tibia trouvés dans toutes les tombes de la nécropole ; au total, la recherche a porté sur quatre-vingt-dix-huit mille fragments osseux. Alors pas quatre-vingt-dix-huit mille fragments de tibia… à chaque fois on classe, mais pour l’ensemble de… du secteur que nous avions étudié, il y avait quatre-vingt-dix-huit mille vestiges. Alors c’est un travail très long, très fastidieux, mais j’ai pu trouver un collage avec le tibia d’une tombe, la tombe 9, qui est une tombe d’adulte, et l’intérêt c’est que la présence de ce fragment n’est pas quelque chose de rituel, c’est probablement une erreur de collecte. On avait édifié le bûcher de l’adulte de la tombe 9 à un endroit précis, après l’extinction du feu on a ramassé les os, mais il a subsisté quelques os sur l’aire de crémation. Si on édifie le bûcher de l’enfant, plus tard, au même endroit, ben évidemment, par erreur, on peut ramasser un os appartenant au sujet précédent. Et, de cette manière-là, il a été possible, par exemple aussi, d’établir des liens entre l’intérieur d’une tombe, ce qui est dans une urne, et des os perdus dans le cheminement entre l’aire de crémation et la tombe, puisque les gens transportaient, et là, évidemment, ça nous raconte une histoire beaucoup plus riche. C’est vraiment quelque chose… je dirais tout à fait nouveau. Nous avons la possibilité de suivre les gestes, et puis toute cette… cette pensée religieuse qui s’exprime au travers de la crémation, de la collecte, du transport des os, du dépôt dans la tombe. On a un déroulement.
Alors ça c’est, je dirais, c’est… c’est ma contribution dans le programme Pompéi qui concerne les os brûlés, mais bien entendu les recherches que coordonne William Van Andriga concernent aussi toutes les structures, tous les creusements, tous les objets, parce qu’on va faire aussi ces recherches de recollage, de liaison, etc., sur les fragments de lampes, sur les fragments de céramique, sur les objets de verre. Tout ça est complémentaire. L’os… le mort est quand même le personnage principal de la tombe, donc l’os parle beaucoup, mais l’os ne pourrait pas parler tout seul. C’est vraiment quelque chose qui s’intègre dans une… une compréhension globale des structures et des dépôts funéraires, avec finalement la volonté d’essayer de faire une archéologie du rite.
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Transcript...
Henri Duday – Its fragility is… frightening… All these bones come from within a little glass urn… This one is the skull, this is the spine, there we have the ribs, the scapula, that is probably the humerus, that in any case is the ulna, the metacarpus, there we have the pelvic bones, that is the femur, that is the tibia, that is the fibula, and then there is the talus, calcaneus, the metatarsal…
The obvious interest of Pompeii in historical and archaeological research that also has a methodological aspect is that we have the chance to explore the function of different levels of the cemetery, that is to say the soil of the cemetery. Most of the time in funerary archaeology, we have the chance to study the bottom part of tombs but not the levels at which were written things like acts of remembrance, all the commemorative worship and all the visits made to the tomb. In Pompeii we have that and we also have the remains of various pyres that we call cremation zones on which the dead were burnt. And what we have been able to develop is research on the correlation between burnt fragments of bone found inside an urn or found in different strata. We can get a positive correlation: affirmation that this bone fragment and that other bone fragment belong to the same individual, or on the contrary, a negative correlation, that is to say an incompatibility. Of course if you have two right mandibular condyles, matters dictate that you have at least two individuals.
And from that point on, we try to understand actions, or the significance of actions. For example, we have found in the tomb of a child, a child of six or seven years, here we have found a fragment of the tibia of an adult. And for this adult tibia fragment, we have had to try to match it with all the tibia fragments found in all the tombs of the necropolis; in total, this search has covered ninety eight thousand bone fragments. Now that’s not ninety eight thousand tibia fragments… each discovery is classified, but if we cover everything… from the sector that we have studied, there were ninety eight thousand samples. So it’s a big job, a painstaking job, but I have been able to find a link with the tibia of another tomb, tomb 9, which is an adult’s tomb and the fascinating thing is that the presence of this fragment isn’t anything to do with ritual, it’s probably a collection error. The pyre of the adult in tomb 9 was erected at a precise spot, after the fire went out the bones were collected, but a few bones were left behind at the cremation zone. If, later on, the pyre of the child was erected at the same spot, then obviously by mistake, a bone belonging to the previous subject might get gathered up. In this way, it has been possible for example also to establish links between the interior of a tomb, what is in an urn, and bones lost in the transition between the cremation zone and the tomb since people were carrying them around. Obviously, this tells us a much richer history. I reckon it really is something… entirely novel. We can now follow actions and then all this… this religious thought that is communicated via the cremation, the collection and the transport of bones then of their deposition in the tomb. We are on a roll.
So that is… that is what I would call my contribution to the program at Pompeii which is all about burnt bones, but of course the research coordinated by William Van Andriga includes all structures, all excavations and all objects because we plan also to establish liaisons and to piece together etc. fragments of lamps, of ceramics and of glass objects. All this is complementary. Bones… The dead is still the main character of a tomb, so the bones talk a lot, but bones cannot be left to speak alone. It really is something that gets integrated in… a global understanding of structures and of funerary deposits, with the ultimate aim of trying to develop an archaeology of ritual.
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Archéo-anthropologue, docteur en médecine, directeur de recherche émérite au CNRS (laboratoire d’anthropologie à l’université de Bordeaux) et ancien directeur d’étude à l’EPHE, Henri Duday est à l’origine d’une discipline à part entière, l’archéo-thanatologie, qui tend à interroger les civilisations du passé par l’examen minutieux de leurs pratiques funéraires.
An archaeo-anthropolologist and medical doctor, Director of Research emeritus at the CNRS (Laboratory of Anthropology at the University of Bordeaux) and former Director of Studies at EPHE, Henri Duday initiated a discipline in its own right: archaeo-thanatology, which aims at studying the cultures of the past through a detailed examination of their funeral practices.