L’INTESTIN SOUS TOUTES SES COUTURES / THE MANIFOLD WONDERS OF THE GUT
Au commencement était l’intestin.
In the beginning was the intestine.
Tapuscrit...
Nicolas Chevalier – Je me souviens de la première fois où j’ai disséqué un embryon, ça paraissait compliqué, tout était blanc laiteux, le liquide dans lequel nous faisions la dissection était trouble à cause des restes de jaune, puis des membranes enveloppaient les organes à n’en plus finir. Et c’est ainsi qu’après avoir sorti un premier intestin embryonnaire dans un état de délabrement avancé, j’étais allé voir mon chef de l’époque, Vincent Fleury, et lui avais fait une proposition un peu vague « peut-être on pourrait travailler sur un simulacre d’intestin, un morceau de caoutchouc ou quelque chose comme ça » – il a levé les yeux au ciel et là j’ai saisi que je n’étais pas sur la bonne piste. J’avais justement rejoint ce groupe de recherche au Laboratoire Matière Systèmes Complexes pour me confronter à un vrai « système biologique », c’est-à-dire à la nature, rien de moins, avec toute la complexité que cela comporte. Pour une fois on ne me proposait pas de travailler ni sur un modèle d’embryon, ni sur sa simulation, mais bien sur l’embryon même, dont le mystère peut se résumer en une question « comment la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde peut-elle donner naissance à un être avec des pieds, des bras, une bouche etc.
Le sujet promettait d’être sanguinolent : adieu les cristaux, les surfaces aux propriétés chimiques bien contrôlées, là il faudrait extirper et étriper le bestiau pour l’étudier. Et c’est un monde qui s’ouvre, la tuyauterie molle des organes, leur surface râpeuse quand on grossit jusqu’à voir le champ de bosses des cellules, les unes visqueuses et adhésives, les autres glissantes comme du Téflon, et le mouvement ! Tout est en mouvement dans un embryon, le sang, les globules aussi gros que les canaux qui les déversent, le cœur qui palpite et qu’on peut garder en culture plusieurs semaines – fait éblouissant, et l’on peut garder tous les organes en culture, rein, poumon, œil et intestin compris ! Et en moins de temps qu’il n’y paraît, la nature repoussante, intimidante de l’organe, disparaît pour être remplacée dans l’œil du scientifique par une petite machine biologique remarquablement bien faite, hydraulique, chimique, isolable donc étudiable, et dont on pourrait bien vouloir, après tout, percer les mystères.
L’intestin est un organe fascinant à plusieurs égards, il est ancien, et son plan d’organisation est quasiment le même dans des espèces extrêmement distantes. Un collègue est passé récemment, il étudie un ver marin en forme de tube qui s’assimile à une méduse, eh bien ce tube a une couche de muscle dans le sens de la longueur, une couche de nerf, une couche de muscle circulaire, puis les papilles internes pour digérer, bref, tout se passe comme si c’était un intestin qui nageait dans l’océan, ou alors comme si notre corps abritait un organisme marin, indépendant, symbiotique. Qu’on puisse retirer l’intestin de l’organisme et le développer en culture est un atout immense pour l’expérimentateur, car on peut observer, intervenir.
Le but de mes recherches est de comprendre comment se mettent en place la forme et les tissus de l’intestin – la morphogénèse. La physique joue un rôle central dans l’enchainement d’évènements qui mènent de l’embryon précoce aux organes du fœtus, par le truchement des forces cellulaires, musculaires, qui étirent, déforment, alignent : on ne change pas la forme d’une matière – fut-elle embryonnaire et miraculeuse – sans à un moment appliquer des forces dessus ! En parallèle de cette morphogenèse lente, on s‘intéresse à comment la fonction de l’organe apparaît – c’est ce que j’appelle « l’ergogenèse », et qui pour l’intestin est celle d’une pompe péristaltique intelligente, qui va propulser le bol alimentaire en fonction de la consistance et de la composition chimique de celui-ci. L’intestin possède pour cela un réseau de neurones unique, intrinsèque à cet organe, le système nerveux entérique, qui va actionner des cellules « horloges » ou « pacemakers » qui vont à leur tour actionner des muscles qui tapissent l’intestin tout du long – et tout ceci dans à peine 0.2 mm d’épaisseur de tissu, c’est de la micro-fabrication !
3 min 43 sec
Transcript...
Nicolas Chevalier – I remember the first time that I dissected an embryo seemed so complicated, everything was white and milky, the liquid in which we did the dissection was murky because of the yolk and then there were membranes enveloping organ after organ. And so after having extracted a first embryonic intestine in an advanced state of decay, I went to see my Laboratory Head at the time, Vincent Fleury, and suggested to him rather vaguely that “perhaps we could work on a dummy intestine, a piece of rubber or something like that”. He raised his eyes to heaven, and I knew that I was on the wrong track. I had precisely joined this research group at the Matter & Complex System Laboratory, to confront myself with a real ‘biological system’, that is to say with nature, nothing less, and all the complexity that it entails. For once I was being asked to work neither on a model of an embryo, nor on a dummy, but actually on the embryo itself whose mystery can be summed up in the question ‘how can the union of an egg and a sperm give rise to the birth of a being with legs and arms and a mouth etc.’
The subject promised to be gory: farewell crystals, surfaces with finely controlled chemical properties, now I would have to remove and gut the beast in order to study it. And a whole world opens up, the sloppy pipework of organs, the scratchiness of their surface when magnified enough to see the layout of bumps on cells, some viscous and adhesive, others as slippery as Teflon, and such movement! Everything is moving in an embryo, blood, the white cells as big as the vessels that carry them, the beating heart that can be kept in culture for several weeks – an astonishing fact, and indeed one can preserve all the organs in culture, kidneys, lungs, eyes and intestines included! And in less time than it might seem, the repellent, intimidating aspect of the organ fades to be replaced in the eye of the scientist by a tiny biological machine that is remarkably well put together with its hydraulics and chemistry easily isolated hence easily studied and whose mysteries turn out to be very much ones that we want to penetrate.
The intestine is a fascinating organ in many respects: it is ancient and its layout is nearly the same in species that are extremely distant from one another. A colleague visited us recently who studies a marine worm shaped like a tube that is akin to a jellyfish. Now this tube has a layer of muscle laid lengthwise, a layer of nerves, a layer of circular muscle, then internal papillae for digestion, in short, all is as if it were an intestine that swims around the ocean or else as if our body contained an independent albeit symbiotic sea creature. To be able to extract the intestine of an organism and develop it in culture is a major asset to the experimenter because it allows us to observe and intervene and we don’t pass by such an opportunity.
The aim of my research is to understand how the form and the tissues of the intestine assemble themselves – their morphogenesis. Physics plays a central rôle in the chain of events that leads from the early embryo to foetal organs, through cellular and muscular forces to stretch, deform and align: one cannot change the form of a material – no matter if it is embryonic and miraculous – without at some point applying forces to it! In parallel with this slow morphogenesis, we are interested in how the function of the organ emerges – this what I call ‘the ergogenesis’. In the case of the intestine, it functions as an intelligent peristaltic pump that propels the food bolus in a way appropriate to its consistency and chemical composition. To this end, the intestine has a unique network of neurons that is intrinsic to the organ, called the enteric nervous system which controls ‘clock’ or ‘pacemaker’ cells that in their turn control muscles which cover the entire length of the intestine. And all this in tissue that is scarcely 0.2 mm thick, talk about microfabrication!
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Physicien et physiologiste, chargé de recherche au CNRS (Laboratoire Matières et Systèmes Complexes, Université de Paris), Nicolas Chevalier triture, étire, contraint, agace et stimule dans tous les sens des intestins ou autres organes embryonnaires, principalement de poulets et de souris. Son but est de cerner les mécanismes qui leur donnent forme (c’est la morphogénèse) et d’identifier les facteurs qui leur confèrent leur fonction (c’est l’ergogénèse).
Physicist and physiologist, researcher at the CNRS (Matter & Complex System Laboratory, University of Paris), Nicolas Chevalier triturates, stretches, fiddles, annoys and stimulates intestines and other embryonic organs, mainly from chicken and mice. His goal is to figure out the mechanisms that direct their shape and growth (“morphogenesis”) and how they intertwine with their developing function. (“ergogenesis”)
Merci à Richard Junior Amedzrovi Agbesi, stagiaire de M2 en biomécanique au laboratoire MSC, et merci à Adrian Travis, traducteur attitré des Histoires courtes.
We thank Richard Junior Amedzrovi Agbesi, M2 intern in Biomechanics at the MSC Laboratory, and Adrian Travis, official translator of the “Histoires Courtes”.