IMBRICATIONS / IMBRICATIONS
par Évelyne Bukowiecki
Rome de brique et de broc
by Évelyne Bukowiecki
Rome of brick and bits
Tapuscrit...
Évelyne Bukowiecki – C’est incroyable ce qu’on peut apprendre de la Rome impériale juste en observant les parements en brique de ses bâtiments. En observant d’abord la qualité des briques, leur couleur par exemple, mais aussi leur épaisseur ou leur uniformité, on peut tout à fait évaluer le niveau économique et culturel de celui qui a fait construire le bâtiment. Puis on peut observer également la qualité de la mise en œuvre des briques, et ainsi apprécier le niveau technique de ceux qui ont effectivement construit ce bâtiment. C’est d’ailleurs ce qui nous permet de proposer des datations finalement assez fines des édifices romains. Par exemple, on constate que le type de joint entre deux assises de briques peut tout à fait permettre de différencier à Rome un mur construit à l’époque flavienne d’un mur construit sous les empereurs sévériens, juste en reconnaissant le fin bourrelet de mortier laissé par le geste du maçon au moment du lissage des joints. Il y a aussi la variation de l’épaisseur des briques, qui est un bon indicateur chronologique. En effet, les briques romaines avaient cette particularité d’être dans un premier temps particulièrement épaisses, 3,8, 4 cm d’épaisseur, pour s’affiner légèrement entre la fin du 1er siècle et le début du second siècle, autour de 3,2, 3,6 cm, et encore plus nettement vers la fin du second siècle et le début du 3e siècle, avec des épaisseurs comprises entre 2,3 et 2,8 cm, avant de s’épaissir à nouveau autour de 3,5 cm de moyenne dans la seconde partie du 3e siècle.
Il faut savoir d’ailleurs qu’à Rome, les constructeurs antiques n’utilisaient pas comme aujourd’hui des briques rectangulaires, faciles à appréhender d’une seule main, mais systématiquement des briques carrées, préalablement taillées en fragments de formes triangulaires ou trapézoïdales, avant d’être mises en œuvre comme parement des murs. En fait la technique de la construction en brique, pour les Romains, consiste à couler entre deux parois ou entre deux banches un mélange de mortier de chaux et de tout venant, qu’on appelle cæmenta, et qui est constitué de fragments de diverses pierres ou même des déchets de la taille des briques. Cette technique permettait d’unir les parements au noyau interne du mur, pour en fait le transformer en un seul et unique élément, particulièrement solide et solidaire.
Une autre aide très précieuse est l’habitude des briquèteries romaines d’estampiller leur production. En retrouvant et analysant ces estampilles dans un mur, on peut savoir par exemple où, par qui ou pour qui la brique employée a été produite, mais aussi parfois quand elle a été produite, si on a la chance d’avoir la date consulaire ou le nom de l’empereur qui figure sur le timbre.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que le déclin progressif de l’Empire a immédiatement entraîné le déclin de la brique romaine, qui s’interrompt vers le milieu du 5e siècle, pour laisser place toutefois à une nouvelle chaîne opératoire de la brique romaine, basée cette fois sur son réemploi systématique. En effet, pendant au moins cinq siècles qui suivent l’époque impériale, l’architecture en briques de la ville de Rome, se basera principalement sur la spoliation organisée des monuments antiques, et la réutilisation méthodique des matériaux en terre cuite. La première puis la seconde vie de la brique romaine a couvert finalement plus de dix siècles de la prestigieuse histoire de l’architecture de la ville de Rome…
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Transcript...
Évelyne Bukowiecki – It’s unbelievable, how much we can learn about imperial Rome just by looking at the brick facings of its buildings. Firstly, by assessing the quality of the bricks (for example their colour, their thickness or their uniformity), we can straightaway work out the economic and cultural level of whoever had the building erected. Then, by studying the workmanship involved in making the bricks, we may determine the technical skill of those who actually constructed the building. This allows us to suggest dates for Roman buildings that end up being quite precise. For example, identifying the type of joint between two brick courses tells us the difference between a wall constructed in Rome in the Flavian period versus a wall constructed under the Severian emperors – simply by recognizing the fine layer of mortar left by the mason’s gesture as he smoothed each joint. Variations in the bricks’ thicknesses are also a good chronological witness. Roman bricks were notably quite thick, 3.8 to 4 cm, until they were gradually thinned down to around 3.2 to 3.6 cm between the end of the 1st century and the early second century. Such thinning continued in the late second century and early 3rd century, down to thicknesses between 2.3 and 2.8 cm, On the other hand, average brick thicknesses rose again to around 3.5 cm in the second part of the 3rd century.
It’s interesting to note that in ancient Rome, builders didn’t use present-day rectangular bricks, that are easy to catch single-handed; they always used square bricks that had been reduced into triangular or trapezoidal fragments, which were then fashioned into wall facings. In fact, the Romans’ brick construction technique consisted in casting a compound of lime and stuff called cæmenta – a random mixture of stones or brick tailings – between two walls or panels. The method allowed joining the facings to the wall’s core, leading to a single, strong and consolidated structure.
Another very useful feature is the Romans’ brickworks habit of putting their stamp on their produce. By finding and analyzing these stamps on a wall we can find out, for example, by whom – or for whom – the brick was made; sometimes we can even date it, if we’re lucky and find a consular date or an emperor’s name.
It’s interesting, by the way, to note that the gradual decline of the Empire immediately led to a decline in Roman style brickworking. The latter disappeared around the mid-5th century, and was replaced by a novel operating sequence based on its systematic reuse. For over five centuries following the imperial period, municipal Rome’s brick architecture was mainly based on the organised plundering of ancient monuments and a constant reuse of terracotta materials. The first and second lives of the Roman brick thus spanned more than ten centuries of Roman architecture’s prestigious history.
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Archéologue, Évelyne Bukowiecki est responsable du laboratoire d’archéologie de l’École française de Rome, ainsi que du suivi de ses chantiers archéologiques. Spécialiste d’archéologie de la construction romaine, elle s’intéresse en particulier à l’architecture des ports de la Rome antique, Ostie et Portus.
Évelyne Bukowiecki is an archaeologist, in charge with the Laboratory of Archaeology of the École française de Rome, as well as for monitoring its archaeological projects. As specialist in Roman construction archaeology, she focuses in particular on the architecture of the ports of ancient Rome, Ostia and Portus.
Merci à Sarah Vyverman pour ses briques, ainsi qu’à Harry Bernas pour la traduction.
Our thanks to Sarah Vyverman for her bricks, and to Harry Bernas for the translation.