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de la recherche !

par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

ON NE VOUS ATTENDAIT PAS SI TÔT / WE WEREN’T EXPECTING YOU SO SOON

Aux petits soins…

Care in a bubble…

Claude Danan
3 Mar, 2024
Tapuscrit...

Claude Danan – La réanimation néonatale c’est une discipline qui est jeune mais qui a fait énormément de progrès parce qu’on s’est rendu compte que on était en train de singer les réanimations adultes qui étaient beaucoup plus anciennes et on a fini par penser que ces petits bébés étaient des hommes en miniature, ce qu’ils ne sont pas du tout. Et donc, la thérapeutique, eh ben ça été l’observation, notre vraie façon de soigner c’est d’apporter un tabouret à côté d’un bébé et de le regarder. L’organisation du service forcément a été impactée par cette nouvelle façon de regarder nos petits patients, et on s’est dit qu’il y avait un quelque chose qui nous gênait, c’était la hiérarchie. Il s’agit d’une histoire collective… Et il y a beaucoup de personnalités qui se sont déclarées, souvent des infirmières qui étaient au contact direct avec les enfants et qui ont transformé pas seulement les relations entre chacun de nous, mais aussi les relations avec les parents ; parce qu’il s’agit souvent de prématurés, parfois minuscules, qui pouvaient peser cinq cents grammes ou moins, et on s’est créé un environnement, une façon de vivre ensemble un peu à la manière d’une vie dans un village.

C’est compliqué de faire un service ouvert, beaucoup de gens, y compris les soignants, à une époque, parlaient des bébés en prenant comme exemple leur poids ! « Oh, ma p’tite crevette… » Donc on entendait des choses comme ça. Ces intrusions du langage dans notre façon de travailler étaient tout à fait néfastes. Et ça a été une vraie lutte d’obliger les gens à ne plus faire des abrévia­tions. De parler de façon simple et compréhensible par tous, y compris par des gens extérieurs. De ne pas donner de nom à cet enfant autre que son prénom. Et de lui donner une individualité, une personnalité, même avant sa naissance. Après la naissance, on est tous dans l’interprétation de tous les signes qui vont pouvoir apparaître. Et quand un bébé est dans son incubateur, il va avoir des mouvements, il va avoir des façons de tendre la main, d’attraper un doigt d’une infirmière, de le porter à sa bouche, de le sucer, de le goûter, tous ces gestes-là, mais encore d’autres, qui font le langage des prématurés, il a fallu l’apprendre.

Un jour on a eu notre premier bébé tellement minuscule qu’on était tous effrayés. Et la maman est arrivée et a dit « Ah ! Bonjour tout le monde ! Comment ça va ? Je suis tellement contente ! » Enfant elle avait subi une radiothérapie et son utérus ne s’était pas développé. Elle avait eu déjà trois grossesses et à chaque fois avec des petits bébés de plus en plus gros, mais jamais suffisamment gros pour être capables de survivre. On s’excusait presque d’avoir ce bébé si petit, et elle disait : « Mais j’ai jamais fait aussi bien ! » C’était notre première piqûre, à nous les soignants, d’optimisme et de réalisme en même temps. Car cet enfant a poursuivi sa vie, avec toutes les difficultés d’un bébé si petit, mais il est devenu plus grand et un jour, à six, sept ans, le téléphone sonne dans le service et il nous appelle et nous dit : « Je suis un ancien petit bébé, est-ce que je peux venir jouer du violon ? » Alors on lui dit bien d’accord, qu’il vienne faire ses quelques notes, on sera très contents de le voir de toutes façons, et il est venu et il a joué merveilleusement !… Et avec une émotion qui a complètement envahi le service de réanimation et toutes ces alarmes, qu’on a l’habitude d’entendre, s’étaient tuent, les bébés étaient calmes, Depuis, il est devenu un grand violoniste.

Tous ces moments qui ont été partagés avec tous, où on a donné la place centrale au bébé, avec ses parents bien sûr, nous ont obligés à remettre en question le village en lui-même, l’architecture, et à faire place aux parents dans des endroits où ils se sentiraient chez eux, avec tout le confort. Donc ce lieu va exister, pour l’instant tout a été détruit et c’est un plateau sans murs… Mais quand même avec les histoires des enfants que je pourrais retrouver à chaque fois que je me déplace dans ce chantier, et qui vont être remplacés par d’autres histoires, pour lesquelles la présence des parents en continu risque de changer complètement notre façon de vivre avec.

Il y a une image qui me restera toujours dans ma vie, c’est de regarder une maman qui est en train de cocooner son bébé prématuré, c’est une maman africaine, et elle est en train de le masser. Et arrive derrière une psycho­mo­tri­cienne qui s’approche et trouve que la scène est jolie, et elle prend la maman par les épaules et elle commence à la masser. Donc cette idée de poupées russes, où on s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre, c’est un petit peu l’emblème du service.

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Transcript...

Claude Danan – Neonatal intensive care is a young discipline that has made huge strides when one recalls that in the past, the approach was to mimic the intensive care of adults who are much older with the ensuing tendency to see babies as people in miniature, which they aren’t at all. And so the therapeutic way forward has been observation, our real way to provide care is to bring up a stool beside a baby and look at it. The organisation of the ward was strongly impacted by this new way of looking at our tiny patients and it seemed that there was one thing that got in our way: hierarchy. It’s to do with a shared history… And there are many personalities who came to the fore, often nurses who were in direct contact with the children and who transformed not only the relations between each one of us but also relations with parents. Because we are often dealing with premature babies who are sometimes minuscule, weighing 500 grams or less, and we created an environment, a way of living together rather in the manner of life in a village.

It’s complicated to make a ward accessible. Many people, including carers at one time, spoke of babies with reference to their weight! “Oh, my little shrimp…” So we heard things like that. These linguistic intrusions in our working methods were really harmful and it has been a real struggle to oblige people no longer to use abbreviations. To speak in a manner that is simple and understandable by all, including by those from outside. To not refer to a child other than by its first name. And to give him his individuality, a personality, even before birth. After birth, all get involved in the interpretation of all the signs that can appear. And when a baby is in his incubator, he will have movements, ways to stretch out his hand, to clutch the finger of a nurse, to hold it to his mouth to suck it, to taste it, all these gestures but others too which comprise the language of premature babies, we need to learn them.

One day, we had our first baby that was so tiny as to alarm all of us. The mother came in and said ‘Ah! Hullo everybody! How are things? I am so happy!’ As a child, she had undergone radiotherapy and her uterus hadn’t developed properly. She had already had three pregnancies with tiny babies that were each time a little bigger but never big enough to be capable of survival. We were almost trying to justify having such a small baby and she said ‘But I have never done so well!’ It was our first shot, for us the carers, of optimism and realism at the same time. Because this child has got on with his life, with all the difficulties faced by such a small baby, but he became bigger and one day, at six or seven years old, the ward telephone rang and he called us and asked ‘I was a premature baby here, might I come to play my violin?’. So we replied yes of course, that he should come and play his little piece, we would be delighted to see him in any case and he came and he played wonderfully!… And with an emotion that completely permeated the intensive care ward and all the alarms that we usually hear went silent, the babies were calm. Since then he has become a great violinist.

All these moments in which everyone has shared, where we have given the central place to the baby and of course their parents, have made us question anew the village itself, in particular its architecture, and to make space for the parents in places where they might feel more at home, with all the comforts. So this place is going to happen; right now everything has been pulled down and we have an expanse without walls… But even so when I recall the experiences of children each time I stroll around this worksite and how they will be replaced by other experiences with the continual presence of parents, this will probably completely change the way that we live.

There is an image that will stay with me all my life, that of watching a mother cocoon her premature baby, an African mother, and she is massaging him. And behind her up comes a psychomotrician who draws near and finds what she sees pretty and takes the mother by her shoulders and begins to massage her in turn. So this idea of Russian dolls where someone looks after someone else who looks after someone else in turn and then another, that is in some ways the emblem of our ward.

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Pédiatre, le docteur Claude Danan a longtemps dirigé le service de néonatalogie du centre hospitalier intercommunal de Créteil. Il poursuit actuellement un programme de recherche sur la protection pulmonaire des extrêmes prématurés en ventilation artificielle en collaboration avec l’Unité INSERM U955.

Dr. Claude Danan is a pediatrician who has for a long time been Head of the Neonatology Service of the Centre hospitalier intercommunal in Créteil. He is currently conducting a research program focused on care for the lungs protection of extremely premature babies under mechanical ventilation, in collaboration with INSERM (U955).

 

Nous remercions pour leur accueil la direction du Centre hospitalier et tous les membres de l’équipe médicale. Merci également à Adrian Travis pour la traduction.

We thank the Management of the Centre hospitalier and all the medical team members for their welcome; we also thank Adrian Travis for the translation.