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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

LES CONFINS DU MONDE /THE EDGES OF THE WORLD

De la vision du monde des premiers Grecs à travers les pendentifs gaulois d’un collier sicilien.

The worldview of ancient Greeks as revealed by the Gallic pendants of a Sicilian necklace.

Stéphane Verger
11 Sep, 2016
Tapuscrit...

Stéphane Verger – L’histoire a commencé avec la tombe 660 de Megara Hyblaea, qui est la tombe d’une riche femme grecque qui vivait à la fin du VIIe siècle av. JC en Sicile orientale et il y avait dans cette tombe avec cette femme grecque un collier de pendentifs en bronze qui venaient des Balkans, de la Macédoine, de la vallée du Danube et j’ai pu montrer que parmi ces objets du collier, il y avait aussi des objets qui provenaient de la Gaule, de la France du Sud et de la France du Centre. Il y avait en particulier un petit bouton qui était du Languedoc et qui était identique à ceux que portaient les femmes à la fin du VIIe siècle av. JC, avant la fondation de Marseille, à Agde, là où les premiers Grecs ont fréquenté les côtes de la Gaule. Il y avait aussi un pendentif en forme de rouelle qui venait de la Bourgogne ou de la Franche-Comté et c’est tout un trafic qui commençait à se faire jour entre la Sicile et la Gaule, avant même la fondation de Marseille. Les Grecs de Sicile allaient jusqu’en Languedoc, ils débarquaient à Agde et là, il y avait des communautés indigènes qui récoltaient le métal. C’était du métal qui venait directement des mines de la Montagne Noire, mais aussi du métal qui était récolté sous la forme de recyclage. Et ce métal recyclé provenait des parures féminines de l’ensemble de la Gaule, du Massif Central, de la Bourgogne, de la Franche-Comté et l’on retrouve en effet en Languedoc de grands stocks de métal, les dépôts launaciens, qui réunissent ces fragments de parures de l’ensemble de la Gaule. Et en Sicile, dans une douzaine de sites de Sicile, on retrouve ces fragments de parures. Alors le métal était utilisé pour faire les armes, par exemple, pour faire les vases métalliques, dans les ateliers grecs, mais il était utilisé aussi dans les pratiques rituelles des femmes grecques de Sicile.

La tombe 660 de Megara Hyblaea, c’est aussi la tombe d’une femme qui porte un collier d’amulettes, d’amulettes qui viennent des limites du monde connu à cette époque, des limites vers le Levant d’été, là où se levait le soleil l’été, c’est-à-dire la Macédoine, les Balkans, le Caucase. Et ces objets du Levant d’été étaient associés à des objets du Couchant d’été, de la Gaule, du Languedoc, de la Bourgogne, là où se couchait le soleil et aussi où se trouvaient les Héliades, c’est-à-dire les filles du Soleil, les Héliades qui étaient aussi celles qui pleuraient la mort de leur frère Phaéton sur les rives de l’Eridanos où l’on retrouvait l’ambre, qui était considéré comme les larmes des Héliades, qui étaient comme fossilisées dans le cours du fleuve. Il y avait comme une sorte de lien invisible entre la femme grecque de Megara Hyblaea et ses semblables, qui habitaient en Gaule, qui habitaient en Macédoine et qui elles-mêmes avaient des manières de se protéger, de protéger leurs enfants, par des parures métalliques très importantes et ce sont ces fragments de parures métalliques de ces femmes des confins du monde que porte la femme de Megara Hyblaea. Donc il y avait tout un aspect religieux, car les Grecs pensaient que ces objets étaient des sortes de reliques de la descendance du Soleil, des reliques des femmes extraordinaires qui vivaient dans ces contrées.

Alors cette histoire est vraiment une histoire courte ! Parce que tous ces trafics qui commencent à la fin du VIIe siècle s’arrêtent vers 540 av. JC, c’est-à-dire à l’époque où les échanges maritimes en Méditerranée deviennent plus difficiles, plusieurs puissances maritimes se concurrencent, y a Marseille dans le sud de la France, il y a Carthage aussi, en Sardaigne et en Sicile occidentale, y a les Étrusques, il y a toute une série de transformations aussi dans les pratiques rituelles, dans les sanctuaires grecs et cet ensemble de circulations n’a laissé finalement aucune trace dans l’histoire des relations maritimes en Méditerranée. Donc c’est pour ça que c’est un peu une histoire courte, parce que c’est quelque chose qui a été oublié et que seule l’archéologie des petits fragments métalliques permet de reconstituer.

4 min 47sec

Transcript...

Stéphane Verger – The story begins with the tomb 660 from Megara Hyblaea, which contained the remains of a rich Greek woman who lived at the end of the 7th century BC in Eastern Sicily. She was buried with a necklace made of bronze pendants coming from the Balkans, Macedonia and the Danube valley. I was able to demonstrate that a few of these objects came from Gaul, namely from Southern and Central France. For example, there was a small button from Languedoc, identical to those worn by the women of Agde at the end of the 7th century BC, where the Greeks first roamed the coasts of Gaul before the founding of Marseille. Another item is a wheel-shaped pendant from either Burgundy or Franche-Comté. Therefore trade routes were already forming between Sicily and Gaul, even before the founding of Marseille. Sicilian Greeks went as far as Languedoc, landing in Agde where indigenous communities collected metal. The metal was directly extracted from the mines of the Montagne Noire, but was also collected through a form of recycling. Recycled metal came from women’s jewelry manufactured throughout Gaul, from the Massif Central to Burgundy and Franche-Comté. Indeed, large stocks of metal that include these fragments of women’s jewelry coming from all over Gaul, can be found in Languedoc in what are known as “launacien” hoards. These same fragments of jewels can also be found in a dozen sites in Sicily. The metal was used to make weapons, for example, or metal vases in Greek workshops, but it was also used by Greek Sicilian women for ritual practices.

The woman buried in the tomb 660 of Megara Hyblaea also wore a necklace of amulets, which came from the outer limits of the known world at that time: Macedonia, the Balkans and the Caucasus, known as the lands of the rising sun in summertime. Some of these Eastern artifacts were associated with objects crafted in the West – Gaul, Languedoc and Burgundy –, where the sun sets in summertime. According to legend, it was said that the Heliade sisters, daughters of the Sun, lived there. The Heliades mourned the death of their brother Phaethon on the shores of the Eridanos River, and the legend tells us that their tears turned into amber as they fell into the river. There existed a kind of invisible link between the Greek woman of Megara Hyblaea and other women living elsewhere, from Gaul to Macedonia. They all had ways of protecting themselves and their children with these very important metal ornaments that came from the edges of the known world, and the woman of Megara Hyblaea wore these same jewels. These objects thus held religious signification, for the Greeks thought they were relics of the Sun’s offspring, relics of these extraordinary women who lived in far-off countries.

This story is really a short story! Most of this trading began at the end of the 7th century B.C. and stopped around 540 B.C., when maritime commerce in the Mediterranean became more difficult. In fact, several maritime powers were competing at that time: Marseille in the South of France, Carthage, Sardinia and Western Sicily, as well as the Etruscan State of Northern Italy. Ritual practices within Greek sanctuaries also underwent several transformations during this period. To conclude, there remain no traces of these multiple exchanges in the history of maritime trade in the Mediterranean. That is why this is such a short story: it has long been forgotten and only archaeological research has enabled us to reconstruct it, through the analysis of small metal fragments.

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Archéologue, directeur d’études à l’EPHE et directeur du laboratoire « Archéologie et philologie d’Orient et d’Occident » à l’ENS, Stéphane Verger tire sur le ténu fil d’Ariane de parures féminines retrouvées dans des tombes de Sicile et de Gaule pour faire apparaître un moment oublié des échanges maritimes et de la cosmogonie des Grecs au VIIe siècle av. JC., lorsque le métal issu des mines de la Montagne Noire et les bijoux venus tant de la Bourgogne que du Caucase, fixaient les limites d’un monde imaginé en suivant la course du soleil d’été.

Stephane Verger is an archaeologist as well as Studies Director at the EPHE and Director of the ENS laboratory “Eastern and Western Archaeology and Philology”. His studies of women’s jewelry found in Sicilian and Celtic tombs shed new light on both maritime exchanges in the Mediterranean and Greek cosmogony of the 7th century BC. At this time, the metal coming from the mines of the Black Mountain in the West, and the jewels crafted in Burgundy and the Caucasus to the East, determined the limits of the imagined world by following the path of the summer sun.