NESTOR présente

Les romans-photos

de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

Voyage aux Cinq Écoles

29 minutes – 2004

Tapuscrit...

Commentaire – Oasis de Douch, Haute-Égypte. Prisonnière depuis l’ère tertiaire, l’eau suintait des collines en grès, comme de grandes éponges de pierre. Les paysans la recueillaient pour irriguer les oasis, en creusant des galeries, les qanâts, toujours plus loin, toujours plus profond dans la roche, parfois sur 400 mètres de long, à 20 mètres de profondeur. Ainsi pendant huit siècles, jusqu’aux époques perse et romaine. Puis l’eau s’est tarie, laissant à l’abandon quelque quatre-vingts qanâts.

Ile de Thasos, Grèce du Nord. En cherchant tout autre chose dans le sol de l’agora, on tombe sur les restes d’un énigmatique sacrifice : un porcelet, un veau, un jeune bélier, coupés en deux par le milieu. Manque juste l’arrière du bélier. Serait-ce, pour la première fois au monde, une trittoia, sacrifice mentionné déjà par Homère ? On refermera la fouille pour revenir, trois ans plus tard, avec un archéozoologue, à la recherche des restes du petit bélier, qui dormait là depuis près de 2 400 ans.

François Poplin, archéozoologue, MNHN – Il était plutôt les pieds là-bas, et le dos, à dos avec le…

Dominique Mulliez, épigraphiste, directeur de l’ÉfA (off) – Dos à dos avec le bovin…

Commentaire – Angkor, Cambodge. Le Baphuon, majestueux temple-pyramide du 12e siècle, s’effondrait sur lui-même. Dans les années 60, il fut donc démonté, pierre à pierre, numéroté, et on comptait bien le rebâtir après avoir consolidé l’intérieur à grand renfort de béton. Puis vint la guerre et toutes les archives furent détruites à Phnom-Penh. On le remonte quand même, à partir des 300 000 blocs de pierre déposés dans la forêt alentour. Puzzle en 3D.

Pascal Royère, architecte, membre de l’ÉFEO – Il n’y a qu’une solution de remontage, donc on est contraint de pré-assembler le monument pas petits bouts dans la forêt, par petits bouts de toitures, par petits bouts de murs, par petits bouts de galeries, pour, une fois qu’on a trouvé la clé, il n’y a qu’une clé, une fois qu’on a trouvé, on l’inventorie, on numérote les pierres, on dit, ça, ça va là, et une fois qu’on a consolidé la zone sur laquelle on doit remonter ces maçonneries, on passe à l’application…

William Van Andriga, historien, membre de l’ÉfR – Dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize…

Commentaire – Pompéi, Italie. Autre échelle, autres grilles. En arrêtant le temps, le Vésuve a fixé les traces subtiles des rites funéraires. Deux mille ans plus tard, mise au jour des restes de repas, libations, parfums répandus sur les tombes, ossements en tous genres.

William Van Andriga – Le moment des funérailles était jalonné de rituels qui visaient à transformer le cadavre, qui est souillure, toute la famille devient funesta, et pour que l’individu cadavre se transforme en défunt susceptible de recevoir un culte funéraire, il fallait donc une série de rituels qui visaient donc à cette transformation progressive du cadavre souillure, de la mort de l’individu, jusqu’à l’ensevelissement dans le tombeau, et puis ensuite, donc, on commémorait son souvenir, là également par des rituels qui étaient répétés sur sa tombe !

Commentaire – Commanditaires de ces travaux d’Hercule ou de Sisyphe, les Écoles françaises à l’étranger. Extrême-Orient, Le Caire, Athènes, Rome, Madrid, elles sont cinq, comme les doigts de la main. Ce ne sont pas des écoles maternelles pour enfants d’expatriés, mais de complexes instituts relevant du ministère de l’enseignement supérieur, s’occupant d’histoire, d’archéologie et depuis peu d’études contemporaines, tournées vers le pays qui les accueille. La plus jeune est la Casa de Velázquez. Réduite en cendres, comme Pompéi, pour s’être trouvée sur la ligne de front en 36, pendant le siège de Madrid, elle vient de fêter ses 75 ans.

Gérard Chastagnaret, historien, directeur de la Casa de Velázquez – La France a été rappelée pour rouvrir les fouilles là où Pierre Paris avait commencé en 1917…

Commentaire – C’est la seule des cinq Écoles qui accueille une section artistique en plus des membres scientifiques. On est membre pour deux ans, pensionnaire, histoire de terminer sa thèse ou d’affirmer son art.

L’art ne viendrait de nulle part sans ses historiens. En Grèce comme ailleurs, ce sont eux qui prolongent et qui éclairent.

Bernard Holtzmann, historien de l’art, membre de l’ÉfA – Fissure sur la chevelure derrière l’oreille gauche… La première chose difficile, c’est de voir dans quel sens il faut le regarder, parce que, si on vous donne ça, il faut d’abord savoir comment le regarder, à partir du moment, au fond, la solution, à partir du moment où vous avez compris que c’est comme ça qu’il faut le regarder, vous êtes très près de la solution, parce que vous vous apercevez qu’il y a ici une oreille, et des grosses mèches de chevelure qui retombent sur la nuque, que ici vous avez une, une lèvre inférieure et une bouche entrouverte… Mais enfin, c’est un travail qui est assez, qui est assez difficile…

Commentaire – C’est avec les grandes fouilles, comme celle de Thasos, que l’École d’Athènes, la plus vénérable, créée en 1846 sur fond de rivalités romantico-géopolitiques franco-anglaises, a enflammé les imaginations.

La bibliothèque, qui ne ferme jamais, 24 heures sur 24, 365 jours par an, est à la fois son outil de travail, sa mémoire et son pivot. C’est de là que les membres prennent leur envol, c’est là qu’arrivent les stagiaires.

Aurélia Greiveldinger, doctorante, boursière à l’ÉfA – Oui, oui, oui, je suis boursière… À l’École…

Anne Papillault – Ça veut dire quoi ?

Aurélia Greiveldinger – Ça veut dire que je suis financée pendant un mois pour effectuer mes recherches en Grèce… À la fois je profite de toutes les données de la bibliothèque, et l’École facilite mon accès aux collections dans les musées grecs…

Jean-François Dars – Il n’y a pas de bibliothèques en France qui permettent de faire le même boulot ?

Aurélia Greiveldinger – C’est-à-dire qu’en France, toutes les données sont… ont tendance à être dispersées entre plusieurs bibliothèques universitaires… Et là, on a un condensé, tous les ouvrages en même temps dans le même lieu, et on gagne beaucoup de temps…

Commentaire – Les Écoles, comme leur nom l’indique, accueillent et forment un nombre impressionnant d’étudiants. Instituts d’archéologie autant que d’histoire comme leur nom ne l’indique pas, elles creusent le passé, remuent la terre. Depuis le temps où le mont Lycabette était encore un désert au cœur d’Athènes, des dynasties de savants ont amassé une immense récolte de photos, plans, dessins, documents, textes, communications, qui sont à leur tour classés, étudiés, publiés, à commencer par les grands chantiers historiques que sont Delphes, Argos et Delos.

On peut les consulter, depuis que l’esprit moderne souffle dans les couloirs de l’École, à partir de son site en ligne, comme si la bibliothèque, les publications, les archives de l’École étaient présentes dans les nuages et qu’il suffisait de tendre la main pour accéder désormais à des ouvrages trop longtemps réservés à la parfois sélective aristocratie des hellénistes.

Autre bibliothèque de rêve, logée dans les hauteurs du palais Farnèse, celle de l’École française de Rome, elle-même à ses débuts succursale d’Athènes, antiquité méditerranéenne oblige. Terminant leur thèse et participant aux grands chantiers de l’École, colloques, expositions, fouilles, ses membres ont trois ans pour en lire tous les livres.

Yannick Nexon, directeur de la bibliothèque – Les collections qui sont acquises trouvent leur public tout de suite ! Leur public est là ! On ne fait pas appel à ce public, le public y vient, il est déjà captif, les membres de l’École, et les autres viennent ! C’est-à-dire qu’il y a un dialogue entre les collections, le bibliothécaire et le public ! Dès qu’il y a un trou dans une collection, on le sait ! C’est le chercheur lui-même qui le dit… Dans une bibliothèque, c’est pas si fatal ! Quand une bibliothèque a dix mille personnes, parfois elle va mécontenter un type de public qui va pas revenir, et on ne le saura pas… Ici, on le sait tout de suite ! Donc ça, ça fait la spécialité de la bibliothèque…

Commentaire – Mais qui dit livre dit impression et ça, c’est une des spécialités de l’IFAO, Institut français d’archéologie orientale, au Caire, fondé par Jules Ferry, déjà lui, via Gaston Maspéro, en 1880. Car à la différence des quatre autres Écoles, l’IFAO édite et fabrique ses propres ouvrages, et des générations d’égyptologues et de papyrologues ont été publiés grâce à son imprimerie maison, d’abord au plomb depuis 1907 et vénérable à proportion.

Maintenant, tout est passé en PAO et en douceur. C’est une maison où les logiciels sont peuplés de hiéroglyphes, que l’enthousiasme des scribes antiques a multipliés presque à l’infini, et qu’il faut pourtant tous avoir à disposition, hier plomb, aujourd’hui pixel. Le trait est roi. Il peuple les écrans de saisie de texte, ses lignes sont suivies à la trace par les graphistes qui recopient les relevés de terrain, il rythme les cahiers de fouilles rangés dans les archives, minutieux journaux de bord, heure par heure, objet par objet, des plus glorieux chantiers de l’égyptologie. Et même lorsque l’écriture se sera enfin affranchie du dessin, il continuera d’occuper les écrans de sauvetage des fragiles textes juridiques du temps des mameluks, comme il se fixait déjà, immarcescible, sur les ostraca hiératiques de Deir et Medineh.

Chloé Ragazzoli, missionnaire de l’ÉNS à l’IFAO – C’est, non pas une autre langue, mais un autre système de notation, au niveau de l’écriture, ça correspond à une cursive, en fait, par rapport aux hiéroglyphes qui sont les caract… comme nos caractères d’imprimerie, et puis le hiératique est notre écriture cursive de tous les jours… Donc les ostraca de Deir el Medineh sont en majeure partie écrits en hiératique, puisque les hiéroglyphes étaient… étaient réservés, en majeure partie à l’épigraphie, à des choses auxquelles on cherchait à conférer un aspect ou sacralisé ou officiel… Donc ici on a un extrait qui est en hiéroglyphes, très soignés, puisque les plumes sont dessinées, par exemple, sur le petit poussin de caille, là… Et ici, donc, la cursive hiératique… Et le principe de la publication, quand les gens qui étudient ces ostraca à l’IFAO, c’est de donner une photo, un fac-similé, et une transcription en hiéroglyphes, puisqu’on passe par la transcription en hiéroglyphes pour traduire, une translittération, et une traduction !

Jean-François Dars – Pourquoi on passe par les hiéroglyphes ?

Chloé Ragazzoli – Ben, parce qu’on a ce stade, nous, de l’interprétation, qui est de reconnaître sous le hiératique, les signes, les signes hiéroglyphiques correspondants !

Commentaire – Quant à l’École française d’Extrême-Orient, elle fut fondée par Jules Ferry, encore lui. Sa circonférence était partout et son centre à Hanoï. De nos jours, en raison des surprises de l’Histoire, le centre est à Paris mais à Hanoï comme ailleurs, on s’applique à numériser le passé estampé, stèle après stèle.

Philippe Papin, historien, membre de l’ÉFEO – Lorsque le conseil des notables voulait réparer la maison communale, souvent c’est la toiture ou les piliers qu’il fallait changer, on demandait de l’argent… Et donc les généreux donateurs, parfois volontaires, parfois un peu contraints, voyaient leurs noms gravés sur la pierre, pour commémorer leurs mérites, donc généralement, le texte est toujours le même, c’est-à-dire on a, la première ligne c’est toujours la localisation, donc le village de Untel, gnin, gnin, gnin, les notables, grands et petits et le peuple tout entier déclarent, deux points : « Notre maison communale a été construite depuis bien longtemps, malheureusement en raison des outrages du temps et du climat défavorable, le toit est percé et ça pleut à l’intérieur, fort heureusement, virgule, nous avons trouvé monsieur ou madame Untel, Untel, Untel, Untel, Untel, » suit la liste des donateurs, « qui nous ont donné tant, tant, tant, tant, tant, tant, et grâce à eux, la maison communale pourra être réparée, chaque année pour les remercier nous organiserons un grand banquet qui comprendra trois cochons grillés, cinq pattes de canards, trois plateaux de riz, etc. etc. etc… » Suit la liste, la liste en fait de ce qu’il y aura au banquet, et enfin la dernière ligne, c’est la datation ! Alors c’est intéressant, parce qu’on a des listes de noms, on la liste des fonctions des notables, on a des toponymes, et puis on a des listes, c’est-à-dire par exemple des listes de prix, ou de denrées… Un cochon valant cinq ligatures de sapèques… Du coup on peut faire des mercuriales et calculer, un mandarin, s’il gagnait, je sais pas, moi, soixante ligatures de sapèques, c’était égal à combien de cochons, etc., enfin bref, des choses très concrètes qui nous permettent de faire une histoire économique des campagnes du Vietnam…

Commentaire – Autre centre de l’ÉFEO, en Inde, à Pondichéry, au royaume du tamoul et du sanskrit. Les textes liturgiques sur écorce de palmier tombant en poussière tous les deux ou trois siècles malgré les traitements à l’essence de citronnelle, étaient régulièrement recopiés. D’où erreurs et variations. L’École travaille encore avec quelques savants moines copistes du Moyen-Âge, bien vivants, capables de les déchiffrer et qui en profitent pour former la relève.

Puis, pieusement numérisés, les textes rejoindront leur banque de données sanskrite non sans avoir été une dernière fois discutés et commentés, disséqués, rectifiés, par un séminaire de philologie international et permanent.

Ce ne sont pas toujours les fragments de passé les plus glorieux qui traversent le temps. Les brouillons, la comptabilité du temple grec de Tebtynis, dans le Fayoum, en Égypte, étaient bien entendu jetés à la poubelle. On ne dira jamais assez la grandeur du métier de chiffonnier, s’attaquant à un mètre d’épaisseur de papyrus administratifs en démotique.

Claudio Gallazzi, papyrologue, chef de mission à l’IFAO – Nous descendons, même ici, au niveau du sable vierge du désert, et comme ça nous avons eu la chance de récupérer à très grande profondeur des centaines et des centaines de textes… Le papyrus peut se conserver seulement s’il se trouve dans un terrain qui est souple, dans un terrain qui n’est pas plein de sel, dans un terrain qui n’a pas d’humidité… Pour obtenir ces conditions, il faut que le terrain ait de la paille, des buissons, un peu de cendre, et si c’est possible même un peu de poterie… Pour absorber et pour alléger le terrain !

Commentaire – Et voilà comment trois tessons recollés redeviennent soudain l’amphore qu’ils avaient brutalement cessé d’être un jour. Qu’il soit Grec d’Égypte ou Crétois, comme les poteries minoennes d’époque néo-palatiale de Malia, en Crète, tout tesson, dans cet océan de fragments, quelle qu’en soit l’origine, le style, ou l’époque, doit absolument avoir sa fiche anthropométrique, avec son portrait dessiné.

Isabelle Bradfer, archéologue, membre de l’ÉfA – C’est bien le dessin, presque… presque à la bonne échelle… Un peu plus petite… Mais néanmoins on redessinera quand même, parce que vous voyez, nous n’avons pas de profil, c’est-à-dire que nous ne savons pas comment ce tesson est orienté sur la surface du vase… On peut reconstituer le profil de l’objet et ainsi présenter un profil et un décor sur le même dessin qui soient reconnaissables pour d’autres archéologues… Donc un dessin est une manifestation graphique qui est une reconstitution, une invention, à partir d’un reste, d’un puzzle, mais qui est finalement plus proche d’une vérité virtuelle que la photographie, qui n’est que la vérité ! C’est un dessin technique, comme on ferait une vis ou un mécanisme…

Commentaire – Et c’est entre autres par les tessons que la trittoia de Thasos, en Grèce, le triple sacrifice d’animaux enfouis, coupés en deux par le milieu, sur lequel se penchaient archéologues et archéo-zoologues, se révèle remonter au milieu du 4e siècle av. JC. Après plongée dans les textes, on sait désormais qu’il s’agissait d’une prestation de serment, avec comme message subliminal : si je romps ma promesse, que je sois moi aussi coupé en deux comme ces trois pauvres bêtes…

Et maintenant qu’on a la clé, les serrures se présentent en foule : il s’avère que les plus grands noms de la littérature antique connaissaient la trittoia, d’Homère à Plutarque, en passant par Démosthène, et cerise sur le gâteau, rien moins que l’Ancien Testament, puisque dans Genèse 15 et 17, c’est Yaweh en personne qui commande une trittoia à Abraham.

Le temps d’apprendre à lire, il n’est jamais trop tard. Tout vestige est un sphinx proposant son énigme, mais sans coupable, tout archéologue est un Œdipe, mais sans complexe. Indifférent aux lieux, le passé aime à se présenter comme un calendrier sens dessus dessous, rébus temporel requérant de l’Orient à la Méditerranée les mêmes compétences de linguiste, d’historien, d’architecte et d’enquêteur.

Un professeur – It looks like our ra… So it is not ra, it is mu! In the old way of writing mu, it goes round and then it comes like…

Jean Deloche, historien,  chercheur associé à l’ÉFEO – Si vous interrogez un jeune homme, ici, il vous dira, c’est une mosquée… Bon… Mais lorsque vous avez des gens d’une, soixante, soixante, soixante-dix ans, de vieux bergers qui passent, qui passent par là, ils vous diront, ah ! C’est… C’est l’Endroit du Joueur de Tambour… Donc cette toponymie a été transmise à travers les siècles, de générations en générations, par les gens de l’endroit ! Et maintenant, vous avez, ces gens sont pratiquement illettrés, et ce sont eux qui ont gardé la mémoire d’une des choses les plus importantes de l’histoire du pays tamoul, c’est-à-dire le, les heures de gloire de la capitale tamoule, de la capitale nayak qu’était Senji…

Jean Trinquier, historien, membre de l’ÉfR – On ne sait pas si le restaurateur connaissait la composition d’ensemble initiale de la célèbre mosaïque Barberini de Palestrina… On lui a demandé d’adapter la mosaïque ou ce qu’il en restait à une place, elle devait orner une pièce du palazzo Barberini… On commence par lire la scène centrale, et le regard s’éloigne progressivement vers les confins éthiopiens de l’Égypte… Certains animaux n’étaient connus que vaguement, ils n’en avaient jamais vus, donc pour moi, c’est plutôt une tentative pour figurer des animaux connus seulement par ouï-dire que l’introduction artificielle d’animaux mythologiques dans la représentation… Mais à mon avis, cela n’entache pas la volonté de représenter ce qui est, de représenter une faune réelle, de représenter cette faune éthiopienne, que les Grecs venaient juste de découvrir, et justement, le souverain lagide s’attachait à mettre en scène cette découverte… Parce que, par là, il s’arrogeait le prestige de celui qui va jusqu’aux confins du monde… Et ce thème de l’explorateur des confins a un rôle politique énorme… Parce que, selon l’idée que qui domine les confins domine l’ensemble du monde… L’ensemble du monde habité…

Commentaire – Et c’est ainsi que les temps n’en finiront jamais d’être modernes, et comme les pays ne sont pas riches seulement de leur passé, les géographes, les économistes des Écoles étudient désormais aussi les phénomènes du temps présent, suivant le long des frontières depuis longtemps effacées d’empires à jamais disparus aussi bien les Ukrainiens de Rome travaillant en ville, qui repartent souvent en fin de semaine en minibus vers Kiev ou Ternopol, que les Roumains solidement installés dans les collines de la Ciociaria toute proche.

Serge Weber, géographe, membre de l’ÉfR – Quand on regarde les grandes zones de migrations, en fait, c’est tout ce qui fait le contour des Carpates, à l’extérieur, donc c’est en fait la grande frontière historique entre empire austro-hongrois d’un côté, par exemple, et empire russe de l’autre… C’est une zone de marges et de mouvements, qui fait que les contacts sont plus nombreux, et surtout qu’il y a un sentiment d’appartenance à l’Europe qui sans doute explique beaucoup les mouvements… Nous voyons que les migrants roumains qui sont dans le Latium ont un rapport assez particulier avec leurs traditions, pour d’une certaine manière exporter une façon d’être en communauté…

Une dame roumaine – No, non lo voglio cosi bianco, lo voglio un po cotto ! (Non, je ne le veux pas blanc, je le veux un peu grillé !)

Un paysan – Adesso sa perché bruscia ! Per cosi se la pelle col fuoco…Il calore… La pelle ci si intenerisce… Hanno quel sistema da magná tutto… Noi la pelle la leviamo, capito, é buona pure a falla la coppa, la pelle… Invece quessi la vogliono… Io l’ho capito adesso che ne sapevo adesso quelle lo intenerire col fuoco, cosi la pelle è giá morbida e loro la magnano tutta, capito, è giá cotta… So sistemi… (Maintenant j’ai compris pourquoi il faut le flamber / Avec le feu, la chaleur, ça attendrit la peau. / Parce que eux, ils mangent tout. / Nous, la peau, on l’enlève, c’est bon pour faire la coppa, / alors que eux, je savais pas, mais maintenant j’ai compris, / ils veulent la ramollir en la flambant / comme ça la peau est tendre / et eux ils mangent ça, elle est déjà cuite… / C’est comme ça qu’ils font…)

Commentaire – C’est un peu l’histoire du manuscrit dans une bouteille, sauf qu’ici les manuscrits sont par milliers et que les bouteilles sont des statuettes : en enfermant, pour des raisons d’efficacité spirituelle, formules rituelles et indications généalogiques dans le dos des Dieux des autels familiaux, les fidèles taoïstes chinois ne se doutaient pas qu’ils alimentaient un des principaux programmes de l’ÉFEO de Pékin : le suivi à la trace de l’état-civil de la province du Hunan du 16e siècle à nos jours. Comme si nos catholiques registres paroissiaux étaient conservés dans les crucifix et les statues des saints.

Alain Arrault, historien, membre de l’ÉFEO – Alors il faut faire,  il  faut faire  très attention, parce qu’évidemment,  voilà ! Ben, « Sun », ce serait évidemment comme ça et comme ça… Non ! « Sun », donc, ça fait ça, ça, ça…

Une chercheuse – « Sun  Pa Lei »…

Alain Arrault – Oui, enfin, « Sun », euh…

Robert Turcan, membre de l’Institut – Ils n’ont aucun égard pour les Dieux de la Grèce ! Mais, de leur côté, enchaîne Plutarque, ils célébraient eux-mêmes à Olympos des sacrifices étrangers…

Commentaire – Un savoir que l’on garde par devers soi devient lentement lettre morte ; d’où les conférences, colloques, stages doctoraux, dont les Écoles font leur ordinaire. Prises séparément, elles font déjà penser à de véritables Universités in partibus. Prises comme un ensemble elles deviennent un outil virtuel et subtil, dans les mains d’une des grandes familles humaines : il y a d’une part ceux qui veulent changer le monde et même ceux qui le changent effectivement, il y a aussi ceux qui préfèrent le raconter et ceux qui, pour mieux le décrire, commencent par le mesurer. Ceux-là sont de nos jours nommés chercheurs, ou savants, sauveteurs inlassables des vestiges arrachés jour après jour aux profondeurs de la nuit des temps perdus.

Myriam Seco-Alvarez, égyptologue, IFAO – On a nettoyé un nouveau bloc, avec une inscription… Y a un relief pharaonique… On l’avait bougé hier, mais… La partie qui est en bas, c’était tout décoré, alors aujourd’hui on a nettoyé un peu et commencé les dessins… J’ai commencé à voir les hiéroglyphes, mais c’est compliqué, parce que y faut nettoyer avant, alors on est en train de nettoyer et voir pour faire un dessin propre…

Laure Déodat, doctorante, IFAO – Donc après l’intérêt, c’est d’arriver à faire une carte, mais vraiment presque au centimètre près, chaque bloc est positionné sur la carte… Donc là, on a un appareil qu’on va utiliser maintenant, elle est en train de le monter, là… Donc chaque bloc est individualisé, et après rentre dans une base de données informatique… Donc si on veut retrouver, on peut faire des recherches, si on veut tous les, tous les blocs qui sont en marbre, ou toutes les colonnes en granit, on peut faire des recherches sur la base et essayer de comprendre… C’est vraiment, c’est un outil de travail qu’on est en train de construire, quoi…

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Au nombre de cinq, à la fois discrètes et flamboyantes, les Écoles françaises à l’étranger maintiennent, pour certaines depuis plus d’un siècle, une activité soutenue de recherches historiques, de fouilles archéologiques, de restauration de monuments, d’accueil de chercheurs et doctorants.

L’École française de Rome au Palais Farnèse, la Casa Velázquez à Madrid, l’École française d’Athènes, l’Institut français d’archéologie orientale au Caire, l’École française d’Extrême-Orient dans ses divers postes, travaillent à approfondir les richesses des cultures passées ou contemporaines des pays où elles sont établies.