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par Jean-François Dars & Anne Papillault

photo André Kertész

L’ÉMIGRANT / THE EMIGRANT

Un droit naturel

A natural right

Jaïr Santos
31 Août, 2024
Tapuscrit...

Jaïr Santos – En seulement trois décennies, au tournant du 19e siècle, plus d’un million d’Italiens, provenant surtout du nord de la péninsule, s’établirent au Brésil. Le Brésil, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, était encore un immense désert ! Un immense territoire à conquérir, pas par l’impérialisme, mais tout simplement par le peuplement, parce que c’était un pays encore avec une population assez réduite, où on manquait de travailleurs ! Parce que ça coïncidait aussi avec la fin de l’esclavage, et donc on avait besoin aussi de remplacer ces esclaves, par de nouveaux travailleurs, venus notamment de l’Europe. Ces Italiens, ils partaient vers l’arrière-pays, où il n’y avait pas de communautés, il n’y avait pas de paroisses, il n’y avait pas de villages, et c’était à eux de construire tout cela. Ce qui me frappait toujours était de voir, ces pauvres paysans, qui savaient à peine écrire, lorsqu’ils avaient besoin de quelque chose, lorsqu’ils étaient désespérés, ils écrivaient au Pape ! Ils reconnaissaient dans l’Église, un point de contact avec leur pays, avec la vie qu’ils avaient laissée. Souvent le Vatican répondait, à travers le nonce apostolique, en envoyant des missionnaires ou en envoyant de l’argent, tout simplement…
L’église catholique étant ce qu’elle est, c’est-à-dire une immense organisation internationale avant la lettre, avec des missionnaires partout, des correspondants, des diplomates, ils conservent une masse de documents sur à peu près tous les pays du monde. Et donc j’ai travaillé pendant trois ans dans les sources de la nonciature apostolique, c’est-à-dire la représentation diplomatique du Pape au Brésil, j’ai travaillé aussi sur, dans les archives de certaines congrégations religieuses, comme la congrégation fondée par Mgr Giovanni Battista Scalabrini, à la fin du 19e siècle. C’était un évêque du nord de l’Italie, il connaissait très bien la réalité de ces paysans pauvres du nord de l’Italie, qui étaient obligés de partir, parce qu’ils n’avaient pas les conditions de survie dans leur propre pays, et c’est lui qui a décidé de créer les conditions pour assister ces émigrants, dès le départ, donc une assistance non seulement sur place, mais aussi comment peut-on préparer l’émigration ? Surtout parce qu’au départ on n’était pas sûrs si l’émigration était un bien ou un mal. Et donc il y avait un gros débat à l’intérieur même de l’Église pour savoir, est-ce qu’il faut encourager, oui ou non, l’émigration ? Et petit à petit, Mgr Scalabrini a essayé aussi de convaincre le Saint-Siège qu’il était important d’intervenir, parce qu’il s’agissait vraiment d’un mouvement qui changeait le panorama social et religieux de l’Italie. Il crée donc cette congrégation, destinée à l’assistance des émigrants, et il intervient aussi auprès de la Curie. L’encyclique Quam Aerumnosa, a été écrite par Mgr Scalabrini, elle a été naturellement publiée par Léon XIII, mais c’est lui qui l’écrit, et c’est à sa demande que le Pape décide d’intervenir pour dire qu’il ne faut pas abandonner ces émigrants, qu’il faut les soutenir dans leur choix, et que l’émigration, à partir de ce moment, est conçue comme un droit naturel. Les hommes et les femmes, s’ils ne trouvent pas le moyen de survivre dans leur pays, ils ont le droit de partir.
Plus on avance dans le temps, quand on arrive par exemple dans les années 30, lors des lois raciales en Italie et en Allemagne, il y a beaucoup de Juifs qui essaient de partir au Brésil et donc on voit apparaître une nouvelle typologie de migrants, c’est-à-dire le réfugié, celui qui part non parce qu’il voulait partir, mais qui part parce qu’il est contraint à le faire à force de persécutions raciales et politiques. En 1939, pendant le pontificat de Pie XII, il y a eu un traité entre le gouvernement brésilien et le Saint-Siège qui visait notamment à octroyer des visas pour des réfugiés juifs, mais avec une condition que ces Juifs se convertissaient au catholicisme. C’était une condition du gouvernement brésilien, appliquée ensuite par le Saint-Siège. Et ça, c’est une lettre d’un religieux Odon Würtemberg, et qui écrit à la demande d’un certain Mark Blumenthal et de sa femme Edith Blumenthal, donc des Juifs convertis au catholicisme, et qui écrivent au Saint-Siège pour essayer de bénéficier de cet accord avec le gouvernement brésilien pour partir au Brésil. Ici, pareil, on a une lettre du 23 mai 1940, où un juriste, de nom Rudolf Halt, demande aussi de partir au Brésil, parce qu’il était juif, et qu’il ne pouvait plus travailler.
Pour le Saint-Siège, ceux qui quittent le pays, que ce soit à cause d’une loi raciale ou que ce soit à cause de la pauvreté, c’est un émigrant.
04 min 51 s

Transcript...

Jaïr Santos – In just three decades centered on the turn of the 19th century, more than a million Italians who came mostly from the north of the peninsula set up residence in Brasil. Now Brasil at the end of the 19th and beginning of the 20th century was still an immense desert! A vast territory to conquer, not by imperialism but quite simply by bringing people in because it was still a country with a fairly diminished population where there weren’t enough workers! Because this coincided also with the end of slavery and so there was also a need to replace the slaves by new workers who came notably from Europe. These Italians moved to the hinterlands where there weren’t any communities, there weren’t any parishes, there weren’t any villages and it was up to them to construct all that. What has always struck me is to see these poor peasants who barely knew how to write yet when they needed something, when they were desperate, they wrote to the Pope! They saw in the Church a point of contact with their country and with the life that they had left behind. Often the Vatican would reply in the guise of the Apostolic Nuncio by sending missionaries or quite simply by sending money…
The catholic church being what it is, that is to say an immense international organisation avant la lettre with missionaries everywhere and correspondents and diplomats, they amass a quantity of documents concerning just about every country in the world. So I delved for three years into sources from the Apostolic Nuncio, that is to say on the diplomatic mission of the Pope to Brasil and I worked also on the archives of certain religious congregations like the congregation founded by Mgr Giovanni Battista Scalabrini at the end of the 19th century. He was a bishop from the north of Italy who knew very well the reality of these poor peasants from the north of Italy. They were obliged to leave because the conditions in their part of the country were not fit for survival and he was the one who decided to create an environment that would help these emigrants right from their departure, so that’s assistance not only in situ but also asking how they might better prepare for emigration. This is particularly because at the start it wasn’t clear if emigration was a good or an ill. So there was a big debate right at the heart of the Church to decide whether emigration should be encouraged, yes or no? And bit by bit, Mgr Scalabrini tried to convince the Holy See that it was important to intervene because this was really about a movement that was changing the social and religious panorama of Italy. He therefore created a congregation intended to assist emigrants and he made interventions also with the Curia. The encyclical Quam Ærumnosa was written by Mgr Scalabrini and while of course it was published by Léon XIII it was Mgr Scalabrini who wrote it and it was at his suggestion that the Pope decided to intervene to say that emigrants must not be abandoned, that their choice should be respected and emigration from this moment forward was seen as a natural right. If men and women cannot find a way to survive in their own country, they have the right to leave.
As we move forward in time, for example when we get to the thirties and the emergence of racial laws in Italy and in Germany, there were many Jews who tried to leave for Brasil. We therefore see the appearance of a new type of migrant, that is to say a refugee, someone who leaves not because he wants to leave but who leaves because he has to as a result of racial and political persecution. In 1939 during the pontificate of Pius XII, there was a treaty between the Brasilian government and the Holy See which was aimed in particular at granting visas to Jewish refugees but with the condition that these Jews convert to Catholicism. It was a condition set by the Brasilian government that went on to be implemented by the Holy See. And we then see a letter from a religious, Odon von Würtemberg, who replies to a request by a certain Mark Blumenthal and his wife Edith Blumenthal, these being Jews who have converted to Catholicism and they write to the Holy See to try to take advantage of this agreement with the Brasilian government in order to leave for Brasil. Similarly, here is a letter dated the 23rd May 1940 where a jurist by the name of Rudolf Alt also asks to leave for Brasil because he was Jewish and could not work.
For the Holy See, those who leave the country, whether because of a racial law or because of poverty, such people are emigrants.
04 min 51 s

Historien et actuellement chercheur contractuel à l’École française de Rome, Jaïr Santos étudie en particulier l’histoire récente de la Papauté et l’histoire politique et religieuse de l’Amérique latine.

Jaïr Santos is an historian, presently researcher at the École française de Rome. His current research focuses on the recent history of the Papacy and on the political and religious history of Latin America.

Merci comme d’habitude à Adrian Travis pour la traduction.

Our usual thanks to Adrian Travis for the translation.