LE BRASERO / THE BRAZIER
Auri sacra fames ! Détestable soif de l’or ! (Virgile)
Auri sacra fames! Accursed hunger for gold ! (Virgil)
Tapuscrit...
Jean-Baptiste Humbert – J’étais allé en excursion dans le nord de la Jordanie et j’ai découvert un site extraordinaire. C’est-à-dire un site où il y avait une enceinte avec des pierres énormes, des pierres qui pesaient cinq ou six tonnes, un mur cyclopéen, comme on en rêve. Et les tessons qui traînaient étaient des tessons de l’âge du fer. Alors bon, magnifique forteresse de l’âge du fer. J’ai dit, ça c’est pour moi. Mais les surprises de l’archéologie sont en cascade, finalement cette forteresse du fer, la fouille l’a montré, elle a été démantelée par les Romains, transformée en monastère byzantin, et le monastère byzantin transformé en palais omeyyade, la première dynastie musulmane sur la Syrie.
Donc alors j’ai fouillé la première couche, j’ai trouvé le palais omeyyade que personne ne connaissait. Et à un moment donné, presque au milieu des ordures, il y avait une grande plaque de fer, rouillée, je me dis, bon, c’est un vieux bidon anglais, c’est pas intéressant, mais je me suis méfié, et je me suis dit, on va voir ça. Comme la plaque était très fragile, je l’enduis de résine et je me propose de lever la plaque en fin d’après-midi. Mais l’opération de renforcement de la plaque avait attiré la curiosité des voisins, il y avait vingt-cinq personnes, qui attendaient d’ouvrir la plaque. Parce qu’ils étaient persuadés que sous la plaque il y avait l’or des Turcs. Mais en enlevant la plaque, j’ai découvert tout un petit mobilier de bronze. Alors il y avait des figurines, il y avait des griffons, avec de grandes ailes splendidement travaillées, ils étaient d’ailleurs sur roulettes, ce qui posait quand même quelque surprise, et il y avait des ivoires, il y avait des moules à gâteaux, en forme d’animal, il y avait un éléphant et un bélier, encore articulés ! Ils étaient comme neufs. Mais c’est du VIIIe siècle de notre ère… Donc il y avait tout ce matériel, et la nuit était tombée… Impossible de remettre au lendemain. Donc on fait la fouille de nuit, à la lumière des phares d’une voiture. Et le bruit se répandait parmi les assistants, qui s’étaient multipliés, il y en avait presque cent à onze heures du soir, et tout le monde murmurait : « C’est de l’or… » Alors je leur disais : « Ce n’est pas de l’or… – Si, c’est de l’or ! – Ce n’est pas de l’or, l’or est un métal qui ne s’oxyde pas, regardez, il est très oxydé.» Le professeur de physique-chimie est venu, il a regardé, il a dit : « C’est de l’or ! » Alors nous voilà bien, c’était une effervescence qui devenait dangereuse. Le lendemain, un émissaire vient nous voir, et nous dit, « le préfet veut venir voir l’objet ! » Alors on avait mis sur une table le grand brasero, par chance c’est un décor dionysiaque, hérité des Grecs, et à caractère assez érotique. Alors le préfet arrive avec ses aides, voiture, on lui ouvre la porte, il descend, costume-cravate, alors je l’accueille, il se penche et il fait « Oooh… » et aussitôt par pudeur il se retire.
Alors le brasero, ce qui est tout à fait étonnant, c’est que ce meuble était démontable. Donc là on voit, on sent le monde nomade. Les gens qui allaient du Hedjaz jusqu’à Damas, ils avaient besoin de leur mobilier princier, et le brasero était un meuble qu’on déplaçait, probablement dans la chambre à coucher, avec la braise qui tenait toute la nuit, etc. Donc il était démontable, les poignées étaient les danseuses, on les plantait aux angles du brasero, assemblé, les tiges, pour tenir l’ensemble du meuble, s’enfoncent dans le pied des griffons, et les griffons eux-mêmes tiennent les roulettes. La plaque principale qui est conservée, contient six figures, sous des arcades, dont le décor est la grenade, donc la pomme d’amour, et le sujet effectivement est assez licencieux. Oh, faut pas exagérer non plus, mais c’est probablement très inspiré de la culture grecque. Ce qui est curieux, c’est qu’on n’a pas de parallèle ! Jusqu’à présent, c’est le seul objet qu’on a de ce type. Je reconnais, dans toute ma carrière c’est le plus bel objet que j’aie pu offrir à la science…
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Transcript...
Jean-Baptiste Humbert – I was roaming around northern Jordan, and I discovered an incredible site. There was an outer wall built with huge stones – five or six tonnes, a cyclopean wall, the sort you dream of. The shards strewn around it dated back to the Iron Age. OK, so it was a beautiful Iron Age fortress. I said fine, that’s for me. But archaeology is a stream of surprises: this Iron Age fortress, as revealed by the subsequent dig, had actually been dismantled by the Romans, been converted into a Byzantine monastery which had later been turned in an Omeyadde palace – the first Muslim dynasty that ruled Syria.
So I started digging out the first level, the Omeyadde palace that nobody knew. Then, almost in the midst of the garbage dump, there was a large, rusty, iron plate. I thought, ok, this an old English container, nothing remarkable. But I was wary, and said let’s take a look. Since the plate was very breakable, I covered it with resin and thought I’d open it in the late afternoon. But the maneuvers around the plate had aroused the neighbours’ interest, so there were twenty-five people waiting for the lifting of the plate. They were sure that under the plate was a hoard of Turkish gold. But when I removed the plate, I discovered a trove of small bronze objects. There were figurines, gryphons with large, beautifully designed wings – they stood on wheels, which raised some intriguing questions; there were ivory objects, there were animal-shaped cake moulds, there was an elephant and a billy goat, both hinged. They were like new. All from the 8th century AD… So, there was all this stuff, and by then it was dark… No way to put off until the next day. So we’re digging at night, by a car’s headlights. And the rumour spread among the onlookers, there were almost a hundred of them by 11 o’clock, and they’re all whispering “It’s gold…”. I answered “No, it’s not gold…” – “Yes, it’s gold!” – “It’s not gold, gold doesn’t form oxides, look, this is highly oxidised.” And here comes the physics-and-chemistry teacher, and he takes a look and says “It’s gold!” So we’re in a fix, there’s a commotion that’s getting dangerous. On the following day a messenger comes to see us, and says, “The prefect wants to visit and see the thing.” So we set the large brazier on the table; luckily, it has a Dyonisiac decoration, a Greek heritage, and it’s quite erotic. So here comes the prefect with his aides, his car, suit and tie and all; so I greet him and he bends down and goes “Oooh…“, and prudely retires.
So this brazier, very surprisingly, can be taken apart. It is obviously an object from a nomadic world. People traveling from the Hejaz to Damascus required their princely furniture, and the brazier was a moveable item, likely for a bedroom, with embers lasting all night and so on. So it could be taken apart, the handles were the dancers, they were set up in the brazier corners, rods were assembled and inserted in the gryphons’ feet in order to maintain the entire piece. And the gryphons themselves held the wheels. The main plate, which survived, displays six figures under arcades, the setting is a grenade – so it’s a love-apple – and the subject is indeed rather licentious. Oh, it’s not that overwhelming, it’s probably largely inspired by Greek culture. The surprising fact is that we know of no other example. So far, it’s one of a kind! I must admit that in my entire career, it’s the most beautiful piece I ever offered to Science…
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Archéologue et membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le Père Jean-Baptiste Humbert, o.p. est chargé du laboratoire d’archéologie de l’École biblique et archéologique française à Jérusalem. Il a participé à de nombreuses fouilles au Proche-Orient, tant en Iran et Jordanie qu’en Israël et dirige la mission archéologique franco-palestinienne de Gaza. Il est également responsable de la publication des fouilles du Père Roland de Vaux à Qumran.
Archeologist and Corresponding Member of the French Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Father Jean-Baptiste Humbert, o.p. is in charge of the Archeology Laboratory in the École biblique et archéologique Française à Jérusalem. He worked on numerous excavations in the Near East (Iran, Jordan and Israel) and is Head of the French-Palestinian Archeological Mission in Gaza. He is also responsible for the publication of the excavations of Father Roland de Vaux in Qumran.
Nous remercions l’École biblique et archéologique française à Jérusalem et également Lorenzo Schiavi, chef du service économique au consulat général de France à Jérusalem. Et merci comme d’habitude à Harry Bernas pour la traduction.
We thank the École biblique et archéologique française à Jérusalem and also Lorenzo Schiavi, Head of the Economic Service, Consulat général de France in Jerusalem; our usual thanks to Harry Bernas for the translation.