NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

WHY BABYLON? / POURQUOI BABYLONE ?

You want to create an utopian past to imagine the future.

Le futur de nos rêves passe par la construction d’un passé utopique.

Ömür Harmanşah
1 Fév, 2016
Tapuscrit...

Ömür Harmanşah – J’ai réfléchi récemment à la manière dont l’idée que nous nous faisons de l’Antiquité épouse si étroitement, dans sa logique, les utopies du futur. J’ai trouvé intéressant de voir comment ces visions utopiques s’approprient des éléments exotiques du passé lointain d’un monde antique pour les projeter dans le futur comme une avant-garde, une vision inconnue, transférant du connu en terrain inconnu. D’une certaine manière, l’archéologie en fait autant en sens inverse, bâtissant le monde antique comme un paysage exotique inconnu, étranger à notre modernité. La ville de Babylone, avec sa Tour de Babel, est peut-être l’un des plus fascinants éléments d’Antiquité à ressurgir constamment au cours de l’Histoire. On raconte souvent comment, dans un célèbre passage de la Genèse, dans l’Ancien Testament, Dieu punit les humains pour avoir bâti une tour dont le sommet monte jusqu’au ciel. Cette punition, la confusion des langues, les empêchera de se comprendre entre eux. Cette histoire est décrite dans un célèbre tableau de Breughel, La Tour de Babel, qui représente une construction onirique aux allures de ziggurat, que des maçons élèvent alors même qu’elle tombe en ruine.

Mais je me demande en quoi cette image de Babylone est pertinente ? Nous savons qu’au temps de ses souverains célèbres, comme Nabuchodonosor II, au VIe siècle av. JC, Babylone a connu un extraordinaire chantier de reconstruction urbaine, avec des réalisations comme la Porte d’Ishtar et l’ensemble des temples de Marduk, où se trouvait une ziggurat qui a été à l’origine de l’histoire de la Tour de Babel. Selon les récits classiques, comme celui que nous voyons représenté au tympan de l’entrée de l’Oriental Institute, les civilisations égyptienne et mésopotamienne se contentent de disparaître pour céder la place à l’essor de la civilisation occidentale, dans une vision utopique du passé, où les acteurs de l’Orient transmettent les symboles de la civilisation aux acteurs de la culture occidentale et où la civilisation du passé lointain n’existait qu’en Orient… Dans les années 1950-60, cette vision utopique de Babylone réapparaît au début du mouvement situationniste. L’artiste néerlandais Constant Nieuwenhuys a entrepris un projet architectural, une ville utopique appelée New Babylon. Dans toute une série de dessins, collages, maquettes, peintures et manifestes, Constant offre dans New Babylon une critique du modernisme industriel. De même que nous inventons un passé archéologique à partir d’un imaginaire politique alourdi du présent, les visions futuristes valorisent les lieux exotiques du passé et les mobilisent dans le but de donner vie aux territoires inconnus du futur.

03 min 39 sec

Transcript...

Ömür Harmanşah – Recently I’ve been thinking about how our archeological imaginations of Antiquity resemble in its logic so closely to the utopias of the future. I’ve been interested in how these utopian visions often adopt fragments of an exotic distance past from the ancient world and projected into the future as an avant-garde, a utopian vision, transporting what is familiar to a territory of the unfamiliar. Archaeology in a way does the same in the opposite direction and constructs the ancient world as an exotic unfamiliar landscape, alien to our modernity. So the city of Babylon with its Tower of Babel is perhaps one of the most captivating fragments of Antiquity that’s continuously surfacing in the course of history. The many will tell that in the famous episode from the Book of Genesis, in the Old Testament, humanity is punished by God, for building a tower that reached the Heavens. And the punishment is the confusion of their tongues, so that they don’t, they may not understand each other. The story is famously depicted in Peter Bruegel’s painting Tower of Babel where a dreamy ziggurat-like structure is depicted both rising with the work of stone-masons, while at the same time falling into ruins.

But I wanna to ask, how accurate is this image of Babylon? What we know is that at the time of famous Babylonian rulers such as Nabuchodonosor II, in the 6th B.C., Babylon witnessed an extraordinary urban reconstruction project, with its architectural accomplishment such as the Ishtar Gate and the temple complex of Marduk, which included a ziggurat that inspired the Tower of Babel story.

According to standard narratives like the one we know from the design of the tympanum to the entrance of the Oriental Institute, Egyptian and Mesopotamian civilizations simply vanish and they give way to the rise of Western civilization. In this utopic vision of the past, actors of the East hand over the symbols of civilized life to the actors of western culture. And civilization exists in the past tense for the East only… So Babylon appears in the utopian vision from the late Fifties and Sixties, during the earliest years of Situationist International. The Dutch artist Constant Nieuwenhuys initiated a futurist architectural project, a utopian city called New Babylon. In a variety of representations in the form of drawings, collages, architectural models, paintings, maps and manifestos, Constant presented a critique of industrial modernism in New Babylon. Just as we fabricate archeological past through our politically charged imaginations and impositions of the present, futurist visions enhance exotic places of the deep past, and mobilize them in order to animate the unchartered territories of the future.

03 min 39 sec

An archaeologist, Associate Professor at the Art History Department at the University of Illinois at Chicago, Ömür Harmanşah specializes in the ancient Near East (Anatolia, Syria, and Mesopotamia). He focuses on cities, architectural and urban space, landscape, image-making practices, social memory, and political ecology.

Archéologue, professeur associé au département d’histoire de l’art à l’université de l’Illinois de Chicago, Ömür Harmanşah s’est spécialisé dans le Proche-Orient ancien (Anatolie, Syrie et Mésopotamie). Il se consacre en particulier à l’étude des villes et de l’architecture des espaces urbains, au paysage, aux pratiques de production des images, à la mémoire sociale et à l’écologie politique