TROIS THÉORÈMES IMPOSSIBLES / TRHEE IMPOSSIBLE THEOREMS
Comment il convient de se méfier des plus séduisants paradoxes mathématiques.
A cautionary tale of the seductive power of mathematical paradoxes.
Tapuscrit...
Cédric Villani – Dans le monde où nous vivons, il y a des choses bien étranges, dans le monde mathématique aussi, des choses impossibles, même, parfois on les enseigne et on en tire des conclusions. L’énoncé réputé le plus surprenant de toute la mathématique est le paradoxe de Banach-Tarski : je prends une boule, il existe alors un découpage de cette petite boule en un nombre fini de morceaux tels que si l’on déplace et recolle les morceaux différemment, on reconstitue le buste de Poincaré ; ou la statue d’un éléphant grandeur nature ! Et évidemment, ça pose problème ! Ça serait bien pratique si on pouvait faire ça avec une boule en or massif… Et bien sûr, ces morceaux sont en pratique impossibles à constituer… Sauf à faire appel au puissant et controversé axiome du choix ! J’ai enseigné ce paradoxe à mes étudiants, à l’École normale supérieure de Lyon, pour les mettre en garde contre cet axiome du choix !
Un autre énoncé impossible est le théorème de Nash-Kuiper. Lui n’utilise pas l’axiome du choix, mais il est tout aussi paradoxal. Supposons que ma boule, maintenant, je souhaite la ranger dans une toute petite boîte d’allumettes ! Eh bien, je peux, nous dit Nash, je peux la replier sur elle-même de sorte à la ranger dans la boîte d’allumettes, sans pour autant la cabosser, sans changer sa géométrie ! Une minuscule fourmi à la surface de la boule ne se rendrait même pas compte du changement ! Ceci est choquant ! Nous avons l’habitude de penser qu’une sphère est rigide du fait de sa courbure ! Ce théorème impossible, bien sûr, je l’ai aussi passé en revue avec des étudiants et nous l’avons re-démontré… Il nous enseigne que les apparences sont trompeuses et que la rigidité est un concept subtil, qui dépend de la régularité ! Et puis, c’est une construction magnifique, que l’on peut d’ailleurs visualiser, et qui est d’une très grande beauté plastique.
Le troisième énoncé que j’évoquerai, c’est celui que j’ai exposé dans un séminaire Bourbaki, découvert en 1993 par l’imprévisible chercheur Vladimir Scheffer. Imaginez une douce après-midi d’été, un lac paisible, pas un souffle de vent, et soudain l’eau se met à bouillonner et s’agiter en tous sens… Et puis d’un coup tout s’arrête ! Toujours pas un souffle de vent ! C’est comme si l’énergie avait été générée de nulle part avant de retourner dans le néant ! C’est le sens du théorème de Scheffer. Il construit, avec la bonne vieille équation d’Euler, 1755, il construit un fluide qui viole la loi de la conservation de l’énergie. On ne sait pas vraiment quelle est la bonne réponse, la bonne attitude face au paradoxe de Scheffer. On ne sait pas dans ce cas si l’on a des solutions lisses ou non-lisses, et si c’est là que réside la solution. Qu’en tirer ? Pour l’instant en tous cas, on peut en conclure qu’on comprend vraiment bien peu de choses à la mécanique des fluides et à beaucoup d’objets familiers qui nous entourent !
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Transcript...
Cédric Villani – The world around us contains many strange things, in mathematics too, impossible things even. Sometimes we teach them and draw conclusions from them. The most surprising statement in all of mathematics is said to be the Banach-Tarski paradox: if I take a ball, I can cut it up in a finite number of pieces in such a way that I can move the pieces around and stick them together again to create a bust of Poincaré, or a life-size statue of an elephant. Obviously, that can’t be right! It would be great if we could do that with a solid gold ball… Naturally, we can’t actually produce these pieces… unless we use the powerful and controversial axiom of choice. I taught my students this paradox, at École normale supérieure in Lyon, to warn them against the axiom of choice.
Another impossible statement is the Nash-Kuiper theorem. That one doesn’t use the axiom of choice, but it’s just as paradoxical. Let’s say that I now want to put my ball into a small matchbox. Well, I can, says Nash, I can fold it over on itself so that it fits in the matchbox, without denting it or changing its symmetry. A tiny ant on the surface of the ball wouldn’t even notice the change. This makes no sense! We’re used to thinking that a sphere is rigid because of its curvature. That’s another theorem I worked through with students and we demonstrated it again. It teaches us that appearances are deceptive and that rigidity is a subtle concept that depends on regularity. It’s a wonderful construct, you can actually see it, it’s extremely beautiful.
The third statement I’ll mention is the one I presented in a Bourbaki seminar, discovered in 1993 by the unpredictable researcher Vladimir Scheffer. Imagine a balmy summer afternoon, a peaceful lake, not a breath of wind and suddenly, the water starts to bubble and splash everywhere… Then everything stops… and there’s still no wind. It’s as if energy had been generated out of nothing only to go back to nothingness! That’s what Scheffer’s theorem tells us. Using the good old Euler equation from 1755, he builds a fluid that contravenes the law of energy conservation. We don’t really know what the right answer is, how we should react to the Scheffer paradox. In this case we don’t know whether we have smooth or non-smooth solutions, or even if that is where the solution lies. What conclusions can we draw? For the moment at least, we can conclude that we understand very little about fluid mechanics and about many familiar objects around us!
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Mathématicien, professeur à l’université Claude Bernard – Lyon 1, directeur de l’Institut Henri Poincaré, médaille Fields 2010, Cédric Villani s’appuie sur les élégants paradoxes mathématiques des théorèmes de Banach-Tarski, Nash-Kuiper et Scheffer pour les ramener à leur état natif : d’aussi trompeuses apparences que celles qu’on croise à tout moment dans le monde qui nous entoure.
Mathematician, professor at Université Claude Bernard – Lyon 1, Institut Henri Poincaré Director, 2010 Fields medallist, Cédric Villani uses the elegant mathematical paradoxes of the Banach-Tarski, the Nash-Kuiper and the Scheffer theorems to explain how deceptive appearances can be, in mathematics and in the world around us.