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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

EN SUIVANT LE NANOTUBE / FOLLOWING THE NANOTUBE

Des Petits Poucets dans le labyrinthe du cerveau

Little Thumbs in the maze of the brain

Laurent Cognet
24 Déc, 2024
Tapuscrit...

EN SUIVANT LE NANOTUBE

Laurent Cognet – J’essaie de comprendre comment les molécules se déplacent entre les cellules de tissus, en particulier dans le cerveau, c’est un espace qui est totalement fascinant, car on y trouve tout un tas de molécules, avec des fonctions différentes, les nutriments, les hormones, les toxines, les déchets, mais aussi des anticorps. La question que je me pose est de savoir pourquoi et comment fait le corps pour orchestrer toutes ces molécules et leurs différentes fonctions dans le même espace. Et si jamais on voulait y apporter des médicaments, avec des implications dans certaines neuropathologies, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, comment font les médicaments pour pouvoir atteindre leur cible dans un tel dédale, comment une molécule peut aller d’un point A à un point B, on ne sait pas bien comment ça se passe. Le problème c’est que les dimensions en question sont extrêmement petites, elles sont sous le micron bien souvent, elles s’approchent des dimensions nanométriques. Et puis ce n’est pas un espace vide, il y a aussi tout un tas d’autres molécules, en particulier la matrice extracellulaire, qui participe certainement à la régulation du mouvement de ces molécules, et on va essayer de comprendre tout ça.

Donc en tant que physicien, je mets au point des méthodes optiques pour étudier cet espace, pour déjà déterminer les dimensions, et puis de voir comment ces espaces sont connectés. Et puis à l’intérieur de ces espaces, d’essayer de trouver les caractéristiques de diffusion, la vitesse à laquelle les molécules ont la capacité de diffuser. Alors la tâche est extrêmement ardue, car les tissus en question, par définition, doivent être intacts, doivent être vivants, doivent être fonctionnels, on ne peut pas les fixer, la matière à l’échelle nanométrique, elle bouge tout le temps. Ça grouille ! Quand on regarde la matière vivante, tout est en mouvement en permanence. Et puis les tissus vivants, ne sont pas transparents optiquement, nous ne sommes pas transparents, on ne voit pas à travers un tissu dans les longueurs d’ondes optiques du visible. Et les objets qui m’intéressent le plus sont les nanotubes de carbone, car ils sont photoluminescents dans le proche infrarouge. Et d’autre part, la méthode de microscopie optique de super-résolution que nous utilisons au laboratoire, elle est bête comme chou. Si on est capable de détecter un émetteur de lumière isolé, on peut alors trouver sa position avec une très grande précision, car il se situe au centre de l’image qui le caractérise. On va pouvoir détecter des mouvements de ces objets avec des précisions nanométriques et reconstituer le trajet de cet objet dans un espace qui est extrêmement confiné. Les nanotubes de carbone, comme leur nom l’indique, ce sont des tout petits tubes, leur diamètre est de l’ordre du nanomètre. Mais surtout ces nanotubes ont des propriétés optiques absolument remarquables, ils émettent énormément de photons dans le proche infrarouge. Ce qui est intéressant, c’est que le proche infrarouge est le domaine de longueur d’ondes dans lequel les tissus sont les plus transparents. On s’est tous amusés à mettre une lampe-torche dans la bouche, et constater que nos joues deviennent toutes rouges. Eh bien, j’utilise cet effet en utilisant donc les nanotubes de carbone qui émettent dans le proche infrarouge.

Après, il y a évidemment toutes les problématiques pour introduire ces nano-objets à l’intérieur des tissus neuronaux, de les rendre biocompatibles, d’être capables de les suivre, et puis surtout de mettre au point des microscopes optiques qui permettent de suivre le mouvement de ces nanotubes, et pas seulement en deux dimensions mais également en trois dimensions, lorsqu’ils se déplacent à l’intérieur des tissus neurologiques. Il s’agit clairement d’un objectif hyper-complexe, dans lequel je me suis lancé avec des copains neuroscien­tifiques depuis pas moins de vingt-cinq ans. D’une manière générale, nous travaillons donc à l’interface des nanosciences, de l’optique et des neuro­sciences. L’idée de base, elle n’existait pas il y a vingt-cinq ans, parce qu’on n’avait pas les nano-objets qui avaient les propriétés optiques adéquates pour être détectables au milieu d’un tissu biologique. Et l’idée d’aller sonder cet espace avec les nanotubes de carbone est venue grâce à l’objet lui-même, donc c’est les nanosciences, c’est la spectroscopie optique, qui nous a permis d’ima­giner que ce serait possible d’aller étudier cet espace-là.

03min 58 s

 

Transcript...

FOLLOW THE NANOTUBE

Laurent Cognet – My aim is to understand how molecules move around between tissue cells, especially in the brain. It’s an incredibly fascinating topic. You find all sorts of molecules in there, doing all kinds of jobs: some are food, others hormones, toxins, waste or even antibodies. I focus on finding out why and how our body orchestrates all these molecules and their different functions inside the same space. Now, suppose we wish to deliver specific medication in order to treat illnesses such as Alzheimer’s or Parkinson’s disease. How do the drugs manage to reach their target in such a mess; how does a molecule go from A to B? We just don’t know how that works. A major hurdle is due to size: the dimensions involved are extremely small, often submicron, sometimes reaching nanometers. And we’re not talking about an empty volume; there are all sorts of other molecules, particularly the extracellular matrix which certainly also plays a role in regulating the motion of our molecules, and we need to understand all that.

As a physicist, I develop optical methods to study that area, to first determine the characteristic sizes of our objects, and to probe the connections between them. Then, inside these spaces, I try to find the diffusion parameters – the average speed at which the molecules may travel. That’s a very tall order, requiring that the tissues involved remain intact, alive and functional – we can’t pin them down; nanoscale matter is essentially mobile, it swarms! Actually, living matter never stops moving around. Moreover, living tissues are not optically transparent, nor are our bodies, you can’t see through a tissue using visible wavelengths. It so happens that my favourite objects are carbon nanotubes, because they are photoluminescent in the near infrared. And the super-resolution optical microscopy method we use in our lab is incredibly simple. If we can detect an isolated light emitter, we can determine its position very precisely, because it’s right in the center of a characteristic image. We’re then able to monitor these objects’ motions and trajectories to within nanometer precision, inside a narrowly confined volume. As their name suggests, carbon nanotubes are extremely small tubes whose diameter is typically about a nanometer. They have very remarkable optical properties, emitting a huge photon density in the near infrared, the part of the optical spectrum to which tissues are most transparent. We’ve all played with a flashlight, putting it in our mouth to find that our cheeks get bright red. Well, I use that same effect with my carbon nanotubes emitting in the near infrared.

Of course, all sorts of problems arise when introducing these nano-objects inside neural tissues, developing their biocompatibility, being able to follow them and – especially – developing the optical microscopes that monitor nanotube motions not only in two, but also three dimensions when they move inside neural tissues. It’s clearly a super-complex goal that with a group of neuroscientist friends, we set ourselves at least twenty-five years ago. Overall, we work at the interface between nanoscience, optics and neuroscience. The basic idea didn’t exist twenty-five years ago because we lacked the nano-objects providing means of detecting optical properties inside biological tissues. The idea of probing with carbon nanotubes was born from the latter’s very existence, i.e., from nanoscience; combined with optical spectroscopy, it suggested the possibility of opening that field of research.

03min 58 s

Physicien, directeur du laboratoire de l’Institut d’Optique Graduate School de Bordeaux, où il anime le groupe nano-bio-microscopie, Laurent Cognet mène des recherches en nanosciences et en optique tout en combinant des ressources de la chimie et de la biologie, dans le but de sonder les milieux vivants avec des nano-objets comme les nanotubes de carbone.

Physicist and director of the Institut d’Optique Graduate School laboratory in Bordeaux, where he heads the nano-bio-microscopy group, Laurent Cognet is conducts research in nanoscience and optics, while combining resources from chemistry and biology, with the aim of probing living environments with nano-objects such as carbon nanotubes.

Merci à Harry Bernas pour la traduction.

Our thanks to Harry Bernas for the translation.